Philippe Sarde signe sa première B.O à 16 ans, en 1970, pour "Les Choses de la vie" de Claude Sautet. Et dès ce premier film, il fait son baptême du festival puisque le film est en compétition. "Claude Sautet hurlait en conférence de presse, il hurlait car il ne voulait pas aller à Cannes. Son film venait de recevoir le Prix Louis Delluc et j'avais demandé à son producteur pourquoi ils avaient laissé la mention du prix pour la projection. Il était écrit au début du film ‘ce film a obtenu le Prix Louis Delluc", et vis-à-vis de tout le monde à Cannes cela signifiait ‘on vous emmerde' ". Malgré son jeune âge, le compositeur avait déjà un fort tempérament et ne se privait pas de faire des remarques aux producteurs. Et à 23 ans, en 1977, il convainc Gilles Jacob d'accepter d'être délégué général du Festival : "J'étais très ami avec Gilles Jacob. Il était journaliste à l'Express. Quand il s'est fait virer du magazine, on lui a proposé de diriger le Festival de Cannes. Je me souviens, j'étais chez lui, il m'a demandé ce que j'en pensais, je lui ai tout de suite répondu que c'était une très bonne idée ! Il a été critique pendant un certain nombre d'années, et là il serait le critique des films du monde entier ! Je pensais donc qu'il devait accepter. Je suis resté auprès de lui pendant 25 ans."
Après "Les Choses de la vie", il reviendra ensuite une vingtaine de fois en compétition, 6 fois avec André Téchiné ("Les Soeurs Bronte", "Rendez-Vous", "Le Lieu du Crime", "Ma Saison Préférée", "Les Voleurs", "Les Égarés"), 3 fois avec Marco Ferreri ("La Grande Bouffe", "Rêve de Singe", "L'histoire de Pierra"), avec Roman Polanski ("Le Locataire"), avec Jacques Doillon - une première fois avant "Rodin" (pour "La Pirate"), Bertrand Blier ("Beau Père")... ou encore pour trois films américains ("Joshua Then And Now" de Ted Kotcheff, "Lost Angels" de Hugh Hudson, "L'ami Retrouvé" de Jerry Schatzberg).
Compositeur phare du cinéma français durant 6 décennies, caméléon entièrement au service de la vision cinématographique d'un metteur en scène, il a signé plus de 250 musiques de films auprès de cinéastes majeurs, car sa force est d'être d'abord un homme de cinéma avant d'être un homme de musique, d'envisager son statut comme celui d'un scénariste musical, d'entrer dans la tête du cinéaste pour lui écrire sa musique. Il se définit lui-même comme un homme de cinéma, soucieux des films dans leur intégralité : "Les films qui sont allés à Cannes étaient des grands films. Ils ont parfois marché ou d'autres moins bien, mais ils sont tous considérés aujourd'hui comme des grands films. D'être le recordman des films sélectionnés à Cannes, j'en suis content pour les films. Je représentais pour les gens, et je crois que je représente toujours, un homme de cinéma, et de musique biensûr mais vraiment un homme de cinéma et de musique, alors on faisait l'amalgame entre les deux. Je pense qu'un compositeur de musique, s'il n'est pas cinéphile, n'a rien à faire dans un jury. Je pense être plus cinéphile que compositeur. Concernant les musiques que j'ai faites, je pensais à la musique et au film, mais dans un endroit comme Cannes, ou Venise ou Berlin, c'est le film qui compte pour moi. Il fallait que le film soit remarqué. Par exemple cette année, j'espère que le film de Jacques Doillon "Rodin" sera apprécié. En plus il le mérite ! Je me suis toujours intéressé au film quand j'étais à Cannes. J'étais là pour me battre pour les films, pas pour ma musique, je m'en moquais à la limite. Je me battais suffisamment avant pour la musique avec les producteurs, mais dans un festival je me battais pour le film."
Philippe Sarde se souvient également de sa présence au jury en 1988, présidé par le cinéaste italien Ettore Scola, avec également le producteur Claude Berri, le critique David Robinson, les comédiennes Elena Safonova et Nastassja Kinski, les réalisateurs George Miller et Hector Olivera, le chef op Robby Muller, et le scénariste William Goldman.
"J'adorais Ettore Scola qui présidait le jury. Il y avait en compétition un film qui me plaisait beaucoup, "Pelle le conquérant" de Bille August, un film comme on n'en faisait plus. J'ai tout fait pour qu'il ait le prix. Je me suis battu avec tout le monde. Au jury il y avait des engueulades. Ce n'était plus le compositeur qui parlait, mais c'était l'homme de cinéma qui se battait. Nastassja Kinski qui était assise à côté de moi avait des hurlements car je voulais que le film ait réellement le prix. C'était l'année où j'écrivais la musique de "L'Ours" de Jean-Jacques Annaud, produit par Claude Berri également dans le jury. Claude s'endormait à tous les films. Ce n'était pas très grave mais le problème est quand il se réveillait, à la fin du film, il n'avait qu'un seul mot à la bouche, ‘Est-ce que tu crois que l'Ours va marcher ?'. Je le rassurais en lui disant que j'étais en train d'écrire à l'hôtel avec une pile de papier à musique. Et qu'il cesse de me le répéter à chaque fin de projection à laquelle il avait dormi ! C'était sa seule préoccupation car ce film était un gros challenge pour lui. Donc pour revenir à "Pelle le conquérant", il m'a laissé mener avec Ettore Scola le débat. Et Bille August, que je n'ai jamais rencontré dans ma vie, a donc eu la Palme d'or.
Cette année, le compositeur Gabriel Yared aura peut-être le même enthousiasme sur un film et le même débat avec le président Pedro Almodovar. Cela pourrait être "Rodin" de Doillon que le public pourra voir et écouter (il sort en salle en même temps que sa projection cannoise, et la musique de Sarde est disponible dès le 19 mai chez BOriginal). A ce propos, d'autres musiques de Philippe Sarde sortent en mai (en digital, chez BMG), dont 3 films présentés à Cannes, "Le Locataire", "La Pirate", et "Beau Père".
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