desplat,queen, - Interview B.O : Alexandre Desplat, THE QUEEN (2006) Interview B.O : Alexandre Desplat, THE QUEEN (2006)

desplat,queen, - Interview B.O : Alexandre Desplat, THE QUEEN (2006)

Propos recueillis en 2006 par Benoit Basirico - Publié le 18-10-2006




Cinezik : Quel est le meilleur souvenir de votre collaboration avec Jacques Audiard ?

Alexandre Desplat : Le générique de SUR MES LEVRES, sans hésitation. Quand les titres apparaissent en se fondant dans l'image, la musique s'intègre parfaitement, comme collée à la pellicule.

Vous êtes perçu par certains producteurs comme un compositeur de "films d'auteur", malgré tous vos films de genre et de comédie. Cela vous crée des problèmes ?

Ça m'en crée toujours... alors que j'ai un parcours très diversifié. Audiard est une partie visible de l'iceberg, mais j'ai aussi composé "Oh mon bateau" d'Eric Morena, des sketches pour Karl Zéro, des spectacles.. C'est un manque de curiosité de la part des producteurs.

Autre méconnaissance de votre carrière : vos autres collaborations françaises avec Francis Girod, Marion Vernoux, Philippe Esposito, Philippe De Broca, Xavier Gianolli (dont le dernier QUAND J'ETAIS CHANTEUR), Robert Guédiguian (votre première BO est KI LO SA ?), mais aussi pour Philippe Harel (TRISTAN), pour lequel vous allez bientôt composer LES RANDONNEURS 2 ?

On en parle avec Philippe Harel mais le film n'est pas encore tourné... Le tournage est prévu dans un an, donc chaque chose en son temps.

Parlez-nous du Traffic Quintet qui a enregistré toutes vos musiques de film pour Audiard, et qui fait des concerts...

C'est une formation que j'adore, c'est un petit orchestre à cordes. Cela me permet d'aller chercher des pièces pour cordes, ou imaginer la transcription de LA ROUTE DES INDES de Jarre. Cela me permet de réfléchir comment faire sonner un instrument à cordes.

Aux Etats-Unis, vous travaillez avec des orchestrateurs ?

Pas sur SYRIANA, mais sur FIREWALL, j'ai travaillé avec Conrad Pope, qui est un formidable musicien. Mais il faut savoir que quand je compose, je crée des maquettes extrêmement précises, et que le travail de l'orchestrateur demeure sous ma direction par des analyses très précises, tout est décidé à l'avance. La distribution instrumentale est très précise aussi. Si vous écoutez la maquette de BIRTH, vous verrez qu'elle est identique à ce que sera la partie orchestrale. Le temps est tellement réduit que j'engage quelqu'un pour finir physiquement le travail.

Et jamais vous n'avez eu aux Etats-Unis la sensation de perdre votre liberté de composer ?

Jamais, avec Conrad par exemple ce fut simplement exécutif car je supervise tout. Aux Etats-Unis, il y a une logistique confortable au service du compositeur que l'on n'a pas ici, et c'est agréable.

Avant de composer aux Etats-Unis, vous êtes d'abord passé par Londres, un peu comme Maurice Jarre finalement...

En effet, THE HOUR OF THE PIG, LAPSE OF MEMORY, THE REVENGER'S COMEDIES sont des films anglais qui ont été par la suite distribués aux Etats-Unis. LA JEUNE FILLE A LA PERLE était un peu cela, un film anglais distribué par les américains. Je suis arrivé sur le projet de ce film par mes contacts anglais mais tout cela m'a ouvert le marché américain.

Dans les années 90, vous étiez très actifs à la télévision, notamment pour Karl Zéro et son « Vrai journal », et aussi pour « Les Guignols de l'info »... cela ne vous intéresse plus aujourd'hui ?

Ce n'est pas que cela ne m'intéresse plus, mais c'est qu'entre avoir les moyens de s'exprimer dans un film de cinéma, et n'avoir aucun moyen dans un film de télévision, le choix est vite fait. Les budgets de téléfilms sont tellement minuscules... Et cela ne s'arrange pas. J'ai beaucoup donné, j'en ai fait plein. Soit cela se fait avec un synthé, soit dans les pays de l'est parce que c'est moins cher. Je considère que l'étape de la musique a un prix, une valeur rarement respectée.

On retrouve votre nom au générique du film de Karl Zéro, QUI VEUT LA PEAU DE JACQUES CHIRAC...

C'est de la musique que j'avais déjà faite sur ses sketchs. Cela le faisait rigoler de penser à ce qu'on avait fait ensemble.

Ce genre de farce musicale, vous la rééditez aujourd'hui, avec par exemple la scène du défilé de mode dans LA DOUBLURE de Francis Veber, et cette musique techno que vous avez composé...

J'avais déjà fait cela dans des téléfilms ou chez Karl, et ce sont des choses que j'aime bien faire. J'aime bien varier les genres, comme les airs jazzy pour Marion Vernoux, ou sur MARIE-LOUISE OU LA PERMISSION où l'orchestre est davantage entre Jacques Tati et Michel Legrand. Les gens ne le savent pas, car ils ne font pas attention aux noms des compositeurs qui sont au générique. Mais c'est pas grave.

Une autre chose peu connue dans votre parcours, c'est votre musique pour une attraction du Futuroscope : LA VIENNE DYNAMIQUE...

Oui, et ils ont même esquinté mon nom au générique en mettant un Z à la place du S ! (rires) C'est un fana de musique de film, Olivier Chavarot, qui est un réalisateur doué dans la pub, qui a réalisé ce film dynamique avec les fauteuils qui bougent... On a eu un budget minuscule. On était parti enregistrer la musique à Prague.

Vous êtes aussi au générique d'un film d'animation, LE CHATEAU DES SINGES... Aimeriez-vous refaire un film d'animation ?

J'adorerai en faire d'autres. Sur celui-là, j'ai même composé les chansons du film, ce que j'avais déjà beaucoup fait pour Eric Morena ou pour Charlotte Gainsbourg, pour qui j'ai écrit une chanson sur LOVE ETC. Ce qui est bien dans l'animation, c'est que l'on crée un monde musical nouveau, complètement vierge, on peut inventer ce que l'on veut, et là j'avais mélangé des doudouk avec de l'orchestre symphonique.

Quand vous travaillez sur des films de genre, américain ou français comme ceux de Florent Emilio Siri, êtes-vous influencé par les compositeurs américains ?

Non. Je l'ai été à mes débuts. J'entends dans REGARDE LES HOMMES TOMBER, l'influence de Herrmann qui est encore là. Aujourd'hui, dans les films de Florent, je crois que j'ai passé ce cap-là. Parfois, il peut y avoir une couleur qui rappelle tel univers plus qu'un autre car Florent, quant à lui, est davantage influencé. Il aime la musique de film, de Morricone à Williams en passant par Goldsmith.

Et quand vous réorchestrez des musiques de film d'un autre compositeur pour le Traffic Quintet, comment par exemple mettre un peu de vous sur une musique de Morricone ?

J'en mets le moins possible car il faut respecter l'œuvre. Je suis comme un interprète, j'essaie de trouver des jeux harmoniques et des jeux de timbres. C'est plus un hommage qu'autre chose.

THE QUEEN

The Queen

Comment êtes-vous arrivé sur ce projet ? Avez-vous été selectionné sur des maquettes parmi d'autres candidats ?

Non. Je n’accepte pas d’être sélectionné sur maquette. Je pense que c’est une méthode inapropriée à l’élaboration d’un travail artistique entre un réalisateur et un compositeur. Je pense que seule la confiance, l’enthousiasme et le temps restent des données indispensables à toute collaboration. Pour THE QUEEN, j’ai été choisi alors que le film était en cours de montage. C'est donc au montage que j'ai débuté l'enregistrement de maquettes, préorchestrées avec beaucoup de précision. Ces compositions "de travail" furent tellement précises qu'elles ressemblent parfaitement au résultat final.

Quel a donc été la nature de ce travail avec Stephen Frears, ses exigences, son approche musicale pour son film ?

Stephen a un sens très aigu de ce qui « fonctionne » ou pas, mais il est aussi à l’écoute de ses collaborateurs, et il attend d’eux qu’ils lui apportent un angle de vision différent. A partir de là, tout se traduit par un échange de mots puis de sons, aussi bien au piano qu'avec des maquettes à l’image. 
Mon travail repose pour l'essentiel sur l’instrumentation, qui est toujours pour moi une étape importante : pour trouver LE "son" du film. 
J’ai proposé d’utiliser des instruments qui symbolisent notre royauté française, l’ancien régime disparu depuis le 18ème siècle, avec mandoline et clavecin, puis de les intégrer à un orchestre de chambre (pas trop hollywoodien), afin de conserver une certaine intimité. A cela, j'ai ajouté des séquences de basse électronique qui nous rappellent les "eighties", l'époque de gloire de Lady Diana.

Comment aborder un sujet de tel ampleur ? La musique a un rôle important car elle peut prendre partie (apologie ou critique du régime) par excès d'emphase ou de retenue...

Les choses à éviter sont, dans un premier temps, de contourner l’obstacle, puis dans un second temps de ne pas être redondant. Il faut toujours rester à la lisière entre plusieurs sensations : l’émotion (la mort de Diana, une jeune et belle princesse), la comédie (la famille royale), le suspense (la Reine et Tony Blair vont-ils réussir à apaiser le peuple qui gronde ?). Mon travail est une question de dosage. La musique de THE QUEEN est donc ample mais sans être envahissante, retenue mais sans être simpliste.

Quel rapprochement feriez-vous entre cette partition et celle de SYRIANA ? Sous quel angle abordez-vous musicalement le film politique ?

Il s'agit de deux approches totalement differentes : THE QUEEN est teinté d’humour du début à la fin, SYRIANA jamais. SYRIANA évoque une crise mondiale, les guerres économiques et religieuses, tandis que THE QUEEN évoque une tranche de vie plus intimiste, même s'il y a aussi un contexte politique.

Avez-vous travaillé avec des orchestrateurs ?

Je travaille avec des orchestrateurs quant le temps presse. Leur travail est très limité artistiquement car je préochestre mes maquettes avec une grande précision et je contrôle absolument tous les scores au millimètre. J’ai écrit plus de quarante musiques de films sans orchestrateur mais quand le temps manque pour tout faire, je suis terriblement frustré et par conséquent très exigeant !

Même pour le disque je suis exigeant, dans un travail très minutieux de liaison et de synthétisation des morceaux.

The Queen

Vous êtes aussi à l'affiche de QUAND J'ETAIS CHANTEUR de Xavier Gianolli...

Xavier, avec qui j'ai fait tous les films, aime que la musique que j’écris apporte une dimension romanesque à son cinéma, très en prise sur le réel. Sur ce plan-là il a, je crois, la dimension d’un Truffaut. Ce film-là contient essentiellement des chansons, mais ma partition a sa place, elle permet d’installer une certaine profondeur aux personnages, de les dramatiser encore plus, de leur donner un surplus d’émotion. J’ai ensuite, à partir de mon score pour le film, réalisé une suite spécifiquement pour le disque. Je n'ai pas du tout travaillé sur les chansons.

 

Propos recueillis en 2006 par Benoit Basirico

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