Cinezik : De VIRGIN SUICIDES à Méliès, est-ce le même travail ? Composer pour l'image, c'est un peu être caméléon ?
Air : Ce n'est pas le même travail car ce film-là est muet, la musique est présente du début jusqu'à la fin sans interruption. Donc la musique ne joue pas le même rôle. Là, dans le cas de Méliès, la musique joue le rôle du narrateur, elle raconte l'histoire, elle doit un peu remplacer les dialogues. Au cinéma, il y avait l'habitude d'avoir un bonimenteur, mais là le public n'a aucune information. Alors que pour VIRGIN SUICIDES, c'était une musique plus classique où entre les scènes la musique crée des liens et conçoit un thème unique. Alors que dans le cadre d'un film muet, ce sont des thèmes différents, ce qui ressemble à une course sans fin.
Cette partition s'est faite très rapidement à la vision des images ?
On avait vraiment 12 minutes de film à composer et c'est assez paralysant parce qu'on a aussi peur d'abreuver. En fait, ça marche par tableau, il y a plusieurs tableaux dans le film, et certains tableaux sont assez longs, donc il fallait vraiment penser à des morceaux évolutifs, c'était une contrainte.
La musique est rythmique et cela rend le film de Méliès assez pop...
Oui. Ce sont des partitions qui ont un côté organique avec la batterie, les timbales, les percussions, il y avait l'idée quand même de l'organique par rapport à des rythmes, des boîtes à rythme et des ordinateurs. Il y avait un côté "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band". Et finalement, le côté pop colle vraiment bien avec le film. C'est vraiment chouette, ça va être notre album le plus pop. Et pour moi dans le film de Méliès de 1902, le Paris des années folles est un peu l'équivalent des années 1960 à Londres, le Swinging London, c'est ce qui s'est passé à Paris à cette époque-là. C'était un aimant pour tout ce qui se passait dans la vie nocturne ou artistique. Paris était un centre incroyable, il y avait un vent de folie et il y avait aussi pas mal de substances hallucinogènes, de l'absinthe, de l'opium, des choses comme ça.
Méliès est avant-gardiste, ce film est comme si un clippeur avait fait un clip de votre musique, on pense à Gondry. Le défi était de travailler à l'inverse, parce que c'est votre musique sur des images pré-existantes, on apprécie certaines synchro.
On avait des images de travail qui n'étaient pas aussi belles que celles qu'on a pu voir après, mais qui avaient quand même des bases, comme la gamme des couleurs, des expressions... On a demandé si le timing allait être exactement le même parce qu'on faisait des choses en se basant à l'image près, il ne fallait pas que ça change. L'image peut être dans un état dégueulasse, avec des bouts de rafistolage, et on a bien insisté sur cette condition, que ce soit le même timing, que la musique soit bien calée à la fin du film.
Sur ce film muet sans dialogues, vous avez écrit des murmures...
... avec des sons organiques, des bruitages, et des animaux aussi, pour ce côté poulailler un peu insupportable des bien-pensants, et à l‘inverse de Walt Disney qui donne aux animaux des voix d'hommes, on trouvait que c'était intéressant d'utiliser des voix d'animaux pour des humains. Quand on est musicien, on est un peu dans une bulle, c'est pour se soustraire au monde réel, et pour moi quand je vois les gens autour de moi, il y a une sorte de sauvagerie presque dégueulasse parfois.
Vous faites presque tout ensemble, comment cela se passe à vous deux ?
C'est la magie du duo musical, deux cerveaux valent mieux qu'un. On est complémentaire musicalement, on peut faire une B.O. entièrement sans faire appel à un musicien. On fait un peu l'orchestre. Finalement, l'intelligence c'est la capacité à voir les mêmes choses, générer des idées parfois paradoxales et différentes à propos de la même chose.
Chaque morceau raconte une histoire, on est capable de regarder un film rien qu'en écoutant la musique, on n'a pas besoin d'acteurs, de cameraman. Le son seul raconte une histoire. La musique, c'est très fort, c'est génial.
Cela fait penser à François de Roubaix...
Oui, de Roubaix, sur le piano pour la scène de décollage. Les américains peuvent faire du rock ou du blues, mais en France, il n'y a pas mieux que les français pour puiser dans ces racines qui sont de Roubaix, Legrand, Delerue, Vladimir Cosma, ce sont des choses avec lesquelles on a grandit. Les génériques de Cosma sont très kitsch, au second degré, mais on arrive à voir la beauté intérieure.
Vous êtes au festival de Cannes, vous attendez les films présentés ici ? Avez-vous des préférences pour certains films, des attentes particulières ?
Je suis très content de la projection du film de Woody Allen, j'adore MATCH POINT. Je trouve que Woody Allen est un cinéaste intéressant parce qu'il a eu plusieurs périodes dans sa vie et il excelle dans toutes ces périodes. Je pense que le cinéma qu'il fait maintenant n'a rien à voir avec celui qu'il faisait il y a vingt ans, il s'est régénéré comme si il avait une nouvelle personnalité.
Il y a Alexandre Desplat, qui sera là aussi.
Ah, alors moi je suis un énorme fan de Desplat, vraiment. On l'avait repéré parce qu'il avait fait la musique d'un film il y a quelques années, LOVE ETC. On nous avait demandé de remixer la chanson du film, d'arranger un peu pour que cela soit mieux et au final la chanson était très composée, c'était parfait, on ne pouvait pas faire mieux. Et puis on l'a suivi petit à petit et là avec mes enfants, j'ai été voir "Harry Potter" et la musique était vraiment très bien.
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