wingo,loving, - Interview David Wingo / LOVING : sa télépathie avec Jeff Nichols Interview David Wingo / LOVING : sa télépathie avec Jeff Nichols

wingo,loving, - Interview David Wingo / LOVING : sa télépathie avec Jeff Nichols

Entretien réalisé à Angers en Janvier 2017 par Benoit Basirico. Merci au Festival Premiers Plans d'Angers (Xavier Massé). - Publié le 14-02-2017




Avec LOVING (sortie le 15 février 2017), David Wingo retrouve Jeff Nichols sur cette romance interraciale après TAKE SHELTER, MUD et MIDNIGHT SPECIAL avec une partition sobre dont l'intensité émotionnelle se révèle sur la durée. Interview dans le cadre d’une rencontre lors du Festival Premiers Plans d’Angers (janvier 2017).

Cinezik : Depuis votre première musique pour le cinéma en 2000 avec GEORGE WASHINGTON de votre ami d'enfance David Gordon Green, votre musique a évolué, elle s'éloigne désormais de la seule guitare folk de vos débuts... que pensez-vous de cette manière d'évoluer par le cinéma ?

David Wingo : J'essaie toujours d'être en dehors de ma zone de confort. C'est là où je suis à l'aise. Je tente d'évoluer en permanence, d'essayer de nouvelles choses, d'apprendre à jouer de nouveaux instruments. Avec GEORGE WASHINGTON (2000) et ALL THE REAL GIRLS (2003) de David Gordon Green, on était à l'aise avec ce que l'on faisait, c'était notre univers habituel, un peu folk. C'est à partir de là que j'ai appris à faire de la musique pour un film, et qu'ensuite j'ai pu aller plus loin et évoluer vers autre chose.

D'où vous vient essentiellement votre inspiration ? Du scénario ou des images ?

D.W : C'est un mélange des deux. C'est une combinaison de plusieurs choses. Avec Jeff Nichols, j'ai la chance de pouvoir intervenir très en amont, de lire le scénario, d'être sur le tournage, et ainsi je peux avoir une idée du film. Le réalisateur me dit aussi quel genre de musique l'inspire. Je les écoute pour essayer de comprendre ce qu'il y a dans cette musique qui peut le toucher, ce qu'il recherche là-dedans. Ensuite, j'essaie de voir une première séquence, un pré-montage, et là il se peut que l'idée première ait changé, il faut alors s'adapter.

Le réalisateur vous fait donc entendre des références ?

D.W : Les références apparaissent au moment de la discussion. Sinon, avec cette collaboration de longue date j'ai un luxe qui permet d'éviter d'avoir des maquettes existantes temporaires placées au montage. Cela peut être utile, mais les réalisateurs s'y attachent trop, alors qu'elle n'est pas définitive. J'ai fait une vingtaine de films maintenant, et avec LOVING par exemple, la musique temporaire qu'ils ont utilisée était ma musique. Sur le documentaire THE GREAT INVISIBLE (Margaret Brown, 2014), ils avaient utilisé en référence une musique que j'avais faite pour Jeff.

Dans votre complicité avec David Gordon Green ou Jeff Nichols, vous avez des goûts communs qui facilitent la collaboration ?

D.W : Avec David, on a grandi ensemble, on s'est nourri mutuellement dans notre jeunesse, on a évolué avec les mêmes films. A 8 ans, on est allé voir "Karaté Kid" qui nous a marqué tous les deux. J'ai ensuite suivi la voie de la musique tandis que lui a pris la voie du cinéma. Mais on s'est influencés mutuellement. Je lui ai fait découvrir de la musique, et il m'a donné la possibilité d'aller voir des films indépendants, étrangers, de vieux films que je n'aurais jamais vu autrement. Avec Jeff c'est la même chose, on a très souvent les mêmes goûts.

Vos partitions contiennent de la mélodie mais semblent privilégier les textures... Comment concevez-vous cette combinaison ?

D.W : Il faut trouver l'équilibre entre l'émotion, la mélodie, et la texture. Il faut trouver la bonne juxtaposition par rapport au sujet. Avec MIDNIGHT SPECIAL (Jeff Nichols, 2016) ou avec JOE (David Gordon Green, 2013), l'ambiance était plus importante que la mélodie. Alors que pour LOVING (Jeff Nichols, 2017), la mélodie est importante, mais toujours dans un juste équilibre. Il faut essayer de trouver la tension entre les deux.

Vos musiques prennent une bonne place, elles ont le temps d'évoluer... Participez-vous au choix des emplacements de la musique ?

D.W : Les réalisateurs savent exactement ce qu'ils veulent. Les paramètres sont très clairs, ils savent exactement sur quelle scène où il y aura de la musique, quand elle va arriver, et quand elle va repartir. Je perds en terme de décision, mais j'apprécie le fait qu'ils savent ce qu'ils veulent, je suis tout à fait prêt à suivre leur direction.

Votre style musical repose sur une certaine progression dramatique, qui nécessite justement un certain temps avant de révéler toute sa puissance...

D.W : David Gordon Green fonctionne par épisode, il n'y a pas véritablement de fil rouge qui traverse le film. C'est le cas sur GEORGE WASHINGTON tout comme sur PRINCE AVALANCHE (2013). Mais je tiens malgré tout à toujours installer des fondations de ce qui deviendra plus tard un thème. Tous les éléments qui apparaissent dans le film sont ensuite repris pour un développement finale. Avec TAKE SHELTER (Jeff Nichols, 2011), c'était la première fois que je faisais une musique avec un orchestre, qui impliquait un certain lyrisme qui se dévoile progressivement. Il y a cette mélodie récurrente qui va crescendo comme le personnage qui sort de sa retenue. Tout le film mène à la scène où il doit faire face à ce qui arrive autour de lui. Le thème amorcé au début attend ce moment pour vraiment se lâcher et se développer, en parallèle du point culminant. Le personnage parle peu alors c'était à la musique de le faire. La musique construit son expression. Alors que sur TAKE SHELTER le thème se développe au fur et à mesure du film, sur MIDNIGHT SPECIAL le thème complet apparaît d'emblée dès l'ouverture. MIDNIGHT SPECIAL est sûrement l'une des musiques les plus thématiques que j'ai pu faire.

La fidélité de Jeff Nichols auprès de vous comme de son acteur Michael Shannon crée une unité à son cinéma qui aborde pourtant des genres très différents à chaque fois...

D.W : Il y a évidemment une continuité. Il est plus facile de travailler avec lui à chaque nouveau film. Avec MUD (Jeff Nichols, 2012), la collaboration était assez difficile, on ne parlait pas encore la même langue. On essayait encore de se comprendre. C'était assez difficile de trouver les thèmes principaux. On a mis 6 semaines avant d'y arriver. Il me disait des choses mais je ne comprenais pas encore. Au final, on a réussi ! Je pense que j'ai appris pendant ce processus à me rendre compte de ce qu'il recherchait, quelle était sa vision, et comment la traduire. Ensuite, pour le film suivant MIDNIGHT SPECIAL, on a parlé très en amont. J'avais lu le scénario et avant même de voir la moindre scène j'ai trouvé le thème. J'avais trouvé ce thème lorsque je travaillais sur un autre film, mais je  

me suis dit qu'il convenait mieux à MIDNIGHT SPECIAL. Par la suite, j'ai ajouté à cette mélodie au piano les cordes et le synthé. Avec LOVING, je comprenais parfaitement ce qu'il voulait. On a fait 2/3 essais seulement, c'était d'une grande facilité.

Terminons avec LOVING justement, comment cette dernière collaboration avec Jeff Nichols s'est déroulée ?

D.W : Comme pour MIDNIGHT SPECIAL, j'avais des idées en amont que je transmettais au réalisateur. La discussion avec Jeff et la lecture du scénario m'ont permis d'avoir une assez bonne idée de ce que je voulais faire. La musique que j'avais écrite dès le départ apparaît lors de la scène finale devant la cour suprême. Son montage correspondait parfaitement aux morceaux que j'avais envoyés, à la fois en terme de durée et de changement dramatique. Jeff, qui ne voulait pas me montrer d'images, pensait que j'avais triché et écrit cette musique exprès pour la scène tellement cela collait. Il y a eu une sorte de télépathie.

Cette histoire d'amour interraciale s'accompagne d'un thème d'amour...

D.W : C'est le thème de l'espoir présent au début et à la fin du film. Entre les deux, on ne l'entend pas tellement. On l'appelait le ‘Home Theme", le thème du foyer. Ce thème entoure le film, et disparaît entre le moment où ils sont chassés jusqu'au jugement. Il ne fallait pas en faire trop, ne pas alourdir le propos, "Less is more".

Ecoutez cette rencontre : 

Entretien réalisé à Angers en Janvier 2017 par Benoit Basirico. Merci au Festival Premiers Plans d'Angers (Xavier Massé).

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