Cinezik : Après ALABAMA MONROE et la musique country américaine, BELGICA est un autre film musical plus rock...
Felix Van Groeningen : ALABAMA MONROE était à la base une pièce de théâtre sous la forme d'un concert de Bluegrass. Les personnages principaux sont les chanteurs qui parlent pour raconter leur histoire. Je n'aurais pas fait BELGICA si je n'avais pas fait ce film avant. En tout cas, je n'aurais pas fait un film avec la même importance de la musique. Un film mène à l'autre. En même temps, c'est un film complètement différent. C'est un peu en contre-réaction. Il est moins émotionnel, la mise en scène est différente, même dans l'écriture, il n'y a pas de flashback. À tous les niveaux c'est un autre film. La musique est utilisée différemment, ce ne sont pas les personnages principaux qui jouent et chantent. Mais comme ALABAMA MONROE, la musique fait partie l'histoire, de l'énergie du film. Le bar le Belgica est un personnage, et la musique en est le décor.
Pourquoi faites-vous appel à chaque film à des compositeurs issus de la scène ?
F.G : J'adore travailler avec des personnalités fortes en ce qui concerne la musique. Avec Jef Neve par exemple, on a collaboré une première fois sur "DAGEN ZONDER LIEF" (2007), un film qui n'est pas sorti en France. Il est pianiste de jazz, je lui avais donc demandé pour ce film une partition au piano, avec un trio. Tandis que pour LA MERDITUDE DES CHOSES (2009), on lui a demandé de faire une partition symphonique. Il y a un peu de piano mais il avait envie de faire quelque chose de plus grandiose, donc c'était avec les violons. C'était la première fois qu'il composait pour un orchestre. On n'avait pas le budget pour se payer un orchestre donc c'était un enregistrement en doublant les instruments. Il a fait un super boulot !
Et pourquoi le choix de Soulwax (David et Stephen Dewaele) pour BELGICA ?
F.G : Soulwax a commencé comme un groupe de rock avant d'évoluer vers la musique électronique. Dans le film, on voit plein de spin-off de leurs différents groupes. On peut dire que le groupe THE SHITZ correspond à Soulwax il y a 15 ans, mais dans une nouvelle version. On peut dire que le groupe électro en blanc avec uniquement des filles est un spin-off de Soulwax 10 ans plus tard. Ils jouent sur leurs différentes identités. C'est fou tout ce qu'ils ont fait dans leur vie. Ils étaient pour toutes les raisons les bonnes personnes. Ce sont les seules personnes qui pouvaient faire ça. Ils me connaissent, ils connaissent le lieu, ils viennent de Gand, et ils ont un groupe super éclectique. Je me reconnais aussi dans leur style très belge, fait de moments très sérieux sur certains sujets, et absurdes et frivoles sur d'autres. Ils font le mélange de tout ça.
Que représente l'implication du groupe dans la conception de cette B.O ?
F.G : Il y a eu d'abord 8 semaines de préparation, puis ils ont continué à travailler jusqu'à la fin du tournage, ce qui représente 5 mois pour avoir tous les morceaux qui sont dans le film, pour faire le casting des groupes aussi. Il y a encore 5 mois pour le reste, car chaque morceau (sauf 3 ou 4) que l'on entend est fait par eux. Ils ont aussi fait le casting, la direction artistique, ils ont créé des groupes, ils ont inventé des noms... Quand on voit la playlist de l'album, ce ne sont que des faux groupes.
Quel a été le travail au stade du montage ?
F.G : Quand on a travaillé sur la première version du montage, j'ai apporté des morceaux (la musique de "Drive" par exemple), et ils m'ont de leur côté livré des morceaux, sans avoir travaillé sur les images. Mon monteur a ensuite placé les musiques de Soulwax, en demandant d'avoir toutes les couches à part pour pouvoir travailler sur chaque élément, et construire la musique sur l'image.
Pour des artistes venant de la scène, ils ne sont pas habitués de se mettre au service de quelqu'un d'autre...
F.G : Quand on fait un film, il faut être d'accord sur le fait que ce soit le réalisateur qui ait le dernier mot. En même temps, chacun qui a travaillé sur le film doit avoir sa liberté totale à un moment donné. Soulwax a aussi eu cette liberté.
Soulwax ayant fourni ses musiques sans voir les images, le montage a t-il dû s'adapter ensuite ?
F.G : Certaines scènes du film devaient être longues pour laisser entendre une chanson presque complète. Quand le montage était fini, il y a eu beaucoup de musiques prêtes qu'il fallait refaire. Puis quand ils ont tout refait, on a regardé la première fois le film fini avec toutes les musiques, et on a réalisé que c'était trop, qu'il y avait beaucoup trop de musique. On a donc enlevé des musiques, et on a aussi recoupé dans le montage.
Après 4 films avec des musiciens de scène, pensez-vous travailler un jour avec des compositeurs spécialisés dans la musique de film ?
F.G : Peut-être qu'un jour je travaillerai avec un vrai compositeur qui a fait un millier de films et qui le fait différemment. J'aime Angelo Badalamenti, il est incroyable ! La musique qui fonctionne bien émotionnellement pour moi, c'est la musique avec des drones, des bruits sourds... comme dans "The Revenant", je trouve ça fabuleux ! J'aime aussi Nick Cave et Warren Ellis. J'aime leurs atmosphères mélancoliques. Mais j'aime aussi quand c'est mélodique, quand on y va à fond, sans gênes. Cela peut être aussi retenue. Il ne faut juste pas toujours faire une même chose. Il faut oser, mais il faut le faire au bon moment, si on le fait au mauvais moment cela peut être très sentimental et mauvais. Si on déplace le même morceau à un autre moment, cela peut être génial ! La musique doit évoquer autre chose, ne pas être redondante.
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