Cinezik : Que représente pour vous la collaboration avec Albert Dupontel ?
Christophe Julien : Albert et moi, on a quand même des univers très opposés. Albert vient de films assez énervés comme ENFERMÉS DEHORS (2006). Mais tout d'un coup une sensibilité s'est dégagée de films en films, qui a commencé par se développer dés LE VILAIN (2009). En terme d'émotion et de composition musicale, les trois films faits ensemble ont été une vraie aventure.
Comment les échanges sur la musique s'opèrent entre vous ?
C.J : Je me laisse entraîner par la vision du réalisateur. Albert a sur chaque film des points de vue différents, il traite de sujets différents, toujours avec un point de vue particulier, très humain, sensible. C'est ce qui m'intéresse. Et à chaque fois, il y a une évolution. Il ne prend jamais le même axe. Et cela influe sur les musiques en elle-même, sur leur espace, sur leur modularité. On parle ensemble des détails de l'orchestration, on peut avoir ensemble ce discours-là, ça va très loin. Ce n'est pas juste en écoutant un morceau, se dire qu'on aime ou pas. On détaille l'orchestration, on l'affine. Albert est fan de musique. Il a des sensations et des instincts. Je me laisse guider par ses sensations. Sans parler des notes, il a d'un coup une pulsations. Et je compose dans ce sens là un morceau. Il m'emmène sur des directions vers lesquelles je n'irais pas forcément naturellement. Albert m'emmène très très loin dans un univers. Et on a basculé avec ce film. Albert a fait le film de ses rêves, et moi ça m'a amené à développer des univers que je n'aurais jamais pu développer. On a réellement franchi un cap ensemble.
Pour AU REVOIR LÀ-HAUT, comment avez-vous défini la musique qu'il fallait pour ce drame historique ?
C.J : On pense souvent à un thème qui va coller à un personnage, que ce soit dans 9 MOIS FERME (2013) ou AU REVOIR LÀ-HAUT, on réfléchit en terme de thématiques et d'émotions pour coller à la peau des personnages, d'être avec eux, on a le modèle de Nino Rota avec Fellini ou de Ennio Morricone avec Leone. On essaie à un autre niveau de travailler dans ce sens, d'anticiper la musique avant même le tournage, pour créer la thématique, de façon à ce que Albert ait de la musique sur le tournage.
Dans AU REVOIR LÀ-HAUT, il y a en effet le thème d'amour... avec une version chorale pour la fin du film...
C.J : Le thème pour l'amour entre Pauline et Albert est décliné plusieurs fois dans le film. On avait envie d'en faire quelque chose d'assez large. Albert a repensé à Morricone, à des choses comme "Il était une fois dans l'Ouest", où tout d'un coup il y a la voix qui volait au-dessus de l'orchestre. C'est donc un hommage à Morricone. Pour ce type d'orchestration, le fait d'intégrer une voix chantée à l'intérieur, on joue avec une palette très large. On teste une couleur sur un passage et on voit ce que cela provoque en terme d'émotions et de jeu. Le visuel du film est aussi très large, on sent l'histoire qui est derrière, c'était vraiment agréable, cela m'a permis de travailler l'orchestration de manière complètement différente par rapport à d'habitude, beaucoup plus élargie, beaucoup plus travaillée que dans 9 MOIS FERME.
Albert Dupontel vient d'un cinéma burlesque proche du cartoon, y a t-il eu dans ce nouveau film la tentation d'une synchronisation "michey mousing" ?
C.J : C'est constamment de la synchronisation. C'est ça la difficulté. Dans la manière de tourner d'Albert la synchronisation de la musique devient une évidence. Tous les passages sont synchronisés à la trame prêt, que ce soit des séquences de travelling, ou des séquences d'émotion. Il y a toujours la question de comment rentre un thème, à quel endroit précisément. Il y a peut-être moins de "michey mousing" dans ce film, sauf dans une scène où Albert est seul et va chez les Péricourt, il y a trois minutes de musique totalement synchronisées. La musique s'implique totalement à l'image.
Votre musique parvient à exister malgré la forte présence de titres existants...
C.J : On a brassé beaucoup de musiques préexistantes, dans le sens d'une musique d'époque (Ravel, Fauré, Milhaud, Satie), c'était notre quotidien. On a écouté beaucoup de choses, et il y a des résonances de cela un peu dans le film. C'est un travail fait en amont. Parfois Albert me disait qu'un passage n'était pas très important musicalement, sans thématique, qu'un morceau préexistant marchait bien. Autant se concentrer sur l'essentiel, sur la force thématique de certains passages qui pour Albert étaient vraiment primordiaux. Cela ne me pose pas de problème, que ce soit des chansons d'époque ou des musiques de films comme Morricone ou Rota, pour moi c'est un honneur d'être avec eux. La difficulté était de créer un score qui soit cohérent par rapport à leur univers musical. Et malgré ces références, il y avait tout de même besoin d'un vrai score composé. Les musiques additionnelles ne se suffisaient pas.
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)