Philippe Schoeller : Il m'a appelé avec Dominik Moll le coscénariste car il voulait faire la musique avec moi. Je suis arrivé tard sur le projet, ce qui est très français. On appelle souvent le compositeur quand il n'y a plus de sous, que c'est la fin et que l'on panique.
DANS LA FORÊT joue avec la peur. L'idée était-elle de faire une musique de film d'horreur ?
P.S : Ce qui m'a justement intéressé c'est que ce n'est pas seulement un film d'horreur. La vision que j'ai eu du film au départ était plutôt celle d'un film naturaliste, et d'une fable écologique bergmanienne. C'est un film qui a une grande ambiguïté au niveau de la définition stylistique. C'est à la fois une comédie dramatique, un conte symbolique, une fable écologique, un thriller, et un film d'horreur terrible. C'est un film assez postmoderne dans sa manière de croiser les mémoires stylistiques qu'on a sur un siècle de cinéma. C'est intéressant par rapport à la problématique du compositeur, c'est pour cela qu'il y a pas mal de matériaux musicaux différents. Il y a du glass harmonica, de la musique électronique, des cordes. C'est autour de cette richesse stylistique difficile à maîtriser que le film a pu se construire. Et je tiens à dire que la musique n'a pu se faire que grâce à Marc Hazart, que j'ai rencontré à l'occasion de ce film, qui par ses croisements stylistiques a une grande maîtrise des maquettes à présenter au réalisateur, par leur réalisme.
Marc Hazart : J'ai été contacté par l'éditeur de Philippe. Il s'agissait de faire le lien entre sa musique et le réalisateur, en sachant que Philippe a la culture d'une musique écrite, il écrit les conducteurs d'orchestre de façon très précise et savante, il fallait réaliser un lien entre cette pensée, cette construction musicale, et l'univers du film.
Quelle est la part de l'électronique dans cette partition ?
P.S : Il n'y a pas de différences entre un Macintosh et un violon. Il n'y a d'ailleurs pas non plus de musique contemporaine. Il y a une invention qui traverse les âges, avec différentes sensibilités. La question de l'instrument est une question idéologique, donc cette idée de la musique contemporaine est aussi idéologique. La musique est une seule chose. La musique dans sa perception et dans sa composition à l'image peut faire appel à l'extension des instruments classiques pour un monde sonore global qui intègre des bruits de textures de feuilles. C'est pour cela que la musique à l'image permet de mieux entendre cette ouverture de la sensibilité qui est née au début du XXe siècle. Le monde sonore est extrêmement large, les langages sont divers.
Pour revenir à la question sur l'électronique, un son classique a un principe d'incertitude, c'est vivant, beaucoup plus riche que la synthèse. La voix, le violon, le clavecin, même en les amplifiant, on a conscience de leur complexité. Cette incertitude est incalculable. C'est pour cela que c'est intéressant dans un film poly-stylistique comme DANS LA FORÊT d'amener plusieurs langages musicaux. Surtout avec Marc qui apporte sa maîtrise des logiciels pour simuler des instruments réels.
Dans cette musique globale que vous évoquez, un lien est fait entre la partition musicale et les sons du film ?
M.H : On a beaucoup échangé avec Loïc Prian, le monteur son. Dans le processus, Philippe a composé pour cordes et orchestre, il y a eu des échanges avec le réalisateur sur des maquettes, et ensuite nous avons enregistré la partition au Studio Sequenza. Est venue se greffer toute une approche sonore avec le monteur son, une approche d'extrapolation de certains instruments, un travail de détournement d'instruments anciens, comme le Glass harmonica.
P.S : La musique a un pouvoir tellement puissant qu'elle ne signifie rien d'autre que son écoute. On s'en fait du sens quand on se l'approprie, elle s'ouvre à des visages inconnus, et la musique (Bruno coulais me disait ça) est un film dans le film.
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