Cinezik : Quelle était votre approche de la musique au cinéma lorsque vous avez débuté dans les années 60, en pleine Nouvelle Vague ?
Barbet Schroeder : À l'époque, j'étais sous l'influence de Rohmer qui était contre la musique de film. Donc je ne considérais que les musiques existantes. Avec Pink Floyd (pour MORE - 1969 et LA VALLÉE - 1972), ce n'était pas une véritable collaboration, il s'agissait de leur musique, dans leur propre style que j'affectionnais. J'ai pu ensuite collaborer avec Carlo d'Alessio sur MAÎTRESSE (1975), mais c'est à Hollywood que j'ai vraiment appris à utiliser la musique, même si mon premier film américain, BARFLY (1987), était uniquement constitué de musiques de source. Dans ce film, il n'y a pas de musique originale mais des musiques existantes très soigneusement choisies. Puis sur REVERSAL OF FORTUNE ("Le Mystère von Bülow", 1990), j'avais fait toute la musique avec Mahler, qui a été inspiratrice de beaucoup de musiques de films américaines. Comme ce film était hollywoodien, j'avais donc pris directement Mahler. Cela marchait parfaitement, c'était sublime, mais le producteur m'a quand même dit qu'il allait engager un compositeur. Qu'est-ce qu'il allait amener de plus ? (rires).
C'est donc au final Mark Isham qui a fait cette musique mahlérienne... Et par la suite vous avez fait à Hollywood deux films avec Howard Shore (SINGLE WHITE FEMALE, BEFORE AND AFTER) et deux autres avec Trevor Jones (KISS OF DEATH, DESPERATE MEASURES), avant de rencontrer Jorge Arriagada en 2000 sur LA VIERGE DES TUEURS... Aviez-vous là-encore des références musicales ?
B.S : Quand le compositeur n'est pas là, j'essaie différentes musiques pour trouver des idées. Ensuite quand le compositeur arrive, je lui fais écouter ce que j'ai utilisé. Ainsi, sur LA VIERGE DES TUEURS, je me rappelle avoir fait écouter à Jorge des musiques de films d'Hitchcock (Bernard Herrmann) qui collaient parfaitement, mais tu me disais que tu pouvais ajouter encore plus d'émotion.
Jorge Arriagada : Et pour INJU, LA BÊTE DANS L'OMBRE (2008), tu m'avais demandé d'entrer à un moment précis, de souligner quand le personnage lève la cuillère, de souligner quand le tueur passe derrière, d'illustrer quand le détective entre avec sa montée de l'escalier, tous ces détails pour créer une sorte de style hitchcockien, pour anticiper sur ce qui va arriver.
Vous faites donc intervenir le compositeur toujours une fois le film monté ?
B.S : Très souvent sur un film, on ne peut pas faire le travail parallèle de recherche de la musique lors de l'écriture du scénario. On est toujours à ce moment-là trop pressé d'avancer. Les décisions musicales se font donc au début du montage et même quelquefois à la fin du montage. Au fur et à mesure que le montage avance, je parviens à savoir quelle musique il faut. Puis Jorge arrive et il me suggère des choses, j'accepte d'essayer, quelquefois il a raison et c'est tout de suite accepté. C'est une collaboration. La bonne direction pour un film ce n'est pas forcément ma direction, c'est une direction que l'on découvre petit à petit ensemble.
Quel est pour vous le rôle d'une musique originale dans un film ?
B.S : La musique a une fonction narrative. C'est-à-dire qu'elle raconte quelque chose que la voix off ne peut pas raconter, que les images ne peuvent pas raconter, comme quelque chose de mystérieux, d'émotif, quelque chose qui a à voir parfois avec les personnages. Ce sont très souvent des commentaires sur les personnages. La musique correspond à un personnage. Par exemple, dans L'AVOCAT DE LA TERREUR (2007), la musique correspond à Djamila Bouhared, une femme qui plane au-dessus du film. On n'a jamais pu l'interviewer, mais c'est un personnage très important à chaque fois qu'elle est évoquée. Il y a donc un thème spécifique pour elle, avec des violons. Le thème accentue sa présence au-dessus du film, telle une présence mystérieuse alors qu'on ne la voit jamais.
J.A : On voulait que ce thème de Djamila soit émouvant, et en même temps qu'il y ait quelque chose à voir avec l'Algérie. J'ai donc pris des violons arabes en plus du reste de l'orchestre. C'est un thème répétitif. On en garde la longueur car si on le coupe trop vite on n'arrive pas à donner l'émotion.
Quel a été le travail musical pour LE VÉNÉRABLE W. ?
J.A : Barbet ne savait pas vraiment s'il allait mettre de la musique. Il a senti le besoin au fur et à mesure et peu à peu dans la réflexion on a ajouté de la musique. Au final, il y en a pas mal. Le fait de réfléchir sur le film nous a fait avancer dans cette direction. J'ai fait aussi un travail presque de DJ, car j'ai mélangé plein de pistes, un travail minutieux de mélange, de mixage. On a enlevé ou ajouté des éléments, on a changé la place de certaines musiques... c'était un travail microscopique très intéressant.
B.S : Il ne fallait pas qu'on la remarque trop, il fallait qu'elle soit insidieuse. C'est souvent ainsi dans les films où l'on veut communiquer des émotions, celles-ci ne passent plus si on en fait trop.
J.A : Oui, il fallait être discret, laisser la place au spectateur de rentrer librement. On peut l'aider un peu, sans pour autant faire une véritable musique de film hollywoodienne. D'une part, il n'y a pas de véritable mélodie, et d'autre part le mixage est toujours un peu souterrain. On ne joue pas la musique au premier plan.
B.S : Sauf pour le générique de fin où on dit "vous avez vu un grand film". (rires)
J.A : En effet à la fin on a sorti les violons quand même !
Pour ce documentaire en Birmanie, on entend aussi quelques chansons locales...
B.S : Quand on emploie des musiques locales, ce sont des musiques de propagande. Elles ont un ton tellement joyeux que l'on peut ménager la surprise en utilisant d'abord cette musique pour accompagner les gens à bicyclette qui rigolent, avec un beau paysage. Pour tout d'un coup à la fin du film être terrifié par le sens de la chanson en apercevant le sous-titre des paroles. La chanson est ambivalente car sans les paroles elle est très joyeuse.
J.A : Et on a tout de même cherché une certaine émotion dans ma musique. Il était important de rentrer dans la gravité du sujet, de ce qui s'est passé et de ce qui est montré.
Y a t-il une différence entre vos documentaires et vos fictions en ce qui concerne la musique ?
B.S : Tout film est un film de fiction. Donc si tout film est un film de fiction, même les documentaires doivent avoir des séquences musicales. Il faut se servir de tous les moyens du cinéma qu'on a à sa disposition. Il ne faut pas hésiter à utiliser la musique. Un documentaire raconte une histoire, il y a des moments de suspens, pour moi il n'y a pas de différences.
Interview B.O : Pierre Desprats (Les Reines du drame, de Alexis Langlois)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)