Cinezik : Parlez-nous du film « Au suivant », comment êtes-vous arrivé sur le projet ?
Nicolas Errera : C’est un film de Jeanne Biras, réalisatrice que je connais depuis quelque temps. J’avais fait la musique de son court-métrage, qui s’appelait « Au Suivant ! » aussi, il y a trois ans de cela. Et puis Besson a été intéressé par le film, et lui a demandé d’écrire un long métrage d’après ce court métrage. C’est donc EuropaCorp qui l’a produit. Nous avons eu un long travail, parce que les gens d’Europa considèrent la musique comme quelque chose de très important, ils ont une culture de la musique assez différente de certains autres producteurs. Même si c’est un film, à la base, pas très musical, je me retrouve au final avec une heure dix de musique, ce qui est énorme. Et surtout, ce qui était le challenge, l’intérêt pour moi, c’était de travailler sur la musique de source essentiellement (parce que j’aime beaucoup la musique de source – NB : la musique dite « de source » correspond à la musique d’ambiance définissant ce que les personnages écoutent, comme du jazz dans un bar), comme pouvaient le faire Morricone, ou Sarde à leur époque. Quand on entend la musique de « La Valise », à part le thème au piano qui est très beau, le reste c’est de la musique de source vachement bien ! Moi j’ai une petite faiblesse pour cette musique-là, qui donne une ambiance. On peut considérer que c’est une musique « papier peint », mais elle est tout de même intéressante à faire parce que l’on peut créer une ambiance différente par rapport aux musiques pré-existantes. Parce que malgré tout, on s’adapte à la scène, ça reste de la musique de film. Elle reste légèrement plus adaptée au film qu’une musique extérieure qu’on prendrait comme ça…
Il y a un vrai mélange de genres dans cette BO : de la techno, de l’easy-listening, du jazz…
Oui, c’est ça qui est marrant dans la musique de film ! C’est une de mes passions dans la musique de film : il faut être un musicien complet, n’avoir peur de rien, et s’attaquer à plusieurs genres. Dans « Au Suivant ! », il y a un tango, du punk, de l’easy-listening, puis aussi les thèmes du « score », pour la partie plus romantique de l’histoire, où on a travaillé plus traditionnellement la musique du film.
La sortie de votre BO coïncide avec la création du label « Recall Music for Films » par Eric Serra, qui parraine ainsi plusieurs autres compositeurs, comme Alexandre Azaria pour « Le TRANSPORTEUR II ». Comment êtes-vous arrivé là ?
Je les ai rencontrés à Cannes. « Recall » est le label musical d’Europa, qui produit le film, c’est donc pour ça qu’ils ont produit le disque. Ce qui est intéressant dans mon travail avec eux, c’est que le thème a une place importante dans le film, au niveau mélodique. J’ai même essayé de faire des chansons issues des thèmes du film : il y a donc trois chansons originales dans le disque, dont une chantée par Alexandra Lamy, une autre par une jeune artiste que j’aime beaucoup qui s’appelle Lili, et puis une dernière interprétée par Valérie Fauchet. Reprendre les thèmes du film et les refaire en chanson, c’est un type de travail que je n’avais pas vraiment déjà fait. Chaque projet est tellement différent : moi ce que j’aime, c’est aller au fond, rafler le maximum de possibilités. Et là, on m’a laissé de la place comme personne. Grâce à Jeanne Biras, presque toute la musique est originale.
Eric Serra et Luc Besson ont-ils été présents sur le projet artistique ?
Eric Serra, non, mais Besson est le producteur délégué, et avec Virginie Sella (la productrice du film), il est venu une ou deux fois pour la musique, comme il l’a fait lors de l’écriture du scénario.
Il manquait peut-être ça en France, dans les rapports entre producteurs, compositeurs, réalisateurs, où le compositeur est un technicien qui arrive sur un projet pour faire son travail…
Oui, il y a quelque chose de plus anglo-saxon, presque de plus froid, je dirais. Mais moi j’aime bien parce que c’est plus direct. Pour un compositeur, c’est pas mal, car il est parfois difficile de retranscrire ce que veut un réalisateur. Là au moins, c’est plus simple, pour ce genre de musique, plus franc. C’est une autre approche de la musique.
Vos débuts ont été marqués par votre collaboration avec Ariel Wizman…
Oui, ça c’est le projet « Grand Popo Football Club », on a fait un disque ensemble, et là on va peut-être en faire un deuxième. Tout cet été, j’ai travaillé dessus. Ça n’a vraiment rien à voir : j’essaie des choses, ce sont des chansons pop-électro…
C’est suite à cela que vous aviez été contacté pour LE PAPILLON ?
Non, pas du tout. J’avais travaillé avec le producteur de « Cravate Club », Patrick Godeau, via Frédéric Jardin (le réalisateur), avec qui j’avais fait un autre film qui s’appelle « Les Frères Sœur », dont j’aime beaucoup le CD (c’est un de mes préférés), qui est sorti seulement chez ATC Music. ATC est une marque de vêtement qui a un label de disques. Ce label a notamment des boutiques au Japon et ce disque a beaucoup marché là-bas, alors que le film n’y est même pas sorti ! Il y a eu toute une vogue sur ce disque, et du coup il est même sorti en Corée, avec une vraie maison de disques… On peut le trouver encore chez ATC… C’est donc le producteur de « Cravate Club », également producteur du « Papillon », qui m’a fait rencontré Philippe Muyl, et puis ça c’est bien passé.
Le succès du film a été une surprise, et celle de la musique aussi…
Je pense qu’ils s’attendaient à un certain succès, quand même, parce que Michel Serrault sortait de quelques succès. Mais il s’est avéré, selon le réalisateur du film, que la musique a beaucoup aidé à l’agrément du film, surtout qu’elle est assez présente. On a aussi fait une chanson avec Michel Serrault et la petite fille, Claire Bouanich, très charmante. Je viens de recevoir la traduction chinoise de cette chanson, parce que ça marche très bien à Taiwan, et c’est drôle d’entendre cette chanson en chinois ! Ça, c’est une bonne surprise, c’est un film qui marche énormément en Asie : Hong-Kong, Taïwan, Chine, Corée… c’est rigolo, cet itinéraire !
Cette musique est très cohérente dans sa structure, avec la mélodie au piano…
Oui, mais quand on voit le film et qu’on écoute la musique, il y a toujours une différence, parce que je produis vraiment les disques. C’est à dire que j’y rajoute beaucoup de thèmes qui n’existent pas forcément dans le film, que je mets dans le disque comme des sortes de bonus. Donc c’est vrai que ça fait un disque cohérent. Ça rejoint un peu ce que font les compositeurs américains, qui refont une production spéciale pour le CD, issue des thèmes du film. Alors évidemment, ils utilisent parfois les sessions utilisées pour la musique du film, mais dans mon cas c’est rare : je fais parfois des arrangements spéciaux pour les disques. Ce n’est pas pareil. Une musique de film, ça dure parfois quinze secondes, trente secondes, ce sont des formats très courts, pas forcément adaptés à l’écoute en CD. Il faut au moins deux minutes, voire une minute trente, pour que ça devienne intéressant.
Vous composez à la vue des images, pendant le montage, ou bien une pièce de cinq minutes ensuite découpée au montage ?
En général, j’aime bien travailler sur le montage. J’aime bien faire des maquettes dès le début du montage, et travailler avec le monteur et le réalisateur, et progresser petit à petit sur la musique. Je travaille donc par couches successives, et la musique est le résultat d’un long processus qui suit celui du montage en parallèle.
Vous avez fait de la même manière avec L’OUTREMANGEUR ?
Non, ce fut différent. Je suis arrivé plus tard sur le film, parce que des fois ils n’ont pas de musiciens et ils cherchent un compositeur au dernier moment, et là ça a été le cas. Mais j’ai quand même eu un mois pour travailler, et les maquettes que j’ai faites ont bien fonctionnées. Je sentais bien ce film. Et là c’est pareil, j’ai fait une version CD. Tous les thèmes ne sont pas dans le film, ou pas de la même manière. Ce sont parfois des remix, de nouveaux arrangements. Tout ce que j’ai appris dans la musique électronique, je le retranscris dans la musique de film, avec des textures classiques. J’aime bien cette démarche là, qui est un peu différente de celle d’autres compositeurs.
Pourrait-on dire que vous êtes un DJ de la musique de film ?
Pas vraiment, je ne suis pas DJ, je suis vraiment compositeur. J’ai fait des classes de composition classique au Conservatoire de Paris, donc j’ai un itinéraire particulier. Je dirais plus électron libre que DJ.
Ce qui est intéressant à l’écoute, c’est cette manipulation du thème…
Oui, j’aime bien cette manière-là de travailler, qui est une sorte de variation. Mais ce n’est pas si original que ça. C’est la manière qui est originale, mais la variation, Morricone n’a fait que ça toute sa vie. L’art de la variation est important dans la musique de film, et c’est important de connaître ça.
Souvent, la musique est bien dans le film, mais on a du mal à l’écouter sur le CD. Mais pas chez vous…
Ça, c’est le côté pop de ma musique. Pour moi, un CD, c’est un CD ! Ça vient un peu de mes souvenirs d’enfance : quand je vais voir un film, et que j’ai bien aimé la musique, j’apprécie de retrouver l’ambiance du film à travers la musique. Mais pour ça, il faut quand même légèrement retranscrire en CD, parce qu’on peut garder l’impulsion de l’enregistrement fait pour le film, mais il faut vraiment l’adapter pour le CD. Mon avantage, c’est que j’ai un studio chez moi, donc je peux le faire. Tout n’est qu’une question financière : certains ne peuvent pas le faire, moi je peux, donc ça me permet de prendre un petit peu de temps pour le faire.
Le fait que votre CD ait été publié chez Recall, après avoir publié chez Milan L’Outremangeur, n’a t-il pas changé votre méthode de production des disques ?
Absolument pas. Ça s’est parfaitement bien passé pour les deux, j’ai appliqué la même technique, j’ai totalement retravaillé mes thèmes pour le CD. Et d’ailleurs, Europa était très content car c’est vraiment un CD à part entière, très cohérent, avec des thèmes plus longs, des variations, et des chansons qui sont vraiment dans le film.
Il n’y a donc pas deux albums différents (un disque de score, et un disque de chansons), comme Recall a pu le faire pour MR. AND MRS. SMITH ou LE TRANSPORTEUR II ?
Non, un seul disque, avec mon score et les chansons. Mais c’est moi qui me suis occupé de la chanson pré-existante : « Les Paradis Perdus », de Christophe. J’aime bien faire conseiller musical, aussi ! Ça donne de la cohérence, et puis j’adore Christophe, spécialement cette chanson-là... Mais déjà dans « CRAVATE CLUB » j’avais utilisé « Señorita », je l’avais rencontré, il est plutôt sympathique ! C’est quelqu’un pour lequel j’ai beaucoup d’estime.
Vous pensez être le seul à produire des disques de BOF comme vous le faites ?
A mon avis, peu de gens le font, en France en tout cas. D’après les Cds que j’écoute, ce que je reçois en musique de film, ce sont souvent des reports de mixages 5.1 en stéréo. C’est pour ça que c’est assez pauvre, c’est souvent décevant, les musiques de films sur CD. Ou alors ce sont des compilations, mais là c’est autre chose. Il n’y a pas de vrai travail de production pour le CD. Enfin moi, c’est ce que je pense. Mais je n’ai pas l’éventail complet de ce qui sort, il y a peut-être plein de Cds intéressants. J’avais travaillé aussi sur le CD de « Comme une Image », d’Agnès Jaoui, qui avait fait enregistrer des musiques pré-existantes que j’avais mixées pour le CD, des mixages classiques pour restructurer un peu le disque. Je pense que l’équivalent se rapproche de gens comme Jon Brion, chez les américains, qui travaille aussi dans cette optique-là. On a souvent tendance à oublier que les grands compositeurs américains viennent de la pop music, que se soit Danny Elfman, John Williams, tous ces gens-là... John Williams a longtemps dirigé le Boston Pop Orchestra, il a l’habitude de ça. Moi je suis un peu là-dedans, plus vers le côté électronique. La musique électronique, ça fait peur aux gens, mais ce n’est jamais qu’une texture supplémentaire, qui est maintenant incontournable dans les films.
Justement, ce qu’on a beaucoup reproché à Eric Serra pendant une période, c’était de faire une musique pop, qui pouvait s’écouter en dehors des films (à quelques exceptions comme LÉON ou JEANNE D’ARC)…
Mais justement, pour LE GRAND BLEU, il avait fait un vrai CD, il avait eu envie de faire un vrai projet musical inspiré de la musique du film. Ça fait toujours peur quand on croit que ce n’est pas la musique du film : c’est bien la musique du film, mais retravaillé pour un CD. Mais vous avez raison, j’ai le souvenir de ça, Eric Serra avait produit un disque assez différent de la musique entendue dans le film… En même temps, ça c’était bien vendu, donc le public avait bien aimé…
Et l’idée que la meilleure musique de film est celle qu’on n’entend pas ?
Ça, non. Je ne suis pas complètement d’accord sur ce truc-là. Je ne vois pas l’intérêt de faire une musique de film qu’on n’entend pas, ou qu’on entend trop, ce n’est pas le propos. Il faut faire une musique de film qui soit juste. Mais c’est vrai qu’il y a des réalisateurs « old school » qui disent encore que la meilleure musique est celle qu’on n’entend pas. C’est un cliché. Ça ne veut rien dire, pour moi. C’est comme dire que la meilleure lumière, c’est celle qu’on ne voit pas…
Comment travaillez-vous avec le « sound-design », les bruits du réel ?
J’en fais très peu. Quand je peux, je travaille avec le monteur son, parce qu’il a une place importante, mais il faut aussi que les films soient adaptés pour. Si je fais un film d’horreur, ou d’atmosphère, peut-être que je travaillerai plus là-dessus, mais ce que j’ai fait jusqu’à maintenant ce sont des comédies, ou des comédies dramatiques, dont il n’y a pas de raisons d’y travailler à ce point-là. J’ai fait un projet intéressant (mais pas encore sorti sur disque) qui rejoue la musique d’un film muet qui s’appelle « La Rue », qui date de 1928 et que j’ai joué au Forum des Images à Paris, là j’ai vraiment fait du bruitage, j’ai changé des choses... J’essaierai de le sortir en CD, si je peux. Mais ça, c’est encore un autre travail…
Il y a une nouvelle génération, dans le cinéma actuel, où on pense beaucoup à la musique, mais pas forcément à la musique originale, plutôt « à la manière de »…
Mais cela a toujours existé dans la musique de film, le « à la manière de ». Ça fait partie de la musique de film. Fellini disait à Nino Rota de reprendre des chœurs classiques (Casanova). Après, il faut que « la manière de » devienne un peu plus talentueuse que juste une « manière de », sinon c’est plat.
Par exemple, Alexandre Azaria utilise beaucoup cela, notamment dans « FANFAN LA TULIPE », où il pastiche la musique de film américaine, il s’amuse avec ça… Dans « AU SUIVANT ! , on le sent aussi, dans les genres…
Je ne connaît pas la musique d’Azaria, et je n’ai pas vu le film… Mais dans « AU SUIVANT ! », oui, dans les genres, c’était délibéré. Il y a des thèmes romantiques comme « La Valse des Sentiments », qui sont mélodiquement plus classiques. Ce qui est intéressant, pour moi, ce n’est pas de faire comme les américains. Souvent, en France, on a tendance à demander aux compositeurs de faire du John Williams… Je trouve ça complètement erroné et idiot, car on n’a pas le même budget (c’est quand même une question financière)… Ayant été assez souvent aux Etats-Unis, j’y ai constaté que ce n’est pas du tout la même manière de travailler. Le compositeur est une sorte de « chef d’orchestre » de plusieurs petites cellules, où il y a un arrangeur pour les cuivres, un autre pour les cordes, etc… Il a plein de gens comme ça autour de lui, et ce n’est pas du tout le même système qu’en France, où le compositeur fait quasiment tout. Et les budgets sont tellement différents, qu’on ne peut pas arriver à la même chose…
Le compositeur n’est également pas aussi bien reconnu dans le budget, et juridiquement…
Au sein du budget du film, ça reste effectivement toujours un problème, c’est un leitmotiv que les compositeurs vont souvent répéter, c’est vrai. Au point de vue du droit, on est reconnus, nous sommes co-auteurs du film. Mais c’est intéressant la considération de la musique, en France. Dans les DVD américains, par exemple, il y a souvent un portrait du compositeur, dans le making-of. Dans les DVD français, il n’y a jamais ça. Sauf si c’est une comédie musicale, ou un compositeur posthume. Mais sinon on ne va pas parler de la musique, c’est très étrange.
Il faut croire que ce n’est pas vraiment une tradition française la considération des compositeurs…
Il y a pourtant eu, dans les années 60-70, de très grands compositeurs reconnus comme Michel Magne, Georges Delerue, François De Roubaix, Philippe Sarde… Mais cela reste très particulier, en France, ce n’est pas comparable avec les Etats-Unis. Mais par contre, je trouve que musicalement, on a des choses très intéressantes que les américains ne savent pas faire, et qu’on devrait exploiter plus dans nos films. Quand on voyait des films où François De Roubaix faisait des musiques pour des polars, par exemple, il avait une telle personnalité que du coup, ça donnait aussi beaucoup de personnalité au film. Et quand on les voit trente ans après, ces films-là ne vieillissent pas, ils ont du charme, comme les films de Sautet avec Sarde. Quand les bandes-son sont trop actuelles, comme dans beaucoup de films maintenant, dix ans après, le film est irregardable, il vieillit d’une manière considérable.
On pense d’ailleurs à François De Roubaix en écoutant « AU SUIVANT ! »…
Oui, François De Roubaix est un de ceux qui m’a le plus marqué quand j’étais jeune, lui et Michel Magne. Moi, François De Roubaix j’adorais, c’était comme de la colle, c’est des gens qui faisaient de la musique avec des petits bruits, très peu de chose, c’était très créatif, comme un jeu. Et moi je suis tout à fait de cette école-là. Il faut aussi le côté classique pour écrire les violons, les choses comme ça, mais quand même, j’aime cette démarche d’être créatif et bricoleur, c’est ça qui m’intéresse. La musique de film provoque et permet cela, et grâce au Home Studio maintenant, on peut travailler en profondeur là-dessus, et trouver des choses vraiment pertinentes. D’ailleurs, Magne a un peu lancé le Home Studio, comme De Roubaix, et il a eu quelques problèmes avec ça. Ce sont un peu les précurseurs, ça reste la même famille. Tandis que Delerue, c’était quelqu’un qui faisait très bien « à la manière de ». Par exemple, quand on prend le thème du Mépris, il faisait « à la manière de », mais avec deux origines, en mélangeant du Bach avec des harmonies de Malher. Mais j’aime beaucoup Delerue. Et puis Michel Legrand, il est aussi intéressant, il a fait des musiques que j’aime vraiment beaucoup. Chez lui, par contre, dans l’art de la variation, c’est assez poussé. Ce sont les mêmes descentes harmoniques qui poussent souvent note pour note, dans certains films. Mais ça reste un orchestrateur avant tout, il orchestre de manière vraiment formidable, il a fait des thèmes et des mélodies très belles. Il y a quand même eu une vraie tradition de la musique de film, en France. Moi j’aime beaucoup Gabriel Yared, aussi, qui arrive à faire quelque chose de très personnel, maintenant, de très sobre, au piano, avec des cordes. C’est assez riche. Mais j’ai quand même plus d’estime pour les gens qui font leur propre parcours, plutôt que « à la manière de », même si on est obligé d’en faire de temps en temps en musique de film, on ne peut pas y couper. Mais il faut garder de la personnalité, c’est important. Quelqu’un comme Gabriel Yared garde sa personnalité en tous points de vue, même s’il travaille sur des films américains…
Selon Gabriel Yared, seul Bernard Herrmann est un compositeur qui mérite de l’estime (a-t-il affirmé récemment à notre micro) …
Je peux comprendre. J’aime beaucoup Bernard Herrmann, je trouve juste que c’est un peu plombant au bout d’un moment. Effectivement, il y a des thèmes formidables, mais sur certains films, il y a justement trop de personnalité, et ça plombe le film.
Mais dans la phrase de Yared, on pourrait penser que la seule musique de film qu’il estime est celle qui s’approche de Beethoven, au sens classique du terme.
Oui, je pense qu’il est à cette époque-là de sa vie où il doit faire une recherche musicale plus approfondie, à mon avis. Parce qu’on évolue aussi selon son âge, je suppose, selon où on en est dans sa vie. Et ça se ressent dans sa musique, on sent qu’il essaie de chercher quelque chose… Il y a le film, et puis il y a la musique, et maintenant la musique est presque plus importante que le film…
J’ai découvert dernièrement un compositeur que je ne connaissais pas bien, qui s’appelle Franz Waxman, puisqu’on parlait de Bernard Herrmann… Et ça c’est vachement bien, aussi ! C’est plus vieux, plus daté, mais alors… quand on revoit le générique de « Fenêtre Sur Cour », quelle merveille d’ingéniosité, ce jazz qui est mélangé avec des bruits… Et le thème fabuleux de « Une Place au Soleil » ! C’est quelqu’un de très important dans la musique de film. Ça paraît évident pour les amateurs de musique de film, mais il n’est pas si connu que ça, quand même. Il est très connu de certains passionnés, mais très peu du grand public, contrairement à Legrand ou Herrmann qui sont connus des deux. C’est bizarre, parce que c’est génial. Son approche sur « Fenêtre Sur Cour », c’est de mélanger la musique de source et la musique de film, et je trouve que c’est une manière intelligente de faire de la musique de film. Je pense que Hitchcock n’était pas content, d’après ce que j’ai découvert, de la musique de ce film, parce qu’elle était un peu trop « musique de source ». Mais sa partition est remarquable, surtout qu’on suit l’itinéraire du pianiste, qui écrit son œuvre, son concerto pendant le film. C’est remarquable. C’est une de mes dernières trouvailles personnelles ! Je découvre des choses très connues, mais tout le monde n’a pas accès à ça. Moi j’ai été longtemps dans la musique de film européenne.
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)