Cinezik : Comment considérez-vous cette présence d'un compositeur dans le jury cannois ?
Gabriel Yared : Pedro Almodovar était formidable ! Il y a eu cinq compositeurs jusqu'à présent, ce qui n'est pas beaucoup pour 70 ans du festival. Mais je crois que petit à petit la direction du festival y vient. Ce n'est pas pour avoir un spécialiste en fait. Je vous assure que dans les 20 films que j'ai regardés, je n'ai pas trop fait attention à la musique. J'ai pris ce rôle très au sérieux. Je m'y suis préparé sur le plan physique. J'ai arrêté le gluten, l'alcool, les laitages, c'est étrange, pour retrouver de l'énergie. Je me suis dit qu'il va falloir que je m'accroche, que j'ai toute ma conscience, que mon jugement soit intact.
Vous n'avez vraiment pas fait attention aux musiques dans les films de la compétition ?
G.Y : Je n'ai pas fait attention à la musique, mais certaines m'ont indisposé, ça arrive. Et j'ai quand même entendu des musiques intéressantes, dans un film russe (Ndlr : "Faute d'amour"), une musique qui n'était pas très envahissante, mais je n'ai pas écouté de musiques transcendantes avec un film transcendant. De toute façon, un compositeur n'est pas là pour parler ou juger de la musique. Un compositeur est un être sensible qui palpe et ressent tout. Quand il voit un film, il en voit la structure, il en voit la mise en scène, les acteurs, c'est un ensemble. C'est un ensemble très intéressant car il réunit finalement tous les arts. Il y a de la chorégraphie, de la littérature... et même de la sculpture parfois au cinéma. Et la musique vient se greffer à cet ensemble d'art. Je n'étais pas au départ cinéphile. C'est ce que j'ai dit d'ailleurs à Thierry Frémaux, quand il m'a demandé d'être membre du jury. Ca lui était égal. Il voulait juste avoir le sentiment d'un artiste. C'est ce que j'ai essayé d'apporter dans ma participation au jury. Et comme je suis du matin, je faisais tous les jours la projection de 8h30. C'est la projection de presse, j'aimais bien, il y avait une atmosphère électrique, avec parfois des huées. Souvent, après avoir vu le film, je prenais quelques notes, et 2/3 jours après je me rendais compte que ces notes, n'étaient pas obsolètes mais qu'elles n'étaient pas assises sur un véritable jugement. On a besoin de revoir le film en soi. C'est ce que je fais en tant que compositeur, quand je compose j'arrête l'image et je m'en rappelle. On a besoin d'y réfléchir, que ça mûrisse vraiment. C'était très intéressant aussi d'entendre les avis des autres membres du jury, qui viennent d'Asie, de Corée ou de Chine. D'entendre parler Park Chan-Wook était passionnant pour moi, comme d'entendre également Fan Bingbing qui est chinoise. J'en suis ressorti avec un grand blues quand ça s'est arrêté.
Le blues post-festivités ?
G.Y : On n'était pas là pour les festivités, il fallait se lever tôt le matin. On était évidemment invités parfois à certaines cérémonies, mais on n'a pas fait la fête. Mais pour moi c'était la grande fête de mes retrouvailles avec le cinéma. J'ai un autre point de vue maintenant, sur ma compréhension de l'œuvre cinématographique. Et en cela, le festival de Cannes m'a vraiment beaucoup apporté.
Que pensez-vous de l'absence de prix pour la musique au palmarès ?
G.Y : J'aimerais qu'il y ait un prix pour la musique, c'est sûr. Pour le moment il y a un prix pour les acteurs et actrices, pour le meilleur scénario, et pour les films, mais il n'y a pas non plus de prix pour le meilleur décorateur. Il y a peut-être la crainte que si on commence par la musique d'autres puissent s'installer. Cela dit, je pense que la musique est un élément tellement important dans le cinéma qu'elle mériterait d'avoir un prix à Cannes. Ça va venir, j'ai confiance dans ce que m'a dit Thierry.
A suivre avec LA PROMESSE et la PHILHARMONIE...
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
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