Cinezik : Evoquons pour commencer vos débuts respectifs. Jean-Michel, comment êtes-vous arrivé à la composition de musique de film ?
Jean-Michel Bernard : Lorsque je suis arrivé à Paris, j'ai tout fait. J'ai été professeur au conservatoire pour gagner ma vie, puis directeur musical de "L'oreille en coin" sur France Inter en 87. J'ai commencé à faire des musiques de documentaire et de publicité, et des bouts de films, comme la partie jazz des DERNIERS JOURS À CLICHY de Claude Chabrol. C'est ainsi, en faisant des choses différentes, que j'ai appris mon métier, et en travaillant avec Ennio Morricone ou Lalo Schifrin. Ce que j'ai envie de dire aux jeunes, c'est de travailler pour être prêt le jour où on leur propose quelque chose, sans attendre que cela tombe dans le bec, on ne fait pas se métier pour être sur un tapis rouge, mais parce qu'on l'aime.
Michel, comment s'est produit le passage entre le vidéoclip avec des artistes variés et le cinéma avec Jean-Michel ?
Michel Gondry : Le passage entre le vidéoclip et le long métrage n'est pas une chose aisée. Le fait que je vienne du clip provoque un rapport privilégié à la musique, mais en même temps, je me sentais un peu attendu au tournant, sur le fait que j'allais faire du clip, mettre des musiques avec un rythme trop appuyé, ou des choses trop à la mode, dans la continuation avec les artistes avec lesquels j'avais travaillé. C'est pour cela que je travaille désormais avec Jean-Michel, avec une musique conçue pour les besoins de l'image. Ce que m'a beaucoup apporté ce passé dans le clip, c'est la collaboration avec les artistes, sans vouloir leur imposer un univers, mais de voir comment je pouvais utiliser leurs idées et prolonger leur chanson à travers le clip, ce que j'ai fait pour Bjork par exemple. Cela m'a appris dans la création de mes films à collaborer avec le compositeur, ou même les acteurs, producteurs et scénaristes, dans une collaboration où les idées se partagent, avec le sentiment d'être enrichi par les autres.
Sur mon premier film HUMAN NATURE, il y avait un compositeur conventionnel (Nlrd : Graeme Revell) et Jean-Michel est venu donner de l'aide pour les chansons interprétées par Patricia Arquette, écrites par le scénariste Charlie Kaufman, avec des mélodies simples et pures. Je me souviens qu'il avait engagé une chanteuse pro, une américaine, pour les tests de voix, mais cela enlevait le côté touchant que l'on cherchait dans ces chansons, alors il m'a fait entendre les maquettes qu'il avait enregistrées avec sa femme Kimiko et j'ai trouvé cela beaucoup mieux. Par la suite, on a continué à travailler avec Kimiko, il y a même une chanson qu'elle interprète dans LA SCIENCE DES REVES.
Comment se déroulent vos échanges ?
M.G : Jean-Michel est tellement doué, il a l'oreille absolu, je l'ai souvent poussé à se remettre en question, il est parfois grognon avant de me donner raison. Il est inspiré et fertile, mais tellement musicien qu'il peut s'amuser à n'utiliser que les touches blanches du piano comme Les Beatles, ou que les touches noires comme Stevie Wonder. On ne se rend pas compte avec lui de la complexité d'une musique car elle est emportée par la mélodie, mais parfois je le stimule à proposer des choses plus simples et de ne pas en avoir honte.
J-M.B : On s'entend plutôt bien. Il sait que je suis susceptible alors il me ménage un peu, c'est assez enrobé. Il m'a appris à désapprendre. C'est formidable d'avoir la technique, mais il faut savoir l'oublier, comme lorsqu'on écoute un grand interprète et qu'on oublie son instrument. On ne fait pas de grandes musiques de films sans grand partenariat. Les réalisateurs, d'autant plus lorsqu'ils sont musiciens comme Michel, te poussent en avant. J'avais la même impression lorsque je jouais sur scène avec Ray Charles, il savait comment me pousser dans mes retranchements.
Michel, vous arrive t-il d'écouter des musiques lors de l'écriture ?
M.G : Oui, pour une scène de suspens je mets du Morton Feldman ou du Stravinsky, ou alors Michael Jackson si l'émotion doit être positive. Ce qui est bien avec Jean-Michel, c'est qu'il fait des musiques qui sonnent juste très rapidement, au piano, ce qui me permet de les écouter tôt. Pour LA SCIENCE DES REVES, il avait écrit une mélodie que je lui avais fait simplifier, et j'ai beaucoup écouté sa première version que j'aime beaucoup.
Jean-Michel, que pensez-vous de cette rapidité d'exécution ? Quelle est votre manière de travailler ?
J-M B. : Je suis un improvisateur de naissance, c'est pour cela que j'ai toujours adoré le jazz qui est une musique spontanée, et je pense être quelqu'un de spontané. J'ai tendance à écrire ce que je joue, et non pas l'inverse. Je suis mélodiste, et je joue d'abord la mélodie. Je n'aime pas ce qui est calculé, prévu, tout ce que l'on nous apprend à l'école, je suis d'ailleurs autodidacte là dessus.
J'ai tout de même un regret sur BE KIND REWIND. J'aurais aimé avoir plus de temps pour faire la musique. On s'est retrouvé à la fin avec très peu de temps. Quelque soit la personnalité et le talent du compositeur, il faut quand même du temps pour la maturation, la réflexion. Quand on se retrouve avec un timing serré, il y a des choses forcément moins biens. Le film que je suis en train de faire actuellement (Ndlr : BIENVENUE A BORD de Eric Lavaine), je travaille dessus depuis six mois. J'espère qu'on aura l'occasion de retravailler ensemble avec Michel, mais je voulais te le dire... si je pouvais avoir un peu plus de temps, ce serait bien.
Michel, vous arrive t-il d'intervenir lors des enregistrements ?
M.G : Une chose que j'aime bien faire en tant que réalisateur, c'est de prendre du temps avec l'orchestre, je l'ai fait trois fois. On est face à une soixantaine de musiciens, des virtuoses. Un orchestre, c'est comme une ville, avec des instruments plus ou moins anciens qui coexistent de manière harmonieuse, comme les immeubles d'une ville. Cette historique me fascine. On fabrique un code avec les musiciens, lorsque je fais un geste vers le haut c'est plus aiguë, et vers le bas c'est le grave, vers la droite c'est plus fort, vers la gauche c'est plus doux. Lorsque l'orchestre résonne ensemble, je dirige avec mes mains en fonction de la scène qui se projète, et cela donne des choses fascinantes. C'est comme travailler avec les acteurs. C'est comme un banc de poisson, on se demande comment ils font pour aller tous dans le même sens, un peu comme une voiture de formule 1, quand on appuie sur la pédale, ça répond dans le moteur.
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