Cinezik : Pourquoi avoir choisi pour votre film WELCOME un sujet brûlant de l’actualité ?
Philippe Lioret : Pour moi ce film est une belle dramaturgie, un sujet fort. Après JE VAIS BIEN NE T'EN FAIS PAS, j’avais envie tout d'abord de faire un bon film (c'est rare de se dire le contraire) et pour cela il faut un bon sujet. J'avais l'impression que ce qui se passait à Calais, cette frontière mexicaine à nous, était le sujet fort qui me fallait. En le tournant, je me suis évidemment frotté à la réalité des migrants ainsi que des bénévoles. Je n’en suis pas sorti indemne, mais davantage citoyen et un peu plus en colère contre ce qui se passe là-bas. Donc ce film je l’ai fait à hauteur d’homme où s’entremêlent deux histoires d’amour contrariées qui se heurtent à l’ordre du monde. Et aussi la rencontre entre Simon et Bilal qui sont les deux hommes de 45 et 17 ans amoureux tous deux, avec Marion d’un côté et Nina de l’autre.
Avez-vous le sentiment d’avoir vécu davantage de moments difficiles sur le tournage en compagnie de comédiens non confirmés ?
Ce n’est pas plus difficile de tourner avec des comédiens qui ne sont pas des acteurs. Si je les ai choisi c’est que lors des essais je trouvais qu’ils parlaient juste. Moi tout ce que je veux c’est y croire. On tourne une scène, on la visionne et on observe sa véracité. Si rien ne transparaît, on réfléchit à la manière de l’améliorer.
Dans vos films se combinent toujours l’aspect social avec un certain sens du romanesque. Ecrivez-vous vos scénarios en gardant ce lien en tête ?
Oui, à la différence que ce que vous appelez "sens du romanesque", je le nomme "besoin d’identification". Je réalise des films que j’ai envie de voir en tant que spectateur. J’ai donc envie de vibrer avec les personnages jusqu’au bout et de m’identifier à eux.
La musique participe à ce processus d’identification. On se souvient de la chanson d’Aaron pour JE VAIS BIEN NE T'EN FAIS PAS qui résonne dans le casque de Mélanie Laurent. Comment choisissez vous vos morceaux d’emprunt ?
Avec Aaron c’est une belle histoire. Je cherchais quel morceau le personnage de Loïc aurait pu écrire. Puis un jour est venu un comédien pour passer le casting, c'était Simon Burey, et en partant du casting il m’a dit qu’il faisait aussi de la musique. Alors il m’a laissé une maquette. Je suis rentré chez moi, je l’ai posé sur un meuble. Deux jours plus tard, j’ai écouté l’ensemble des titres. Je me souviens avoir pensé que la piste sept était très bien et que le reste n’était pas mal non plus. Puis lorsque j’ai entendu "Lili" je suis tombé raide. Je me suis dit "ça y est !" Je l’ai donc appelé pour lui dire qu’il jouerait dans le film mais qu’en plus je lui prendrais sa musique. Peu après, j’ai également changé le prénom de l’héroine dans le scénario, car à la base elle s’appelait Claire.
En ayant un long passé d’ingénieur du son, qu’est ce que cette profession vous a apporté ?
J’ai exercé ce métier pendant 20 ans, ce qui m’a permis d’entrer dans le monde un peu fermé du cinéma avec cette forte envie de faire des films. Parallèlement à cela, j’écrivais de nombreux scénarios. A un moment, je me suis rendu compte que je griffonnais au dos des cahiers de rapports sons pendant les tournages. Je me suis dit que ce n’était pas très honnête. J’ai donc tout arrêté pour me consacrer à l’élaboration du script de TOMBES DU CIEL, et à cette envie de faire du cinéma que j’ai depuis tout petit.
La bande originale de WELCOME est signée par trois compositeurs. De quelle manière avez-vous intégré les musiques de chacun ?
Je travaille depuis trois films avec Nicola Piovani. Et au montage de celui-ci, j’avais utilisé comme musique temporaire un morceau de Wojciech Kilar que j’avais trouvé absolument formidable. Lorsque Nicola est venu avec moi en salle de montage, il était de mon avis et se demandait quoi faire de plus, valait mieux garder cela. Donc je suis parti là dessus avec aussi un bout de thème d’Armand Amar qui parlait de migration que j’avais calé au début et qui était devenu totalement inamovible. Je me retrouve ainsi avec trois compositeurs formidables, Nicola Piovani en tête qui a enregistré la grosse partie, Wojciech Kilar et Armand Amar, trois stars de la musique pour WELCOME. Et je rejoints ce que j'ai lu sur votre site, parce que j’ai ce même sentiment d’unité absolue. Si cela n'avait pas été le cas, je n’aurais pas utilisé ces trois musiciens.
A quel stade du film les musiques sont-elles choisies ? Vous aident–elles dans l’écriture ?
J’aimerais beaucoup que ça soit au stade du scénario mais c’est toujours très difficile, autant de la part des compositeurs qui ont du mal à laisser libre court à leur imagination et puis parfois c’est simpliste de commencer à parler d’un thème. Le problème majeur dans cette relation image/son est le temps. Il faut prendre le temps. C’est une fois que le film commence à exister, que s’établit un véritable échange entre musicien et réalisateur. C'est un sacré bazar la musique de film, mais ça me passionne. J’y passe un temps fou parce qu’elle conditionne profondément l’identité du film.
Quelle est pour vous la juste place de la musique dans vos films ?
Je suis incapable de le dire. Parfois subsiste une sensation de trop peu ou trop plein. Par exemple, lorsque je revois L'EQUIPIER, j’ai l’impression que j’ai mis trop de musique. A la différence de WELCOME pour lequel le dosage est bien équilibré. Pour TENUE CORRECTE EXIGEE, j’aimais l’univers de Paolo Conte. J’ai essayé de savoir qui pourrait faire la musique du film en intégrant absolument son style très jazzy, car je voulais absolument cette chanson. Donc je suis allé voir le pianiste Maurice Vander pour lui demander son avis. Et il m’a agréablement surpris, jouant les rythmes à l’envers. Donc on a fait toute la musique du film sur ce thème. Pour MADEMOISELLE, j’ai fait appel à Philippe Sarde. Cela n’a pas été la rencontre la plus formidable de ma carrière, ni humainement, ni musicalement, il travaille différemment, il ne fait pas l'arrangement mais se tourne vers le talentueux Hubert Bougis. Pour Piovani, Kilar et Amar, l’écriture de la musique passe fatalement par l’orchestration.
En dehors du cinéma, quels sont vos goûts musicaux ?
C’est très éclectique. J’écoute de la musique classique et je redécouvre Schumann. Mais mon coup de cœur du moment est un pianiste incroyable qui s’appelle Gonzales pour son album qui s’intitule « Solo piano ».
Pourquoi avoir contacté Nicola Piovani pour L'EQUIPIER, début d'une fidèle collaboration ?
Ça fait des années que je voulais travailler avec lui. J’avais adoré la musique de GOOD MORNING BABYLON des frères Taviani. Je trouvais son travail incroyable. Au début de ma carrière, je n’osais pas l’appeler parce que pour moi c’était une star. Entre temps, il y a eu l’oscar pour LA VIE EST BELLE. Donc j’ai composé son numéro et la première chose qu’il ma dite est de lui envoyer le scénario. A la suite de quoi il m’a rappelé pour fixer une date d’enregistrement. Ce qui montre qu’il est inutile d’hésiter. Mon père disait toujours : les très bons, ça coûte le même prix que les moins bons, donc autant aller voir les meilleurs ! Puis au-delà de la musique, c’est une belle rencontre humaine, on est devenu très amis, on a fait trois films ensemble.
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