mouzanar, - Interview Khaled Mouzanar, le compositeur libanais révélé par CARAMEL. Interview Khaled Mouzanar, le compositeur libanais révélé par CARAMEL.

mouzanar, - Interview Khaled Mouzanar, le compositeur libanais révélé par CARAMEL.

Propos recueillis par Benoit Basirico en 2007, 2008, 2011 (3 entretiens ont été ici réunis) - Publié le 01-01-2011




Le libanais Khaled Mouzanar s'est fait connaitre en France avec le succès de CARAMEL de Nadine Labaki (sa compagne qu'il retrouve pour ET MAINTENANT ON VA OÙ ?). Entre chansons françaises et musique de film, il commente son parcours.

Interview Khaled Mouzanar

Cinezik : Quels sont vos premiers pas ?

Khaled Mouzanar : J'ai commencé très jeune en apprenant la musique avec un grand compositeur arménien, Boghos Gelalian. J'avais des amis réalisateurs, alors je faisais la musique de leur film. En parallèle, j'écrivais des chansons. Je me suis donc essayé très tôt à la mélodie et au travail à l'image.

Quelle est la situation au Liban pour un compositeur ?

K.M : Pour vivre, j'ai dû faire de la musique de pub, devoir composer rapidement sur 30 secondes d'image. J'ai ainsi testé beaucoup de choses. Il n'y a pas de marché de cinéma au Liban, c'était la seule manière de vivre. Il n'y a pas d'infrastructures comme en France. On ne peut pas être intermittent du spectacle. Donc je répondais à des commandes, tout en composant pour des copains. Au Liban, on a la chance de travailler sur un terrain qui est assez vierge, les dernières grandes musiques de films dans le cinéma libanais c'était il y a plus de cinquante ans avec des films qui ont fait chanté Fairuz. Et depuis il n'y a plus eu de véritables expériences avec des B.O au Liban. Avec cette musique-là, j'essaie d'amener cette terre, cette odeur des vieux films ou des vieilles B.O, mais avec mon approche, mon histoire musicale personnelle qui est universelle.

Comment s'est enclenché votre parcours pour le cinéma ?

K.M : La première fois que j'ai travaillé de manière professionnelle en dehors de la pub, c'était pour "After Shave", un court-métrage de Hany Tamba, nommé aux Lutins du court-métrages pour sa musique et vainqueur du César en 2006. Il y avait beaucoup de musiques dans ce film. Dés ce petit film, j'ai appris à travailler sur le scénario, et non pas à l'image. A la lecture, je fantasme sur le texte. Cela permet au réalisateur de filmer avec ma musique. En pub, les producteurs mettaient de la musique temporaire pour faire le montage et montrer le film aux clients. Cela tuait la créativité du compositeur car tout le monde s'habituait à cette musique temporaire. Ainsi, pour le cinéma, je travaille toujours avant le tournage en m'inspirant du texte.

Dés ce court-métrage, votre musique a un thème qui se reproduit de manière rituelle...

K.M : Ma vraie découverte musicale du thème était dans le film de Carol Reed "Le Troisième Homme", musique de Anton Karas, j'y ai reconnu un simple thème, un instrument, un arrangement, qui donnait une certaine émotion aux situations. J'ai donc repris cette idée pour "After Shave".

Au delà du thème, quelles sont vos influences ?

K.M : Je viens plus de la musique que du cinéma, donc je suis inspiré des grands de la musique savante. J'ai appris la musique avec Bach en analysant ses petites chorales. Mais la première fois que j'ai fait attention à une musique dans un film, c'était chez Kubrick avec les airs de Strauss. Auparavant, je ne distinguais pas la musique des images, mais dans "2001, Odyssée de l'espace", je reconnaissais les musiques.

Votre inspiration s'avère assez occidentale mais vous employez tout de même les instruments locaux du Liban...

K.M : Puisque mes films, pour le moment, sont basés à Beyrouth, on y trouve des instruments locaux, même si mon éducation de musique occidentale provoque un mélange. Je joue avec les instruments orientaux sur des gammes mineures à l'occidental, et ça marche. Le Liban est tourné vers l'orient mais a les pieds dans la Méditerranée, ma musique s'en ressent.

Concernant CARAMEL, comment s'est produite la rencontre avec Nadine Labaki, la réalisatrice ?

K.M : Je l'ai rencontrée à Paris alors qu'elle écrivait un scénario. Elle avait beaucoup aimé "After Shave", donc elle m'a proposé de travailler sur son film. Elle aime beaucoup les musiques italiennes (Morricone, Rota). Elle me faisait écouter ces musiques, ainsi que Fairouz, musique libanaise. J'ai essayé de savoir ce qu'elle aimait, connaitre ses références musicales, puis j'ai lu le scénario, et le travail a commencé. Elle a utilisé toute la musique que j'ai produite. La réalisatrice aimait tellement la musique, que je devais me battre pour qu'elle en enlève. Il faut trouver le juste équilibre. Cela s'est très bien passé, ça s'est même terminé en histoire d'amour.

La musique est dansante comme du Tango...

K.M : J'ai beaucoup analysé Astor Piazzolla. C'est un type qui écrivait du tango, en le rendant universel et classique. Il a employé des moyens savants, pour un genre mineur. Cette méthode m'a guidé. J'utilise aussi la valse. Il y a des rythmiques proche de celles de l'orient. A certains moments, ma musique est présente lors du tournage et les comédiens l'entendent, ce qui peut influer sur leur jeu, comme pour une danse.

Vous avez conçu un album de chansons, "Champs arides", quel regard portez-vous sur la chanson française ?

K.M : Mon album est en effet catalogué ainsi, mais je n'écoute pas l'actuelle chanson française, je n'aime pas être inspiré par mes contemporains. A propos de la langue, ce n'est pas un choix, c'est naturel puisque je suis francophone. J'aime beaucoup la folk, le "song writing" ou des gens comme Gainsbourg en France qui ont un sens aiguë de la mélodie, d'ailleurs si on lui enlève les paroles, on a l'impression d'entendre une musique de film. Un compositeur de film est aussi un faiseur de thèmes comme avec une chanson de trois minutes.

Paris vous inspire musicalement...

K.M : En fait, je suis davantage inspiré par Paris quand je ne suis pas à Paris. Ici, je suis écrasé par les étiquettes, alors que très loin, j'écris ce que je ressens, ce que je n'oserais pas forcément faire ici. Paris, c'est de la littérature, du cinéma. Paris est une sorte de fantasme. Je préfère écouter Gainsbourg coincé dans un embouteillage à Beyrouth que de l'écouter près de la Tour Eiffel. Ca prend une autre dimension.

Vous travaillez vos musiques de films comme vos chansons ?

K.M : Non, ce n'est pas la même construction, même si une musique de film est aussi un thème assez court, pas comme l'approche classique de la musique. Un thème assez court c'est une chanson dont on a enlevé les paroles et dont on a joué la mélodie principale avec un autre instrument. C'est là où la similarité est proche. Mais j'ai la chance de travailler avec quelqu'un qui aime beaucoup la musique, qui aime mettre des chansons dans ses films, ce qui n'est pas aussi courant. C'est un mélange de genre assez compliqué à faire, de manière subtile parce que la comédie musicale est un genre avec ses règles, ses méthodes, donc mélanger les genres c'est délicat en général.

En 2008 vous retrouvez Hany Tamba pour "Une chanson dans la tête"...

K.M : Hany Tamba a réalisé UNE CHANSON DANS LA TETE dans la foulée de CARAMEL, donc je me suis attelé à la composition de cette BO directement.

Ecrire une chanson pour Bruno Caprice, le personnage de Patrick Chesnais dans ce film, qu'est ce que cela a changé par rapport à votre album de chansons ?

K.M : J'aime bien écrire pour les autres, mais l'idée ici était d'écrire un faux tube des années 70, avec un aspect ringard, dans la forme et dans le texte, avec l'inspiration de "Capri c'est fini" ou "Aline" de Christophe, c'était cela la difficulté. Ce film est l'histoire d'une chanson qui ressurgit. Il y a souvent des chansons des années 60 que l'on croyait oubliées mais qui ont marché dans des pays lointains et qui ressurgissent un jour. C'est l'idée qu'une chanson reste vivante. J'ai écrit les paroles du tube "Quand tu t'en vas", le réalisateur a écrit les autres.

Quel fut le travail avec Patrick Chesnais ?

K.M : Il a été coaché par quelqu'un pour la voix puis il est venu chez moi à Beyrouth un mois avant le tournage pour enregistrer les chansons du film. Il y en a plusieurs, il y a le tube des années 70, il y a celle que le personnage va composer à Beyrouth, et une réinterprétation d'un faux tube d'un groupe local. Sur ce travail j'ai découvert en Patrick Chesnais un acteur formidable, entier, et qui a une sacrée voix. Il a aussi la carrure d'un chanteur, c'était une belle surprise.

Il n'y pas que des chansons dans ce film, il y a aussi des instrumentaux...

K.M : La bande originale est assez différente de celle de CARAMEL, avec des influences sud-américaines, méditerranéennes, un peu de country, de blues aussi. C'est très différent de ce que j'ai fait pour CARAMEL mais avec tout de même ce même travail sur les instruments solistes, sur les timbres avec l'association d'instruments inédits, comme l'association du "pianotoy" et d'un luth, ou entre un harmonica et une harpe orientale.

En 2011, vous retrouvez Nadine Labaki avec ET MAINTENANT ON VA OÙ ? Quels éléments ont inspiré la musique et les thèmes ? Avez-vous travaillé sur la lecture du scénario ?

K.M : C'est un film en partie musical, donc il y avait beaucoup de scènes chorégraphiées et chantées où la musique devait être travaillée en amont, et où les textes des chansons devaient accompagner le scénario. Donc on a dû travailler avant la réalisation. Je trouve que le compositeur donne un apport beaucoup plus important au film quand il intervient vraiment à la naissance du projet. On a ainsi réfléchi à la lecture du scénario à la place des mélodies associées à certains personnages, à certaines thématiques du film (la tristesse, la joie...). Dans ses films, Nadine passe souvent du rire aux larmes et le cerveau reçoit des informations complètement contradictoires à des intervalles très serrés. Ainsi on se retrouve en train de pleurer et d'avoir un fou rire juste après. Je devais interpréter ça musicalement dans le film, et c'est assez compliqué à faire mais c'est agréable d'essayer de rentrer de façon pernicieuse dans l'émotion des gens. Assister au tournage par la suite est quelque chose aussi de très important, voir les paysages ou les photos des lieux avant le tournage. A tous les niveaux du tournage j'essaie d'accompagner l'émergence du film. Les images imposent une certaine musique que le texte n'a pas.

La partition de ET MAINTENANT ON VA OÙ ? est construite avec un quatuor à cordes, donc plutôt dans un langage occidental, dont on sent les influences de Bach...

K.M : Oui, j'ai appris la musique à travers les chorales de Bach. J'ai commencé tard la musique donc c'était le moyen le plus simple de l'aborder, avec ces petites chorales de Bach. Dans la musique classique, il y a de quoi mettre au chômage tous les compositeurs de musique de film. Il y a tellement de richesse thématique dans toutes ces musiques, on ne peut que être issu de ce monde-là pour aborder la musique de film. Maintenant, j'ai cette base qui est la musique classique universelle et aussi l'approche orientale, l'apport des quarts de temps... Il y a un quatuor à cordes qui joue beaucoup de choses, mais aussi beaucoup d'instruments orientaux, une contrebasse qui joue - ce qui est très rare d'ailleurs - des thèmes orientaux avec un contrebassiste américain qui a étudié ce genre-là. C'est toujours dans ces mélanges, dans cette dentelle entre tous ces mondes sans excès. Mais c'est surtout ma sensibilité et ma personnalité.

Le sujet du film est un mariage dans tous les sens du terme, un mariage entre deux cultures, deux religions. En quoi cela est-il présent dans la musique ?

K.M : Cela m'a donné l'idée dans plusieurs endroits du film de décrire une musique religieuse chrétienne mélangée à des chants religieux musulmans. Le film commence avec un kyrie chrétien mélangée avec des chants musulmans, qui donnent du sens au film. Travailler sur un film qui a un sens profond universel, un message, ça donne des ailes à un compositeur, ça le pousse à aller encore plus loin. Ce n'est pas une petite comédie sympathique, non, il y a vraiment un message, c'est un film à valeur universelle qui a un message très important dans l'actualité du monde aujourd'hui, et on a vraiment l'impression de participer à un projet qui a du sens.

Et quel a été le travail sur les chansons de ce film ?

K.M : C'est de la post-synchronisation. Mais c'était assez compliqué parce que Nadine a le souci du réalisme de la scène, elle veut que ce soit des acteurs même s'ils chantent mal, tandis que moi j'ai envie que la chanson soit jolie et bien interprétée. Il faut faire des concessions entre les deux. Les acteurs sont venus dans le studio interpréter toutes les chansons, dont une écrite par Nadine.

Le côté populaire de ces chansons participe à l'universalité du propos...

K.M : L'important est que le film touche le plus grand nombre possible de personnes. La productrice du film était venue me dire à propos de cette chanson, qui était la fabrication des gâteaux au hachich, qu'elle avait besoin d'une chanson qui fasse chanter, bouger les gens. Cette chanson représentait pour moi le plus grand défi. Comme dans cette scène où il y a des prostituées russes, qui doivent aussi interpréter une partie de la chanson, j'ai imaginé un genre de polka, et c'était une scène assez réussie du film. C'est un thème que j'ai rêvé la nuit. Je me suis réveillé à cinq heures du matin avec le thème, j'ai couru au piano, je l'ai enregistré et je suis retourné me coucher.

En quoi le fait que la réalisatrice soit votre compagne a une incidence sur la collaboration ?

K.M : Il y a beaucoup de binômes réalisateur & compositeur au cinéma qui ont fonctionné comme des couples, sur plusieurs films et qui ont donné des choses très intéressantes, lorsque le compositeur connaît l'univers intérieur du réalisateur, et peut lui amener des choses intimes. Mais mélanger ce travail avec le privé n'est pas toujours facile. Ce n'est pas naturel de rentrer le soir dormir avec le réalisateur d'un film (rires). Ce sont des projets qu'on porte dans la famille pendant un an et demi sur chaque projet, c'est une vie qui s'arrête au profit d'un film. C'est assez fatigant, mais intéressant.

Avez-vous le sentiment de faire une oeuvre personnelle pour le cinéma ?

K.M : On est au service d'un réalisateur. Mais heureusement, les réalisateurs m'ont permis de faire des musiques qui peuvent être écoutées sans le film. Elle est prédominante. Alors qu'il existe des réalisateurs qui veulent qu'elle soit au contraire effacée. Mon travail avec Nadine et Hanni est de leur donner des thèmes en amont et de les laisser se les approprier, s'y habituer. Et j'aime par dessus tout le minimalisme, sans surcharges, faire résonner les instruments solistes.

 

 

Propos recueillis par Benoit Basirico en 2007, 2008, 2011 (3 entretiens ont été ici réunis)

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