Nathan Barr : CABIN FEVER était un film à très petit budget. De ce fait, mon score devait nécessiter peu de moyens. Généralement, les compositeurs de films d’horreur à petit budget utilisent le synthé pour « l’underscore », les textures. Je suppose que j’aurais très bien pu aller dans cette direction, puisque le film était lui-même un hommage aux films d’horreur des années 70 et 80. Mais au final, j’ai préféré opter pour un score au son plus organique, avec le moins possible de textures électroniques. En tant que violoncelliste moi-même, j’ai pu m’enregistrer sur différentes pistes et mixer le tout jusqu’à produire l’effet d’une section complète de violoncelles. Avec l’ajout de plusieurs instruments personnels (percussions, cordes et vents), je pense avoir capturé des textures et des couleurs originales. Angelo et moi n’avons pas réellement travaillé ensemble car au moment où je suis arrivé sur le projet, il travaillait déjà intensivement sur un autre film. Sur les cinquante minutes du score, la contribution d’Angelo avoisine les cinq minutes.
Vous retrouvez Eli Roth cette année sur HOSTEL, film horrifique extrême. Votre approche de la musique d’horreur est plutôt classique, alors que le film se veut original et dérangeant : quelles ont été vos intentions musicales et celles d’Eli Roth sur la BO ?
Pour moi, HOSTEL a été un projet passionnant. Eli souhaitait dès le début un score orchestral, et après avoir vu quelques rushes, j’étais d’accord avec lui. Le style et la texture que nous avions créés pour CABIN FEVER auraient été complètement inappropriés dans ce film. La beauté de la photographie et la mise en scène d’Eli sur HOSTEL lorgnent vers un certain classicisme. Les ciels grisonnants et les arrières plans stériles demandaient une musique orchestrale. Après ma première vision du film, j’ai également été convaincu que le Glass Harmonica aurait un son approprié. Lorsque j’ai écrit le score, je me suis inspiré de certains de mes compositeurs préférés tels que Bernard Herrmann et Georges Delerue ; c’est pourquoi le résultat final est une musique dans la tradition d’Herrmann.
Que pensez-vous de l’approche des italiens, par exemple, dans le genre du film horrifique ? On pense par exemple aux mélodies désuètes de Morricone pour les films d’Argento ou celles de Riz Ortolani pour CANNIBAL HOLOCAUST, qui est par ailleurs le film préféré d’Eli Roth… Avez-vous entendu ces musiques ? Qu’en retenez-vous ?
Je suis un fan des musiques d’horreur italiennes ! Je me souviens après avoir vu DEEP RED d’Argento et d’avoir été soufflé par ses choix musicaux, qui défient toutes convention. Je pense notamment à cette scène où le personnage principal approche de la maison qu’il croit être celle où a vécu le tueur quand il était enfant : au lieu de créer une musique sourde et atmosphérique, les Goblin s’emballent avec un riff de blues détonnant ! Pour répondre à votre question, je suis un familier des musiques d’horreur de Morricone et d’Ortolani, et j’adore le son et les textures qu’ils ont employés.
Ne pensez-vous pas qu’aujourd’hui, le film d’horreur a du mal à se renouveler, aussi bien cinématographiquement que musicalement ? Comment évitez-vous le « déjà vu » ?
Oui, je suis assez d’accord sur le fait que le genre s’épuise aujourd’hui, mais la raison pour laquelle je reste très attaché à Eli est que je pense qu’il est l’un des seuls qui ont encore des choses à dire sur le sujet, et qui l’exploitent avec plaisir. Je pense qu’on peut s’attendre à voir quelques films d’horreur exceptionnels de sa part dans un avenir proche. Dans mon cas, du point de vue musical, je ne me fais pas trop de souci à propos de la répétition dans le sens où Eli est aussi concerné. Ecoutez les scores de CABIN FEVER et de HOSTEL, ils sont très différents. Je pense que le style d’Eli continue de s’affirmer et de se développer dans des directions passionnantes, et je suivrai sa voie tout au long de mon propre travail.
Vous composez par ailleurs pour la comédie, avec des films tels que CLUB DREAD ou THE DUKES OF HAZZARD : comment vous êtes-vous retrouvé sur ces projets ?
Ces deux films ont été réalisé par Jay Chandrasekhar. CLUB DREAD était mon premier projet avec lui, et la manière dont nous nous sommes rencontrés n’a rien de bien passionnant : mon agent m’a suggéré de le rencontrer, ça a fonctionné et nous travaillons encore toujours ensemble. Mon prochain film avec Jay est produit par la Warner et s’appelle BEER FEST. Jay est l’un des cinq membres d’une troupe de comiques connue sous le nom des « Broken Lizard » (Les Lézards cassés), c’est culte aux Etats-Unis ! Je suis ravi d’être impliqué dans leurs projets. Ce sont des types étonnamment doués et talentueux.
Vous avez aussi composé pour un western à la télévision, THE VIRGINIAN, réalisé et interprété par Bill Pullman. Que retenez-vous de cette expérience ?
THE VIRGINIAN était une bonne mais très difficile expérience pour moi. C’était un de mes premiers scores, et je crois que j’avais environ 24 ans quand j’ai écrit cette BO. Le premier compositeur sur le projet a été viré et Bill Pullman a dû engager un autre compositeur et compléter le score de 45 minutes dans un délai de deux semaines. Le film avait au départ un temp track du quartet de violoncelles « Apocalyptica », c’est pourquoi Bill cherchait absolument un violoncelliste. Je l’ai rencontré et j’ai écrit des démos très rapidement, puis j’ai été engagé. Le plus difficile dans ce projet a été de collaborer avec un réalisateur qui s’était séparé de son premier compositeur. Bill s’est assis derrière moi sur mon canapé pendant une grande partie du processus d’écriture, en remontant mon score au fur et à mesure que je l’écrivais ! Ce fut pour moi une leçon de patience et d’humilité, mais aussi difficile que c’était, ce fut une expérience très importante parce que ça m’a démontré que j’étais capable d’écrire en compagnie du réalisateur si je le devais. Au final, je pense que le score n’est pas parfait, mais il y a de jolis moments ici et là.
Parlez-vous un peu de votre formation musicale, de vos débuts au cinéma et à la télévision, de votre rencontre avec Eli Roth…
J’ai commencé par jouer du violoncelle et de la guitare dès mon plus jeune âge, mais je n’ai jamais songé sérieusement à la composition avant d’arriver à Los Angeles aux alentours de mes 23 ans. Durant mes années à l’université, j’ai laissé un peu tomber le violoncelle pour retourner à mon premier amour : le cinéma. J’ai travaillé pour une société de production pendant environ un an, avant d’accomplir une traversée folle de l’Amérique en voiture, de New York jusqu’au Brésil ! Je suis ensuite revenu à Los Angeles, où j’ai vu une annonce d’un grand compositeur d’Hollywood qui recherchait un assistant : il s’est avéré par la suite qu’il s’agissait d’Hans Zimmer ! Je suis donc allé à l’entretien et j’ai eu le job. J’ai travaillé avec Hans brièvement, environ huit mois, avant de me lancer moi-même en solo. Je voulais vraiment avoir une carrière personnelle telle que je l’entendais : c’est pourquoi j’ai quitté Hans. J’ai rencontré Eli via un producteur avec qui je commençais à travailler, et nous nous sommes plus immédiatement ! Il est venu chez moi et lorsqu’il a vu ma collection de films d’horreur en DVD, il a su que nous étions sur la même longueur d’onde. L’affaire a été vite conclue quand il a vu que j’étais abonné depuis des années à « Fangoria Magazine » ! (NDLR : magazine américain dédié au cinéma d’horreur, un peu l’équivalent aux Etats-Unis de « Mad Movies » en France)
Avez-vous des compositeurs de référence auxquels vous êtes attachés ? Ecoutez-vous vous-même de la musique de films d’horreur ? On pense parfois à Christopher Young, que vous avez d’ailleurs rencontré récemment lors d’une séance de dédicace à Los Angeles : vous connaissiez-vous avant ?
Oui, Chris Young et moi partageons la même agence, donc nous nous connaissions : je crois qu’on s’est rencontrés pour la première fois aux BMI Awards, qui se déroule chaque année à Los Angeles. Je suis effectivement familier de la musique de Chris, mais de là à affirmer qu’il a une influence directe dans ma musique, je ne sais pas… peut-être inconsciemment ! Cependant, l’une des musiques de film d’horreur que j’admire le plus est DRACULA de Wojciech Kilar : quel chef d’œuvre !
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