Cinezik : Quel a été votre parcours avant de travailler pour le cinéma ?
Olivier Florio : Je viens à la base de la musique contemporaine, plus particulièrement dés 16 ans de la musique électroacoustique, avec un travail sur l'objet sonore, sur des choses très brutes, ce que l'on peut entendre à l'IRCAM, même si j'ai aussi un parcours d'écriture classique orchestrale, de guitare et de piano. Quand j'ai commencé à travailler à l'image, j'ai fait des choses industrielles, comme U MAN de Julien Dajez (1998), court-métrage expérimental sur le rapport son/image avec deux danseurs dont les gestes étaient synchronisés avec la musique. J'ai donc commencé dans un travail direct à l'image. Puis j'ai fait de la publicité, et une collaboration sur le long métrage avec Jérome Cornuau sur DISSONANCES (2003), LES BRIGADES DU TIGRE (2006) et LES CERFS-VOLANTS (2007).
Au travers de vos diverses expériences, où avez-vous ressenti les plus grandes contraintes ?
O.F : J'ai trouvé la musique électroacoustique pure trop balisée, avec des normes esthétiques trop contraignantes. Cette matière qui s'étire avec des nappes me limitait dans la structure d'une oeuvre. J'avais ainsi le besoin de revenir à une écriture pour orchestre, de me reconnecter avec des structures différentes. Mon travail cinématographique permet de fusionner tout cela, de réunir ce que je pouvais savoir de la culture classique de l'orchestration avec ce que j'ai appris du travail en studio, et l'approche d'un objet sonore pur.
Quelle est votre approche d'une musique pour un film ?
O.F : Quand j'ai abordé le cinéma, je ne me suis jamais assujéti au film en lui même. J'ai toujours essayé de construire une BO/album indépendante du film. Cela donne lieu comme c'est le cas pour UNE NUIT à une musique conçue avant le film. Pour LES BRIGADES DU TIGRE, les thèmes étaient déjà orchestrés en amont puis ont été montés à l'image.
Comment définiriez-vous la nature de vos musiques ?
O.F : Mes musiques sont assez a-thématiques. Je n'essaie pas d'avoir une musique qui soit mélodiquement très reconnaissable, ce sont plutôt des matières qui peuvent constituer des thèmes par des textures qui reviennent de manière redondondante. C'est une musique assez atmosphérique, des textures qui s'imbriquent les unes dans les autres et qui peuvent être un leitmotiv de la même manière que le ferait une mélodie. Je viens de la musique industrielle, donc j'ai adapté ce travail-là pour le cinéma, en ajoutant du piano et des cordes comme sur DISSONANCES, un peu comme le fait Angelo Badalamenti chez David Lynch. L'orchestre se mêle aux textures. Sur UNE NUIT, il n'y a pas d'orchestre, cela reste plus proche de la pop.
Quel a donc été le travail avec le réalisateur Philippe Lefèvre sur UNE NUIT ?
O.F : Quand je l'ai rencontré, je lui ai proposé des musiques que j'avais écrites dans le cadre de mon projet pop "Oofloo", et à partir de ces titres-là est nait le reste de la BO. "Oofloo" désigne mes chansons, dans un style proche de Nine Inch Nails, loin de mon travail instrumental signé de mon propre nom.
Au départ, il n'était question pour le film d'utiliser que des chansons qui préexistaient au film et qui correspondaient à l'univers du film. Elles étaient déjà dans une atmosphère souterraine, nocturne, urbaine, et cela a intéressé le réalisateur. De là, j'ai pu remixer des textures faites pour ces chansons et les incorporer sans voix dans des phases du film. On a ainsi fonctionné par variations. Une chanson devenait une texture autour de laquelle je travaillais ensuite pour un moment donné du film. Il y a raccord entre la chanson qui précède et la texture qui suit. Un système de couche fait que la musique est permanente et glisse d'une nature à une autre. En plus, ma façon de chanter n'est pas mélodique, ma voix est susurrée avec des saturations, cela reste de l'ordre de la texture plus que du travail vocal. Quand la voix apparait, elle se fond bien avec le reste de la BO, même si dans l'album elle est bien isolée sous forme de chansons. Cette BO fut plus un travail de montage et d'agencement à l'image que d'un travail d'écriture et de composition. La lecture du scénario était primordiale pour me guider. Le film évoluant sur une seule nuit, ce n'était pas si évident de maintenir une tension musicale qui soit à la fois évolutive et cohérente.
Comment s'est déroulé le montage de la musique sur les images ?
O.F : Le montage de la musique a été fait par une amie, Celine Anselme, qui connaissait très bien mes titres puisqu'on avait déja collaboré. Elle devait manipuler cette matière musicale au service du film, ce qui n'était pas évident, il ne fallait pas faire de contre-sens dans l'utilisation à l'image. Céline a permis de proposer des astuces de montage purement liées à la musique. C'est d'ailleurs pour cela qu'un poste de monteuse musique a été crée et créditée spécialement pour ce film, car il n'existe pas en général en France. Cette écriture musicale qui ne se génère pas au moment du film implique un travail très fin d'analyse globale du film. Ce n'est pas un travail de clip, mais il est aussi arrivé que la monteuse du film monte sur mes musiques puisqu'il y avait une base déjà présente. Puis j'ai retravaillé la musique, que ce soit un remontage pour la synchro ou un remixage pour épurer certaines séquences.
Est-ce que votre musique ainsi conçue en amont a ensuite été mise à disposition des monteurs avec la capacité pour eux de changer l'agencement de ses couches ?
O.F : Je voulais en effet fonctionner sur un système de stèms, avec des pistes isolées empilées, mais pour la monteuse c'était ingérable, alors on a fait un pré-montage du film avec la musique, puis je repartais la retravailler chez moi. On a fait un travail d'allers et retours.
A la vision du film UNE NUIT, on pense à Trent Reznor pour THE SOCIAL NETWORK dans cette manière de texturer et de dynamiser les séquences ?
O.F : On a en effet des racines musicales communes. J'aime comme lui maintenir un climat fiévreux et orageux, cela correspond à ma vision du monde nourrie d'angoisses avec ce brouillard permanent. J'essaie de garder cela dans ma musique, ce qui est difficile dans le cadre d'un film, c'est pour cela qu'il faut que préexiste une connivence avec le film, pour rentrer dedans sans casser ma personnalité. J'essaie donc de maintenir ce climat brumeux et urbain. Mes racines sont dans la ville. Cela convient bien au polar qu'est LA NUIT, avec peu d'action. J'ai construit la musique comme une trame à part. Elle vient révéler des transpirations, des humeurs, comme une trame psychologique sous-jacente. Elle ne vient rien appuyer de ce qui se joue à l'image. Lors des déambulations en voiture, il y a quelque chose de redondant et d'obsessionnelle dans la musique. Il y a tout de même dans le film une séquence de confrontation dans les toilettes, et il y a ici une analogie musicale car cela apporte une certaine forme de dynamisme, mais c'est le seul cas de correspondance.
De quels compositeurs actuels vous sentez-vous le plus proche ou qui vous intéressent ?
O.F : Je me sens vraiment proche d'Angelo Badalamenti, moins pour son côté jazzy que pour son côté sombre, telle l'ouverture de MULHOLLAND DRIVE. J'aime aussi Hans Zimmer (LA LIGNE ROUGE) et John Powell sur certaines choses. Je n'écoute pas non plus tout ce qui sort.
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