duhamel, - Interview B.O : Antoine Duhamel Interview B.O : Antoine Duhamel

duhamel, - Interview B.O : Antoine Duhamel

Propos recueillis à Paris en 2005, 2007 et 2010 par Benoit Basirico - Publié le 03-11-2010




Compositeur français associé à la Nouvelle vague, Antoine Duhamel (1925-2014) a composé ses plus grandes oeuvres entre 1963 et 1970, mais on a pu le voir revenir en 1996 au devant de la scène avec "Ridicule" de Patrice Leconte. Tout a commencé avec le film expérimental de Jean Daniel Pollet "Méditerranée", dans lequel des images d'une beauté mystérieuse se succèdent sans narration, baignées par le texte de Philippe Sollers et la musique envoutante du compositeur. Cette première partition affiche un style lancinant que l'on retrouve chez Godard (Pierrot le fou, Week end) ou Truffaut (Domicile conjugal, Baisers volés). Il est aussi attiré par le populaire lorsqu'il compose des chansons (Anna Karina fredonnant un air dans "Pierrot le fou"), pour la comédie musicale "Cinq gars à Singapour". On se souvient aussi du thème de la série télé "Belphégor".

 

 

Cinezik : Quel est votre premier souvenir de musique dans les films ?

Antoine Duhamel : Ma découverte de la musique passait plutôt par les concerts ou le disque. La première fois que j'ai eu un choc positif me disant qu'on pouvait imaginer d'avoir une musique audacieuse, c'était le début de Citizen Kane . Mais ce n'était pas seulement ça : c'était aussi tous ces films que je voyais à la Cinémathèque, et dans une salle à côté de Musée Guimet, où on projetait régulièrement des muets, qu'un ami, Joseph Kosma dont j'honore toujours la mémoire, accompagnait au piano. A cette époque, j'étais plutôt Ecole de Vienne, mon maître était René Leibowitz, et j'étais passionné par Schoenberg, Berg, Webern. Quand j'étais jeune compositeur, j'avais toujours des envies pour faire aussi du jazz, de la chanson, du tango… Je ne rejetais rien. Je me rappelle très bien l'opposition très vive que j'ai eue avec Boulez, de bonne heure. Je trouvais L'Ange Bleu formidable, pour lui ça n'avait aucun intérêt, contrairement au Jeanne d'Arc de Dreyer. Cette tendance s'est beaucoup accentuée dans mes années de cinéphilie, entre 1945 et 1955, durant lesquelles j'allais autant que je pouvais voir des comédies musicales. Jeune compositeur dodécaphoniste, je me creusais la tête à me demander comment, avec le langage dodécaphonique, écrire de la musique qui pourrait donner un plaisir, une joie pareille à celle que je trouvais dans les Gershwin et dans les grandes comédies musicales américaines. Le Voleur de Tibidabo est un peu un hommage à ces films, sans les moyens, hélas. C'est plutôt vers la fin des années 50 que j'ai vu les premiers Godard, les premiers Truffaut, Rohmer, Chabrol…

J'aimais énormément le cinéma, j'avais des amis cinéastes. Que ce soit avec Philippe Condroyer ou Jean-Daniel Pollet, on a fait nos premiers pas ensemble. Cela m'a amené à travailler avec les plus grands, Godard ou Truffaut qui ont été très importants pour moi. On n'allait pas sur des sentiers battus, on cherchait notre propre voie. 

Comment avez-vous rencontré Jean-Daniel Pollet ?

Fin 1956, j'ai commencé à faire un travail assez régulier au sein d'une équipe qui comprenait Albert Champeaux et Philippe Condroyer : on essayait de faire des dessins animés, des gags express, des choses qui me permettaient de développer ma palette. Quand je composais du jazz sur ces films, j'adorais le genre, mais je n'en avais jamais écrit. J'ai dû en apprendre la technique. C'est à cette époque que j'ai rencontré Pollet. Cette rencontre a été décisive pour moi. J'ai connu son travail en voyant Pourvu qu'on ait l'ivresse au Festival de Tours, notre Mecque à l'époque. A peine avais-je découvert ce metteur en scène qu'on me téléphone pour me proposer de travailler pour lui sur Gala . Cela a commencé en 61, et, jusqu'à sa mort, ce fut une grande amitié, malgré une pause après Méditerranée .

Est-ce le texte de Philippe Sollers sur Méditerranée, qui n'était pas prévu au départ, qui vous a fâché avec lui ?

Avec Méditerranée, Pollet me parlait d'un film très personnel où la musique serait importante. J'ai rarement rencontré un cinéaste qui maitrisait à ce point l'emploi de la musique dans ses films. Je lui faisais confiance. Pollet me racontait tous ses projets en amont, notamment ici cette idée d'un film qui serait sur les origines de notre civilisation, sur le monde, sur ce qu'il y a de mortifère dans ce monde de beauté. Il est parti un jour sur une Jeep avec Volker Schlöndorff, qui était son assistant, et ils sont passés par l'Italie, la Turquie, la Syrie et le Liban, L'Egypte, la Tunisie, par l'Espagne, tourner des images, et tout ça sans aucune idée a priori de montage. Ce qui m'a émerveillé dans les films de Jean-Daniel, c'est l'acuité de son regard, la marque des grands cinéastes, cette démarche très personnelle qui n'a jamais été vraiment reconnue comme elle aurait dû l'être. Donc, je suis toujours enchanté quand Jean Douchet me dit que la version qu'il préfère est celle sans le texte de Sollers. C'était l'ambition de Pollet : faire un film avec les images, les sons, et la musique, rien de plus. Mais, d'une certaine façon, Jean-Daniel a eu besoin d'une caution intellectuelle, et c'est ce qui nous a un peu séparé après Méditerranée.  

En quoi L'Acrobate est-il un film à part dans votre filmographie ?

Avec Jean-Daniel, on s'est retrouvé pour cette drôle d'aventure. Pendant un temps, on s'était donc un peu perdu de vue, même si on se voyait, conservant toujours de l'amitié l'un pour l'autre. Un jour, il me téléphone pour me dire que ça faisait longtemps qu'on n'avait pas travaillé ensemble, et qu'il avait besoin de moi pour écrire les tangos de L 'Acrobate . Ecrire des tangos ? Je ne savais pas comment m'en sortir. Je lui ai conseillé de s'adresser plutôt à Piazzolla. « – Non, je veux que tu écrives ces tangos . » insista-t-il. Ce qui m'a convaincu, c'est que je me suis rappelé à ce moment-là que j'avais eu plus jeune très envie de faire des tangos. A cette époque, j'avais un peu renoncé au jazz, parce que je n'y ai pas trouvé la possibilité d'être moi-même, contrairement aux chansons, et donc, au tango.

De plus, quand j'ai vu que pour faire ce film, Claude Melki avait travaillé pendant un an avec les grands maîtres Georges et Rosie, je me suis dit qu'il fallait que je fasse le film. Cette implication était pour moi quelque chose de très important : quand je vois Amadeus , et quand je regarde le type qui joue Mozart en train de jouer et de diriger, j'ai l'impression de quelqu'un qui sait faire, et, ça, c'est quelque chose qui ne s'invente pas.

Pollet avait entièrement tourné le film avec des musiques de concert, mais ce qui m'a donné la clé, c'est ma conversation avec Georges le chorégraphe, qui m'a expliqué que dans les compétitions, les participants, qui ont travaillé un tango avec leur professeur, peuvent danser n'importe quel tango. Heureusement pour moi, on n'était pas dans les films chorégraphiés de Fred Astaire.

Pour moi, L'Acrobate fut un énorme moment de bonheur, un moment de conscience de mon travail. J'avais écrit des tangos de compétition (en quelque sorte ce qu'il y a de plus bête comme tangos), mais ce qui fut vraiment important, c'était la qualité de mon apport dans ce cadre étroit du tango, et c'est ce que je pense avoir réussi : écrire des tangos qui ont à la fois une valeur dynamique et une valeur émotionnelle. Pour moi, c'était un acte d'amour à l'égard de Claude Melki et de Pollet.

L'Acrobate est-il le seul film qui vous ait procuré ce sentiment ?

Quand je pense aux films que j'ai faits, et qui ne posent pas de problèmes, les deux qui me viennent à l'esprit sont L'Acrobate et Belle Epoque , pour lequel j'ai eu envie de me tenir très prêt de l'idée du Boléro de Ravel. Tout le monde pense au Boléro , et pourtant, ça n'est ni le même thème, ni le même rythme, c'est construit pareil, un rythme permanent, et une harmonie qui bouge lentement. Dans les deux cas, ce sont des exercices de style extraordinaires.

Comment expliquez-vous la diversité de votre travail, à la fois dans le genre de la musique populaire (jazz, chansons) et dans celui de la musique savante ?

Exactement, j'ai été très tenté par cette diversité d'action. Je pense que c'est très important dans la vie d'un compositeur de ne pas faire tout le temps la même chose. C'est pour cela que j'aime Stravinsky ou Picasso qui sont en renouvellement constant. C'est un gros problème de la création contemporaine qu'il ne soit pas question pour beaucoup de compositeurs dits sérieux de n'avoir pas la moindre référence à quelque chose qui soit proche du jazz ou de la chanson. Alors que tous les compositeurs de Monteverdi à Back en passant par Mozart ou Beethoven ont eu tout le temps une certaine liberté. Les compositeurs actuels ne sortent pas de leur tour d'ivoire. Cette variété m'intéresse compte tenu du fait que ce soit également une recherche de qualité.

Comment cela se passe avec les réalisateurs qui vous font travailler ?

A chaque fois c'est différent. D'un metteur en scène à un autre ce sera plus ou moins intéressant. Il est évident que lorsque je travaille avec Jean-Daniel Pollet, nous travaillons comme deux frères. Avec Tavernier, j'ai aussi une grande intimité avec lui depuis longtemps, mais nous avons aussi des voix divergentes et j'ai parfois du mal à entendre ce qu'il veut. C'est une préoccupation pour moi, il est trop directif. Tandis qu'un autre va me laisser royalement en paix. Ce qui me trouble aujourd'hui, c'est ce qui se passe dans les salles de montage et qui permet de simuler complètement un mixage, ce qui n'était pas le cas dans les années 60 ou 70 où il fallait que la musique soit là, que le mixage de tous les éléments ne pouvait être accompli que dans la salle de mixage, tandis que maintenant dans la salle de montage on peut le faire.

A propos de ma musique pour Les Destinées sentimentales que Olivier Assayas n'a pas employée, le réalisateur m'a donné le sentiment qu'en définitive ce qui l'intéressait c'était qu'il fasse lui-même le choix des musiques et la musique originale il n'en avait rien à faire. Je trouve cela inquiétant qu'un réalisateur puisse arriver à mixer complètement la musique sur une scène avec les dialogues et ambiance, d'avoir une vision du film presque finie. Assayas avait choisi minutieusement ses musiques mais le producteur souhaitait une musique originale, et finalement le réalisateur préférait ce qu'il avait choisi lui-même. Pierre Jansen [compositeur de Claude Chabrol sur Le Boucher par exemple] pense que la musique est un corps étranger au cinéma, mais je ne suis pas d'accord car je pense que si quelque-chose se passe de bien entre une musique et une image, c'est merveilleux.

Quel regard avez-vous sur votre collaboration avec Truffaut ?

Je me tiens à cette idée que Truffaut adorait concevoir un projet de film, monter ce projet, l'écrire, trouver les acteurs, tourner le film. Ce qui venait après l'intéressait moins. La postproduction n'était pas son affaire. Il était plus modéré que Godard. Il avait aussi une volonté d'être un cinéaste qui faisait des entrées. Ce qui me plaisait dans la Nouvelle Vague, c'était à la fois de concilier la nouveauté avec un sens de l'efficacité pour le public. Et de la même manière, quand on compose pour un film, cela consiste à se dire qu'on écrit pour tout public. Il ne faut pas se prendre pour un avant-garde. Il faut avoir un sens précis de l'efficacité. 

Bernard Herrmann a aussi composé pour lui sur Fahrenheit 451

J'apprécie énormément Herrmann, et je pense que j'ai éprouvé en travaillant avec Truffaut la même chose qu'il a ressenti, c'est à dire une insatisfaction profonde. Mis à part ça, je suis content de ce que j'ai fait avec lui.

L'Enfant Sauvage fut peut-être votre expérience avec Truffaut la moins frustrante…

En raison d'un choix typique : Truffaut avait décidé d'utiliser le concerto de Vivaldi et les allegros du concerto pour mandoline. Il avait déjà esquissé sa musique dans la tête.

Contrairement à la musique de concert, la musique de film est soumis à des contraintes, de durée, et souvent « altérée » par le mixage, l'ajout de voix…

Le problème de devoir s'adapter au rythme d'un film, on découvre dans un premier temps comment ça peut marcher et cela devient une chose naturelle par la suite, on n'y pense presque plus. Pour le mixage, cela a toujours été une chose qui pouvait être problématique. Combien de fois j'ai assisté au mixage en découvrant que la musique a été sacrifiée, coupée ou déplacée, des choses inattendues. Ce sont des réalités du métier interessantes à manipuler.  Il y a une certaine souplesse indispensable à acquérir à ce moment là pour trouver la meilleure solution. On travaille à tâtons. On est jamais sûr de son coup. J'ai toujours été aiguillé par l'idée de travailler comme si c'était le premier film que je faisais dans ma vie.

Que pensiez-vous de Godard qui « massacrait » votre musique ?

Avec Godard, c'était flambant de nouveauté et de modernité, il osait tout avec beaucoup de courage. C'est un maître qui a tellement perfectionné sa technique qu'il n'a plus besoin de compositeur. C'est, si j'ose dire, le seul à qui je donnais l'autorisation. C'est le seul à qui j'ai donné des thèmes pour Pierrot le Fou en ne sachant pas du tout où il allait les mettre. Chaque fois que je parle de mon travail avec Godard, je parle de ces séquences de Pierrot le Fou , par exemple la séquence du vol de la voiture, juste après la traversée de la Durance, où il a coupé le texte, la musique, prolongé les silences …

Dans Week-end , il m'a dit qu'il serait peut-être plus prudent de mettre de la musique sur le grand texte érotique de Bataille que dit Mireille Darc en petite tenue chez son psychanalyse, histoire ne pas avoir de problèmes avec la censure. Lorsque j'ai assisté au mixage du film, j'étais émerveillé : j'avais l'impression d'avoir devant moi un chef d'orchestre formidable.

Vous avez accompagné la Nouvelle Vague, qui était très politisée. Vous vous considériez à l'époque comme un compositeur engagé ?

Oui, très engagé même. J'ai pour cette raison refusé La 317 e section , parce que j'avais le sentiment que cet homme-là avait une vision du monde très militariste. Je l'ai donc refusé pour des raisons politiques, et aussi parce que je ne peux pas supporter les exclusions, l'esprit religieux et l'intolérance dans l'art.

On retrouve ce rejet-là dans votre évolution par rapport au dodécaphonisme, et la rupture avec Boulez, cette idée de sortir d'un ghetto musical, tout en refusant de s'enfermer dans un autre ghetto, cinématographique celui-là.

Absolument. C'est vrai aussi que je garde ma fidélité à Messiaen, et à mon maître René Leibowitz. Mais, par exemple, vous savez pourquoi la musique des films historiques japonais, dont les musiques sont souvent traditionnelles, me passionnent ? Parce que dans ces pays là, la musique n'est pas distinguée des autres arts : elle fait partie intégrante de l'expression artistique. Dans l'intellectualisme français, la musique est un peu considérée comme quelque chose à part, d'un peu gênant, débile. Quelque part, mon travail s'est toujours fait contre ça.

Vous avez commencé comme Pierre Jansen, tandis que lui a décidé de ne plus du tout composer pour le cinéma, estimant qu'il n'y faisait pas une œuvre personnelle. Vous, en revanche, avez une démarche différente.

Mon rêve serait d'arriver à faire une œuvre personnelle pour le cinéma. C'est ce qui s'est produit pour Diamètres Méditerranée Pierrot le Fou , et avec un certain nombre de films… Par exemple, un très bon souvenir pour moi, même si le film n'est pas assez vanté, est La Chanson de Roland , de Cassenti, qui fut une expérience musicale extraordinaire. J'aimais bien son film, qui me faisait penser au cinéma russe, avec son espèce d'excès loin du « bon goût français » D'autre part, il était passionné par le jazz et par la contrebasse. Je m'étais juré de venir aux séances d'enregistrement les mains dans les poches, sans amener de partitions, et, comme les jazzeux, d'improviser sur des directives qu'on trouverait sur place. Avec Cassenti, on s'est dit qu'on allait faire du free Moyen-Age.

Vous avez procédé de cette façon pour d'autres films ?

Oui, sur La Coupe à 10 francs , de mon ami Condroyer. Ce dernier a eu l'idée de faire un enregistrement avec Anthony Braxton, François Méchali et moi. On avait retenu un studio à la campagne pour tout un week-end, pour enregistrer une musique entièrement improvisée. Malheureusement, le technicien avait des difficultés, et on a tout enregistré en trois heures en fin de week-end.

Vous avez eu malgré tout avec le cinéma des relations irrégulières…

En 1970, j'en ai eu marre du cinéma, que j'ai déserté pendant quelques années, ce qui, cela dit, ne m'a pas empêché de faire un ou deux films par an pendant cette période.

Ça a recommencé avec des films très marginaux, comme Que la fête commence ! , qui est presque comme du travail de musicologie, puisque j'ai été chercher les partitions de Philippe D'Orléans, ou La Coupe à 10 francs , qui est une musique d'improvisation, ou les tangos de L'Acrobate , mais toujours dans ses sphères particulières.

Comment la différence entre musique de source (celle préexistante au tournage) et musique dramatique (soutenant l'action au mixage) s'organise chez vous ?

C'est une interaction que je trouve très curieuse dans mon travail en général, parce ce que souvent il faut avant que le film soit tourné produire un certain nombre de musiques qui vont être des accessoires à divers endroits, en admettant qu'on les compose soit-même ce qui n'est pas toujours le cas. Dans Baisers volés de Truffaut, la chanson de Trenet prend tellement de place que c'était assez délicat de « mettre ses pieds » dans l'histoire. Dans Ridicule, Leconte avait un besoin précis de musiques à l'image, notamment une gavotte lors de la scène finale du bal. J'ai donc écrit au piano cette gavotte sur laquelle ils dansent. Et Leconte s'en est servi au tournage, au montage... Je me suis rendu compte qu'il avait mis cette gavotte partout, ce qui m'avait un peu gêné.

Tavernier, sur La mort en direct qui demeure mon meilleur souvenir avec lui, a entièrement sonorisé son film avec Pierrot le fou . C'est embêtant lorsque je vois un film sur lequel une musique va parfaitement bien, il ne faut pas trop la modifier, mais il s'agissait des thèmes « Pierrot » et « Ferdinand » dans Pierrot le fou . Ce sont des contraintes très délicates. A la rigueur, je préfère ce qui m'est arrivé avec le dernier film de Fernando Trueba car il me laissait une paix royale. Ce qui me préoccupe c'est que la musique avant tournage va avoir une conséquence. La musique « avant film » est toujours une sorte de piège. Je pense qu'il faut trouver une unité, même si on fait se fait plaisir avec un thème de styles différents, ça amuse, c'est une coquetterie, mais cela peut être aussi un piège, un peu comme la gavotte que Leconte utilisa dans tout son film.

Le plus souvent, vous intervenez avant le film pour une musique adaptée ensuite par le réalisateur ou au moment du montage sur des passages précis du film ?

Dans le travail que j'ai fait avec Godard, il n'y avait pas de musiques minutées et destinées à une place rigoureuse, il me disait toujours « fais moi des thèmes, je les place où je veux ». Il est intéressant de constater qu'en définitive ils étaient placés à l'endroit où je souhaitais qu'ils le soient. Dans Pierrot le fou , le thème « Ferdinand », l'homme cultivé plein d'intention, est associé au thème « Pierrot », l'homme un peu fou, ce sont deux caractères qui s'opposent avec un thème élégiaque et un thème d'action. Godard a ensuite découpé ces thèmes, les a fait débuter à un endroit puis reprendre plus loin, ce qui me convenait parfaitement car c'est une technique formidable dont il est le seul capable de le faire. Truffaut, lui, il s'en moquait de la musique, c'est pour cela que ce n'était pas très heureux avec lui, mais c'est malgré tout un grand bonhomme. Dans La sirène du Missisipi , il m'avait dit dans un premier temps qu'il n'y aurait pas beaucoup de musique, puis il m'a annoncé qu'il y aurait beaucoup de choses, et on se retrouve avec cinquante minutes à composer en peu de temps, et au final il en a gardé qu'un quart d'heure. Cela m'a contrarié, mais lorsque j'ai donné une suite de cette musique lors d'un concert en hommage à Truffaut donné à Florence il y a un an et demi, je trouve que je suis assez proche du choix qu'il a fait. C'est une espèce de contradiction.

Comment s'est déroulé votre travail pour la télévision sur un feuilleton de l'ORTF ( Le Chevalier de Maison-Rouge de Claude Barma) ou plus récemment sur le générique de Metropolis ?

J'ai eu à travailler récemment sur un téléfilm de Duval, avec un budget bloqué. C'est une différence sérieuse de moyen financier. Mis à part cela, je ne vois pas trop de différences. Avec Barma, j'avais bien l'idée qu'il ne fallait pas faire une musique déroutante, qu'il fallait pas trop compliquer la vie du téléspectateur. Si j'ai tourné le dos à un esprit d'avant-garde dans ma musique, c'est parce que je ne supporte pas que cette musique soit devenue un code secret qui ne soit accessible qu'à des initiés qui vont fréquenter des concerts de musique contemporaine. Je pense qu'il faut travailler avec tout le monde. C'est ce qui me plaisait avec Godard, qui pouvait être à la pointe de la modernité tout en ayant un rapport évident avec le grand public.

 

 

Propos recueillis à Paris en 2005, 2007 et 2010 par Benoit Basirico

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