Cinezik : Comment définiriez-vous le style si particulier et risqué du LE ROI DE L'EVASION, entre la comédie et le drame ?
Alain Guiraudie : Une dialectique s'est exercée entre le documentaire et la fiction, entre le naturalisme et le merveilleux, le cinéma de genre. C'est la première fois que je me laisse aller sans me poser la question de dépasser des bornes. Là où je me suis bien tenu, c'est dans les séquences de sexe, où je voulais de la crudité sans tomber dans l'obscène, il y avait là une limite à ne pas franchir. Mais sinon, il y a quatre ou cinq ans par exemple, je n'aurais jamais fait courir un mec en slip devant une nana, et en envoyant les violons en plus. Il y a un côté assez mélodramatique dans l'affaire. On y est allé assez gaiement. L'enjeu de ce film était pour moi de retrouver une certaine liberté, de ne pas continuer à m'enfermer dans une posture auteuriste, qui fait qu'on essaie toujours de rester dans du bon goût sans aller franchir le rubicon. C'était important de retrouver une nouvelle liberté, sans se figer.
A quel moment avez-vous pensé à la musique ?
A.G : J'aime bien généralement penser à la musique en amont du tournage. Il y a un film où il m'est arrivé de proposer à plusieurs compositeurs de mettre de la musique sur le film avec un premier montage, et cela ne m'a pas plu. En revanche, avec Xavier, il y a eu une vraie rencontre sur le projet, parce qu'il a composé pendant que je tournais. il est parti sans voir une seule image. Il m'a envoyé le CD pendant le tournage. Et ça fonctionne beaucoup mieux dans ce sens-là. Et après on a monté avec ce qu'avait composé Xavier.
Comment le choix du compositeur s'est porté sur Xavier Boussiron dont c'est la première musique pour le cinéma ?
A.G : Dans la musique de Xavier que j'avais entendue auparavant, il y a un aspect Ennio Morricone, il y a de la référence forte, avec les génériques de "Hawaii Police d'état" ou de "Manix", mais c'est de l'influence bien digérée avant de ressortir. C'est ludique et profond à la fois. C'est bien senti.
Vous disiez que ce film marquait un tournant dans votre filmographie, dans le souhait d'une plus grande liberté, qu'en est-il de cette collaboration musicale ?
A.G : C'est vraiment le premier film dans lequel je mets de la musique qui ne soit pas IN sur les images. La musique m'a toujours fait peur. J'ai toujours voulu me dégager du pathos en instaurant une douce distance avec cela. Et la musique me paraissait débarquer de la planète Mars, ça ne me plaisait pas. Et là, le fait que les deux aient coïncidé, que la musique et l'image se soient rejoints sans plaquage, j'ai l'impression que ça donne de l'ampleur et du souffle.
Quand j'ai regardé le film sans musique, je me suis dit que tout cela était d'une grande platitude, avec notamment la ballade en vélo, c'était bien de dynamiser cela, et pour le coup, nous ne sommes dans du pathos ici. J'ai en effet pris le temps de voir le film sans musique, car on a travaillé dés le tournage avec de la musique tout le temps, et il y a des moments où je la trouve plus ou moins évidente, mais il y a des endroits où elle est imparable, c'était ce qu'il fallait.
Xavier, comment êtes-vous intervenu sur le projet ?
Xavier Boussiron : Je me suis mis à travailler sur le scénario que j'ai adoré, et je me suis dit au départ qu'il n'y aurait pas de thèmes, que des éléments isolés, mais au final il y a un thème, qui se retrouve un peu décliné, et ensuite le film avait sa loi au montage, et certaines séquences n'avaient pas besoin de "rambardes". Comme le film avait une clarté immédiate, le fait que ce soit épuré musicalement renforce bien l"incongruité de l'ensemble.
Comment vous est venue l'inspiration ?
X.B : Je trouve toujours la musique en jouant car je ne sais pas écrire. Le fait d'être analphabète situe mon travail entre l'impro et la mémoire. C'est parfois en essayant de reproduire des musiques qui existent déjà, de mémoire, que j'arrive à composer des musiques qui ne ressemblent plus à la source. Mais il y a une attention particulière à faire ce que j'aime. Il y a une chose à laquelle je me suis toujours acoquiné en musique, c'est la question de l'émotion, il faut qu'elle soit le plus gorgée de pathos, et ça c'est très drôle.
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