Cinezik : Benoit Jacquot, vous êtes amateur de musique depuis l'enfance, en quoi cela influe-t-il sur votre travail de cinéaste ?
Benoit Jacquot : Lorsque j'ai commencé à être cinéaste, j'ai toujours été assez perplexe sur le rôle que la musique pouvait jouer dans mes films, dans la mesure où ma culture musicale m'amène à composer mes films, à composer la suite de mes plans qui a à voir avec la musique que j'aime, donc l'idée même d'une musique pour mes films, cela m'a paru redondant et superflu.
Bruno, quelles étaient les orientations musicales décidées par le réalisateur ?
Bruno Coulais : On finit toujours par faire la musique du metteur en scène, on croit qu'on est libre mais c'est d'abord un choix de mise en scène. Le choix du violon est déjà une indication, cela a un rapport avec les personnages du film, il fonctionne en phase avec le personnage de Joséphine, avec une certaine fragilité, mais qui finit par devenir le maitre. C'est ainsi que je vois le personnage, elle est violée, mais c'est elle qui mène le jeu, dés son apparition elle le croise et son regard est le prémisce du jeu qu'elle va exercer sur lui. Le choix du violon était ainsi une indication importante. Et le fait de proposer un concerto avant le tournage, le film a une telle pulsion vitale, le fait que la musique soit prise en cours de jeu, même si le spectateur ne se rend pas compte qu'il y a un début et une fin à ce qu'il entend, il sent que la musique vient d'ailleurs.
Benoit, pourquoi avoir choisi Bruno Coulais pour travailler avec vous depuis GASPARD LE BANDIT, puis VILLA AMALIA, alors que ses autres films sont loin de votre univers ?
B.J : Je me suis dit que je trouverais avec Bruno et qu'il trouverait avec moi quelque chose qui ne serait pas accessoire, ou anecdotique, la sauce habituelle où la musique de film est là pour masquer les défauts plutôt qu'à jouer un rôle moteur dans le cours du film, dans sa matière. C'est ce qu'on a essayé de faire depuis trois ans, en lui demandant à chaque fois de collaborer à la fabrication des films.
La musique, ce concerto, a donc été composée avant le tournage ?
B.J : On a fait quelque chose de rare, car les musiques sont en général composées une fois le film monté en sachant leur place et leur quantité à l'avance, alors que là, on a pensé la musique bien avant le tournage, à la lecture du scénario, en en parlant, en imaginant la silhouette de cette musique, et Bruno l'a composé avant le tournage, l'a fait enregistré avec Régis Pasquier et l'orchestre en Hongrie, cinq jours avant le premier jour du tournage. On a commencé le tournage, avec les acteurs, les collaborateurs principaux et moi-même, avec la musique. Pour moi, Bruno est un interprète de mon film au même titre que les acteurs ou le directeur de la photo. Il y a des maquettes, des essais, des matières de musique, avec cette idée de composer un concerto de violon, c'était ma demande, à faire intégralement avant le film, et le monteur et moi, on en disposait comme on aurait disposé d'un concerto de Bartok ou de Berg.
Quelles étaient vos références ?
B.J : On a forcément parlé des concertos historiques, Berg car il me marque définitivement, mais aussi de Stravinsky, Bartok... Mais ce sont tout de même des concertos des années 20/30.
B.C : Dans Berg, il y a quelque chose de sacré, alors que dans notre travail, il y a quelque chose de tourné vers la pulsion vitale et une émotion... Je pense que c'est ma première vraie musique de film, car elle sert le film, et qu'elle est en même temps très personnelle. En voyant le film, il m'a semblé que ses emplacements était justes, elle pouvait choquée, heurtée, elle est mixée assez forte...
B.J : Je l'ai voulu cela, mais je me demande, je l'ai un peu...
B.C : Je crois que c'est bien, il ne fallait pas la masquer, il n'y a rien de pire que ces mixages lisses, où l'on n'ose pas vraiment. J'aime l'audace de Benoit. C'est un film extrême...
B.J : Le film est fait d'élans retenus, ce sont des élans comme empêchés mais pourtant accomplis... et la musique est comme ça, elle est comme je crois est le film.
Comment se sont passés les enregistrements ?
B.C : Laurent Petitgirard a dirigé l'orchestre, et il y avait une tension lors des séances, c'est au-delà de tout ce que j'ai fait jusque là, il y avait une nécessité...
B.J : ...une nécessité tendue vers le film, mais le film n'était pas encore tourné, c'est particulier. Ce qu'a fait Miles Davis avec "Ascenseur pour l'échafaud", c'était épatant, mais il faisait sa musique face aux images, le film était fait. Alors que là, la musique a été faite en pensant au film avant qu'il soit impressionné. C'est comme composer le voeux d'un film à venir.
En quoi la musique a aidé sur le tournage ?
B.J : Puisqu'on a enregistré la musique une semaine avant le tournage, ils m'ont donné les disques de l'enregistrement, et dés que je suis arrivé sur le plateau, toute l'équipe l'écoutait. Je me rappellerai toujours de l'acteur que je ne connaissais quasiment pas. Il apprenait son rôle en écoutant la musique, il se faisait le corps du personnage.
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