Cinezik : Comment est né votre désir de faire des musiques de films ?
René-Marc Bini : J'étais pianiste depuis l'âge de six ans puis j'ai fait des études scientifiques. A la sortie des études, j'ai réalisé que je n'avais rien à faire là-dedans. La seule chose qui me plaisait était la musique. Alors je me suis lancé. Après le piano, j'ai fait du rock, j'ai appris la basse, j'ai même appris à chanter. C'était une curiosité générale. Et je voulais absolument faire des musiques de films parce que je pensais que c'était un lieu où on pouvait mélanger les styles, c'est ce qui me plaisait. Quelques années plus tard, je me suis aperçu que ce n'est pas tout à fait vrai, mais ça le reste en partie. Même s'il y a des gens qui raisonnent par formatage, sans s'en rendre compte, il y a aussi une possibilité de faire des musiques qui ne trouveraient pas auditeurs sur un CD. Je me suis acharné, j'ai attendu de trouver l'opportunité. Je voulais faire ça depuis toujours et depuis les années 90 j'ai enchaîné les films.
Vous avez débuté au cinéma grâce à Cyril Collard pour LES NUITS FAUVES (1992) ?
R-M.B : Cyril était mon ami d'enfance, donc il m'a en effet fait rentrer dans le cinéma. Il était un peu comme mon frère. On était tout le temps ensemble. Il m'a initié à faire du bateau. On a navigué ensemble pendant trois ans. On a fait des groupes ensemble. Donc évidemment sur ses premiers courts-métrages il m'a demandé de faire la musique et quand est arrivé LES NUITS FAUVES j'ai travaillé aussi dessus. J'ai même joué comme acteur dans le film alors que je ne suis pas acteur.
Quel était pour Cyril Collard son rapport à la musique ?
R-M.B : Cyril ne voulait pas vraiment d'une musique de film, de quelque chose qui vienne faire une narration parallèle. Il voulait juste une sorte de patchwork. Je peux difficilement parler de cette histoire parce qu'on était amis avant tout. Pour moi, c'était très particulier.
Avec Michel Blanc, deux ans plus tard avec GROSSE FATIGUE, vous êtes sorti pour la première fois de votre cercle d'amitié ?
R-M.B : J'ai fait d'autres films entre LES NUITS FAUVES et GROSSE FATIGUE, des séries télé, des films d'animation. Mais quand j'ai rencontré Michel Blanc, c'était en effet la première fois qu'il s'agissait de quelqu'un de connu, et que je ne connaissais pas personnellement. Ce n'était pas intimidant, mais c'était difficile. J'ai beaucoup d'admiration pour lui, c'est quelqu'un de très brillant et intelligent, le film est scénaristiquement assez génial, c'est aussi un très bon acteur. En revanche, travailler avec lui n'était pas un cadeau. Il m'a fait confiance au moment où j'avais terminé mon travail. Mais avant cela, il ne savait pas du tout ce qu'il voulait, il passait son temps à me dire qu'il fallait faire attention à la musique, parce que dans une comédie la musique est difficile, qu'on n'a pas le droit de faire quelque chose qui soit émotionnelle, parce que ça casse la comédie. Ce que je comprends très bien. Sa méfiance n'était pas une méfiance à mon égard, c'était par rapport à la musique, il n'y avait rien de personnel. C'est juste dommage de ne pas avancer main dans la main dans quelque chose. J'ai passé beaucoup de temps à proposer des choses très différentes les unes des autres. J'ai même proposé un boléro espagnol qui semblait lui plaire. Puis finalement je l'ai mis dans un tiroir. Cela ne me dérange pas, ça fait partie du travail de musique de film.
Malgré cette défiance de la part du réalisateur, la musique de GROSSE FATIGUE demeure malgré tout très présente, et pertinente...
R-M.B : Il reste tout de même quelque chose de cette difficulté à collaborer dans le mixage du film. La musique est vraiment sous mixée. Je considère aujourd'hui avec le recul que la musique n'a pas été utilisée comme il aurait fallu.
Tout de même, ouvrir le film avec des percussions japonaises, c'était une idée assez singulière que le réalisateur a permis...
R-M.B : Oui bien sûr, c'était son idée en plus. C'est à peu près le seul truc qu'il a amené. J'ai pris la balle au bond. Pour une fois que j'avais une proposition précise. C'était effectivement une bonne idée. Et c'était pour moi la découverte de ce type de percussions. C'était intéressant.
La musique n'est pas effacée, sous la forme de nappes, elle est un vrai personnage...
R-M.B : C'est ce que j'ai essayé d'amener. Michel Blanc ne voulait d'ailleurs pas de nappes. J'ai fait des propositions et on fonctionnait par réaction. Pour le choix des emplacements, j'ai écrit des morceaux pour toutes les séquences où je pensais qu'il fallait de la musique. Et in fine, elles sont restées telle quelle... mais sous mixées.
Et pour la chanson du générique de fin, "Oh La La Joie", c'était une demande de votre part ?
R-M.B : Non non, c'était une demande de Michel qui voulait une fin un peu dans le style du cabaret. J'ai alors composé la musique à partir d'un texte qu'il m'a envoyé. Ce n'est pas ce qui m'a pris le plus de temps. A partir du moment où il y avait une demande précise, c'était simple, d'autant que pour la chanson, on est dans un type de morceau assez formaté. On y va à fond, on prend un accordéon, une petite batterie Shuffle, des chanteurs de rue, et le tour est joué. Je me suis amusé à faire ça pour la première fois de ma vie. C'était une valse, avec quand-même des cordes enregistrées à Londres.
Est-ce que la collaboration avec Bruno Podalydès sur LIBERTÉ-OLÉRON (2001) était différente ?
R-M.B : LIBERTÉ-OLÉRON était aussi un film atypique. Mais avec Bruno, c'était très vite beaucoup de plaisir. Il ne savait pas davantage ce qu'il voulait, mais très vite, au lieu de me freiner, il a été au contraire très positif en m'encourageant à développer mes idées. Je suis intervenu une fois le film monté, et des musiques étaient posées par le monteur. Il y avait du Ravel, donc c'était intimidant. Mais le réalisateur voulait vraiment une musique originale au final.
Pour ce type de comédies décalées, d'où vous vient l'inspiration ?
R-M.B : Pour des films aussi atypiques, c'est vraiment la direction du réalisateur qui doit déterminer le type de musique que l'on va faire. Car il n'y a pas une seule solution, il y a plein de choses différentes possibles. Il faut absolument entrer dans une relation symbiotique avec le réalisateur. Il faut y croire ensemble.
Comment déterminez-vous vos choix instrumentaux ?
R-M.B : Je n'hésite pas à aller chercher des instruments qui ne sont pas forcément dans le cliché de ce qu'on est en train de faire. Par exemple, dans LIBERTÉ-OLÉRON, il y a la Sanza (un petit piano à pouces africain). Je l'emploie pour sa sonorité, sans convoquer pour autant la culture du pays dans lequel il est utilisé. Les instruments sont utilisés comme des sons. Ça apporte quelque chose qui n'a pas d'équivalent.
Quelle est votre approche mélodique ?
R-M.B : J'ai plutôt tendance à vouloir mettre des mélodies, mais j'ai réalisé ces dernières années que le côté mélodique est de moins en moins prisé. Ce que je comprends. Il y a derrière les thèmes un aspect qui rappelle la musique de film d'il y a 30 ans, une époque où il y avait un thème qui était dérivé dans tous les sens, avec plein d'harmonies différentes. Aujourd'hui, cela fait donc un peu daté de vouloir mettre une mélodie. Donc je m'adapte à cette tendance. On va vers l'illustratif. Mais on peut développer un thème musical sans qu'il y ait vraiment une mélodie. Par exemple, quand j'ai fait la musique du film ILS (2006, David Moreau et Xavier Palud), une musique essentiellement illustrative, j'avais compris qu'il ne fallait surtout pas de thèmes.
Quel est votre rapport au son d'un film ?
R-M.B : Il est très important. Mais le son ne raconte pas d'histoire, ce qui est le rôle d'une musique. Quand la musique devient illustrative, essentiellement à effets, on perd cette dimension narrative de la musique.
Que représente pour vous la collaboration avec Marion Hänsel (NOIR OCÉAN en 2011, LA TENDRESSE en 2013) ?
R-M.B : Marion est pour moi l'exemple d'une collaboration idéale, artistiquement. Elle ne sait pas ce qu'elle veut mais elle m'amène tous les éléments qui vont nous permettre de réfléchir ensemble. Et une fois que j'ai commencé à travailler, elle est très exigeante. Elle m'a beaucoup aidé à épurer les musiques, à enlever des choses dedans, et à ne laisser que l'essentiel.
Vous êtes capable d'aborder tous les genres, est-ce une nécessité de la musique de film d'être un peu caméléon ?
R-M.B : Quand on a traversé un certain nombre de courants musicaux, on peut dire qu'on n'a pas mal de cordes à son arc en effet. C'est surtout le plaisir de découvrir de nouvelles façons de faire. Mais on a souvent des étiquettes. Par exemple, quand j'ai fait LES CAPRICES D'UN FLEUVE (Bernard Giraudeau, 1996), dès qu'un film se tournait en Afrique on m'appelait, pas forcément pour les bonnes raisons. Les gens me mettent une étiquette différente selon les circuits dans lesquels je suis. À une époque, quand j'avais travaillé sur le film de Beineix ROSELYNE ET LES LIONS (1989), pour la séquence finale, j'avais tout fait avec des machines, et on m'avait classifié "compositeur high-tech". Et après on fait de la musique africaine et on est africain, puis on est baroque. Tout cela n'a pas de sens. Je suis un spécialiste de rien, à part de trouver quelle est la solution pour chaque film. Je sais parler à n'importe quel type d'instrumentiste. Un mec qui joue de la Kora, on ne va pas lui parler comme avec un violonniste, on ne va pas lui écrire une partition. Il y a plein de façons de transmettre ce que l'on veut entendre. Cette diversité me plaît et me ressemble. Chaque film est un peu comme un voyage. Et j'adore voyager.
Pour terminer, parlez-nous de votre projet "Music Morphing" ?
R-M.B : J'ai produit un certain nombre de musiques depuis 10/15 ans. Plutôt que de me battre pour faire augmenter les budgets, je ne me faisais pas payer de cachets de compositeur, et en contrepartie je gardais les droits de la musique. Du coup j'étais producteur/éditeur de toutes les musiques. Au bout d'un moment, je me suis retrouvé avec plein de musiques pour lesquelles je pouvais faire ce que je voulais. J'en ai profité depuis un an pour développer cette plate-forme, basée sur le principe d'une librairie musicale très particulière dans la mesure où je propose aux gens de venir retravailler la musique après, d'ajouter ou d'enlever des pistes. Cette idée m'est venue du fait que je l'avais fait plusieurs fois avant. C'est-à-dire que souvent il m'est arrivé de reprendre des bases qui existaient pour développer une nouvelle musique. Et parfois on arrive à des choses qui sont très différentes.
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