Cinezik : Comment avez-vous été impliqués sur L'EMPIRE DES LOUPS ?
Dan Levy : Chris Nahon, le réalisateur de L'EMPIRE DES LOUPS, avait décidé de confier sa BO à cinq jeunes. Il y a eu des compositeurs inconnus et novices et d'autres au parcours plus important comme le mien. Je travaillais beaucoup pour le théâtre, j'avais composé pour deux courts métrages et un long métrage, j'avais fait des spectacles comme de la musique pour le championnat du monde d'athlétisme (l'ouverture et la clôture) au stade de France et des performances musicales à la Biennale de Venise et dans des musées et galeries dans toute l'Europe. Pour revenir à « l'empire des loups », il y eut un casting d'un an. La post production en charge de recruter des compositeurs avait entendu parler de ma musique par un ingénieur du son avec lequel j'avais l'habitude de travailler. Ils m'ont contacté et parlé du film très brièvement, j'ai eu quelques jours pour proposer des maquettes. Ils ont alors regroupé les « démos » qui leur plaisaient pour les présenter au réalisateur, puis ils ont fait leur choix définitif. Olivia est arrivée de cette manière sur ce film mais n'avait jamais travaillé pour un film auparavant.
Olivia Merilahti Bouyssou : Je tournais beaucoup sur Paris avec un groupe d'electropop, « Ether », et L'EMPIRE DES LOUPS fut donc ma première expérience pour une musique de film. J'ai été amenée à travailler avec tous les compositeurs du film, car le réalisateur souhaitait que la voix soit omniprésente dans cette B.O. J'ai travaillé avec tous les compositeurs mais c'est avec Dan seulement que la rencontre fut constructive.
DL : Au final, pour ce film, j'ai 32 minutes de score et 5 chansons co-composés avec Olivia pour le disque en musique additionnelle, Olivia se retrouve avec 6 minutes dans le film mais 11 chansons dans l'album !
Après votre travail chacun de votre côté pour L'EMPIRE DES LOUPS, vous avez décidé de travailler ensemble sur d'autres films…
DL : Oui, car on s'est très bien entendu. On a travaillé sur CAMPING SAUVAGE et THE PASSENGER (deux grands prix pour la musique, au festival d'Angers et au festival d'Aubagne, ndlr ). J'avais rencontré quelques mois auparavant Monté Cristo et Loïk Dury co-fondateur de Kraked, une production de musique de film.
Loïk Dury, (compositeur de Cédric Klapish entre autres), devait composer THE PASSENGER car le producteur Tom Dercours avait fait appel à lui. Il ne pouvait pas le faire, il terminait LES POUPEES RUSSES, et voulait me le laisser car il avait aimé mes travaux antérieurs. Il a été très important dans la direction artistique pour ce film. On a visionné le film. J'ai rencontré le réalisateur, François Rotger qui était assez vague sur l'idée de la musique, mais très ouvert. Loïk Dury me demandait de lui laisser des musiques que m'inspirait ce film. On a proposé vingt minutes de musique dont une chanson qu'on avait composée avec Olivia. La chanson a été retenue en premier, le reste n'a pas été gardé, sauf un morceau de sextuor à cordes. Du coup, j'ai tout réécrit pour sextuor à cordes, tout s'est fait très vite. J'ai composé cette musique en deux semaines. Loïk Dury, qui m'a beaucoup aidé, m'impressionne par sa grande intelligence de la musique à l'image, sa capacité à intervenir à un moment précis et à laisser la place pour le dialogue. Ce sont des choses simples auxquelles on ne pense pas forcément quand on compose. C'était un travail fluide, très sain, monté en deux semaines, mixé en trois jours.
Une composition à deux mains…
OB : Il n'y a pas vraiment de règle. Nous travaillons souvent sur 2 voir 3 projets en même temps. On a déjà fait ensemble trois films, deux chorégraphies pour la danse, et on est en train de finir notre album sous le nom de groupe "The do". Dan terminait la réalisation d'un album de musiques Touareg, « Toumast », lorsqu'on nous a appelé pour THE PASSENGER. On savait que le réalisateur, en plus du score , voulait aussi une chanson pour une séquence très musicale dans une voiture, et une autre chanson pour le générique de fin. J'ai donc commencé seule à amener des idées de chansons, puis Dan s'est mis à écrire pour le sextuor, les idées se mélangeaient, les couleurs aussi, c'était très fluide…
DL : On enregistre tout dans notre studio, je deviens ingénieur et assistant d'Olivia puis le contraire. Quand on fait des séances avec des cordes par exemple, je dirige les musiciens et Olivia s'occupe de l'enregistrement, tout en donnant ses conseils artistiques. On travaille en interaction.
Et CAMPING SAUVAGE ?
DL : Le producteur de CAMPING SAUVAGE est le même que pour THE PASSENGER. Il avait beaucoup aimé notre travail. Il nous a donc appelé à la rescousse pour composer en deux jours un passage du film, pour lequel une chanson existante n'a pas pu figurer, faute d'autorisation. Notre séquence lui ayant plu, il est revenu nous voir pour le générique de fin, et ensuite pour des ajouts de score . Quand on aime le film, on ne peut pas dire non. On était sur la même longueur d'onde avec les réalisateurs du film, Christophe Ali et Nicolas Bonilauri. Ils sont à l'écoute, ne se sentent pas dépossédés, ils partagent l'histoire du film avec d'autres auteurs. Notre musique est associée à celles de Nicolas Baby, Philippe Neil et M83.
Cela doit changer entre "Les Films à un Dollar" (production de CAMPING SAUVAGE) et les 36 millions d'Euros de L'EMPIRE DES LOUPS ?
DL : Pour nous ça n'a pas changé grand-chose puisque la société Gaumont s'est montrée moins généreuse que la Production à un Dollar ! Mais je pense qu'il faut que les moyens soient adaptés au film. S'il y a un budget pour avoir un orchestre symphonique, faut-il absolument utiliser cet orchestre ? La plupart des grosses productions, quand elles en ont la possibilité, utilisent une formation d'orchestre importante. Il y a souvent une couleur orchestrale trop formatée dans ces productions cinématographiques, du coup les films à petit budget nous demandent d'être plus créatif et plus ouvert quant à la couleur musicale. Pour CAMPING SAUVAGE en effet nous n'avions que très peu de moyens, mais nous n'avions pas non plus besoin d'un orchestre symphonique. Pour THE PASSENGER, la partition est écrite pour sextuor à cordes, je n'avais qu'un trio à cordes pour la séance et il me fallait enregistrer en re-recording. Mais je cherchais une autre couleur alors j'ai édité sur ordinateur, en retravaillant ces cordes et en ajoutant d'autres instruments qu'on a joué nous-mêmes, ainsi que beaucoup de bruitages. Ce film nous tient à coeur car nous étions pour la première fois les seuls compositeurs à travailler sur la musique. On l'a fait très vite, impulsivement.
Pas de disque de CAMPING SAUVAGE ?
DL : Il était malheureusement trop tard. Le problème pour l'édition d'un disque d'une BO, c'est qu'il faut rassembler plusieurs paramètres au même et bon moment, et bien sûr avant la sortie du film, ce qui n'était pas le cas pour CAMPING SAUVAGE.
Et pour THE PASSENGER ?
DL : Oui et je suis très heureux. C'est une maison de disque japonaise qui s'en charge. Il va d'abord sortir au japon, puis en juillet en France.
Et après ?
OB : Dan a récemment fini un album avec des musiciens Touareg, qui sortira fin août 2006, sous le titre de "Toumast". Aujourd'hui notre priorité, c'est de faire notre propre album sous le nom de groupe "The do". Nous sommes actuellement en discussion de signature avec un label. Nous finissons aussi une musique pour de la danse contemporaine, avec le chorégraphe finlandais Juha-Pekka Marsalo. La pièce s'appelle « Prologue ». Et encore pour la danse, je travaille sur une lecture de poèmes écrits par Carolyn Carlson, que je mets aussi en musique.
Pour revenir aux débuts de Dan, CHARMANT GARÇON est ta première composition, en solo ?
DL : Oui, cela remonte à 2000. Ce n'était pas très conséquent mais c'est mon premier travail pour le cinéma. Je suis saxophoniste à la base et Patrick Chesnais m'avait d'abord demandé de lui donner des cours de saxo car il devait jouer le rôle du saxophoniste dans le film. Après, je devais le doubler. Et ensuite, la production m'a demandé de composer des musiques que je jouerais dans le film. C'était du jazz très basique mais une expérience intéressante.
Ensuite, j'ai fait un court-métrage de dix-sept minutes, REMY BERNARD, produit par Isabelle Otéro pour France 2.
Et les débuts d'Olivia ?
OB : Je suis issue de la chanson. J'ai appris la musique à la guitare. J'ai eu une période plus électro, pendant laquelle je me suis équipée en machines, puis je suis revenue très vite à la guitare et à des sonorités plus naturelles. J'ai eu des formations de chant et de piano, mais j'ai surtout appris ces quatre dernières années grâce aux diverses expériences auxquelles j'ai participé.
Quels sont vos goûts musicaux ?
O.B : On écoute de tout. Beaucoup de jazz ;Thelonious Monk, John Coltrane, Sonny Rollins, Ella Fitzgerald…Beaucoup de classique ; Bartok, Debussy, Berlioz…Puis les Beatles, Zappa, Pj Harvey, Eminem, Wu Tang, Le Tigre… de la musique finlandaise, car j'en suis originaire, et toutes les musiques du monde...
D.L : Avec les médias, la télévision, les radios ou le web, tout est mélangé. Notre génération est comme ça. C'est pour cela que j'aime la musique de film, parce qu'on peut nous demander de tout. On peut passer de l'électronique à la musique de chambre, à la chanson, au jazz. Et cela ne nous pose aucun problème. Un compositeur de film est comme un acteur, il change de personnage, de costume. Quand nous travaillons sur notre album, c'est différent, nous sommes nous-mêmes. J'aime les gens qui viennent nous chercher pour que nous fassions autre chose que ce qu'on avait déjà fait. Dès que j'entreprends quelque chose que je n'ai jamais fait, je sais que ce sera beaucoup plus dur, mais que le résultat aura bien plus d'intérêt, car des barrières auront été, une fois de plus, repoussées.
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