Cinezik : NIGHTMARES AND DREAMSCAPES est une série pour la television. Parlez-nous de votre travail pour ce média qui est votre spécialité, des contraintes du milieu de la télévision, des exigences artistiques liées au format de la série…
J'aime beaucoup le « challenge » de travailler pour la télévision. Je trouve que la gamme de supports offerte par la télévision est très large de nos jours, comme par exemple pour CARNIVALE, ROME et maintenant NIGHTMARES & DREAMSCAPES. Bien entendu, c'est le temps qui est le plus difficile à gérer. Je suis issu du milieu du Jazz, dans lequel j'avais l'habitude d'improviser, l'inspiration me vient donc assez rapidement, ça aide. J'aime aussi le côté réactif de la télévision parce que vous pouvez créer quelque chose une semaine, et à peine quelques semaines plus tard, des millions de personnes ont la possibilité d'apprécier votre travail.
Vous composez une musique pour l'ensemble de la série et le réalisateur l'emploie comme il le veut, ou vous travaillez sur chaque épisode un par un avec un rythme propre à chacun ?
Je compose chaque épisode comme un petit film. Concernant NIGHTMARES & DREAMSCAPES, c'était particulièrement amusant, parce que chaque épisode a une tonalité différente. Sur d'autres séries, comme MONK, ROME, CARNIVALE, c'est un peu différent. Une fois qu'il y a une ligne sonore et une thématique établie, évidemment, j'essaie de construire sur ce canevas, afin de conserver une unité dans la série, reconnaissable par les spectateurs.
Pour CARNIVALE, votre musique s'apparentait à un thriller digne de TWIN PEAKS avec ces tapis atmosphériques et cette étrangeté… Quel a été votre travail sur cette série ?
J'ai beaucoup aimé travailler sur CARNIVALE, et je crois aussi savoir que cette série a connu un assez bon succès en France. C'était une histoire et un cadre vraiment uniques. Les producteurs de chez HBO ont entendu parler de mon travail sur POLLOCK et ont aimé mon approche de l'héritage culturel américain (L' « Americana »). Bien entendu, il y avait aussi tout ce côté mystique, teinté d'apocalypse biblique. Une chose que j'ai particulièrement appréciée était d'utiliser la thématique des personnages pour exprimer leurs idées et leurs intentions. J'avais des sources thématiques pour Justin, Ben, Appolonia, Lodtz, Iris, etc… J'ai aussi aimé utiliser l'instrumentation de façon détournée afin de rendre compte de la période de misère que traversait l'Amérique à l'époque, avec le traitement que lui a insufflé Daniel Knauff (ndr : créateur de la série CARNIVALE).
Pour NIGHTMARES AND DREAMSCAPES: FROM THE STORIES OF STEPHEN KING, vous retrouvez cette étrangeté sur une série horrifique avec davantage d'enjeux dramatiques… Quel a été votre travail sur cette série ?
Je pense que c'est mon travail sur CARNIVALE qui a attiré l'attention des producteurs de NIGHTMARES & DREAMSCAPES. J'apprécie la forme d'écriture de Stephen King, qui développe ses histoires dans des directions inattendues. Il a également un grand sens de l'humour. Plusieurs épisodes tels que "Autopsy Rm. 4", "Hell of a Band", ou même "Battleground" avaient une forte dose d'humour noir, ce qui était assez amusant de conjuguer avec l'idée de peur. "The End of the Whole Mess" était une histoire et une adaptation de Stephen King, particulièrement bonne, dans la lignée de « The Shawshank Redemption" (ndlr : réalisé par Franck Darabont).
Que pensez-vous de votre éclectisme ? Vos partitions font varier les styles avec des passages orchestraux, puis des passages jazzy, puis des rituels étranges, des tapis atmosphériques…
J'aime cette idée de juxtapositions musicales. Je m'accorde souvent dans mon travail à essayer de faire s'entrecroiser différents styles afin de transporter le spectateur là où il ne s'attend pas à aller. Beaucoup de ces choix dépendent du matériau de base à partir duquel je travaille. La façon dont je ressens le jeu d'un acteur, ou le tempo donné aux dialogues. J'aime aussi utiliser ma palette de sons électroniques et de sonorités ambiantes, comme une façon de « faire surgir » la musique dans une scène.
Venant du milieu du spectacle, j'utilise souvent des morceaux solo avec ou pour remplacer le gros son orchestral qu'on a l'habitude d'entendre de la part de compositeurs de musiques de films. Le Jazz est une forme de musique de chambre, et la plupart de mes compositions reflètent cette esthétique. Je suppose que ça m'attire quelque part parce que je le ressens plus comme une sorte de "conversation" musicale. Je pense aussi que l'émotion qui se dégage d'un solo est un élément très fort lorsqu'il se fond parfaitement dans une scène.
Quelles sont vos influences? Du jazz, du classique, de la musique contemporaine, de l'électronique, de la World Music…
J'ai des goûts musicaux très éclectiques, et j'aime écouter tous les genres de musique. Voici quelques exemples d'artistes que j'admire : Peter Gabriel, Miles Davis, U2, Igor Stravinsky, John Adams, Keith Jarrett, Dimitri Shostakovich, Salif Keta, William Orbit, Harold Budd.
Comment abordez-vous l'utilisation des voix ?
J'ai considéré souvent la voix de soliste comme une touche de couleur dans ma composition. J'ai tendance à essayer de les utiliser de façon judicieuse, parce qu'elles peuvent être surexploitées. Il est certain que ça aide d'être entouré par de grands chanteurs – ma femme Joan chante dans beaucoup de mes compositions (CARNIVALE et NIGHTMARES par exemple). Elle a une formation classique. Nous avons même travaillé ensemble sur des registres d'opéra, pour une comédie romantique sur laquelle j'ai travaillé l'année dernière THE ENGAGEMENT RING (ndr : téléfilm sur la TNT américaine) et maintenant mon fils Henry (11 ans) a une très jolie voix de soprano ! Je viens juste de finir un beau film indépendant WHERE GOD LEFT HIS SHOES. C'est une histoire entre un père et son fils, et j'utilise le chant de mon fils Henry pour représenter la "voix" du personnage du garçon dans le film.
Je ressens également la voix comme étant l'instrument ultime. Je suis un trompettiste de Jazz, mais pendant longtemps j'ai toujours essayé de simuler le chant juste dans ma façon de jouer de la trompette. Mes trompettistes favoris avaient tous une approche très "vocale" de leur travail, tels que Chet Baker, Miles Davis, Maurice Andre.
Comment intervient le choix des instruments et des textures ?
J'essaie d'être spécifique et intéressant quand je fais ces choix. C'est bien souvent un processus expérimental qui occasionnellement amène à d'heureux accidents !! J'aime l'idée d'associer un instrument ou un groupe d'instruments à un personnage. Ça me permet ensuite de jouer avec ces différents points de vue et de les faire se confronter dans ma musique au fur et à mesure que l'histoire se développe. Ça a été particulièrement amusant sur CARNIVALE, par exemple, quand Ben et Justin finissent par se rencontrer et se battre. J'utilisais un modeste violon pour Ben, confronté à Justin, représenté par de grands Cors français et des trompettes.
Nous sentons l'influence d'Ennio Morricone ou de Thomas Newman dans la richesse des sonorités de votre musique…
Merci! Ce sont des compositeurs dont j'admire grandement les œuvres. Non seulement leur musique a été magnifiquement composée, mais leurs meilleures partitions donnent l'impression d'être le parfait prolongement des films pour lesquelles elles ont été écrites. C'est une qualité que je m'efforce d'atteindre avec mes musiques.
Vous orchestrez vous-même vos musiques ?
Oui tout à fait, je considère ça simplement comme le prolongement logique du processus d'écriture. J'adore également m'investir dans l'enregistrement et la production de mes scores. Vous avez fait plusieurs fois référence à mes effets acoustiques, et je vous en remercie. Je suis sensible à la qualité sonore d'un score, car elle a une importance primordiale selon la façon dont elle est utilisée dans un film. Je me rappelle qu'après avoir travaillé sur POLLOCK avec Ed Harris j'avais pris conscience que ce processus était comparable à celui de peindre. Trouver le son juste est ce que je m'efforce de faire de mon mieux.
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)