jansen, - Interview B.O : Pierre Jansen Interview B.O : Pierre Jansen

jansen, - Interview B.O : Pierre Jansen

Entretien réalisé par Benoit Basirico en octobre 2005 à la Cinémathèque française. - Publié le 10-10-2005




Pierre Jansen a composé des musiques de films dans les années 60, notamment pour 27 films de Claude Chabrol. Depuis les années 80, il a cessé d'exercer cette activité de composition pour l'image. Il s'en explique.

Tout d'abord, parlez-nous de votre collaboration avec Claude Chabrol ?

Ma collaboration avec Chabrol fut une vraie collaboration, mais une telle association ne pouvait pas durer car je ne me voyais pas après tant de films enfiler l'un après l'autre les films de Claude Chabrol. Mais je crois que pour moi, ce fut une occasion car je me sentais libre stylistiquement, je pouvais écrire une musique que je voulais écrire, ce qui n'est pas toujours le cas en musique de film. Mais cinématographiquement, toutes les contraintes sont là, c'est un outil de travail, avec son minutage.

La musique de film permet d'expérimenter…

Pour composer de la musique de film, il faut savoir tout d'abord écrire de la musique, puis savoir manier un métronome pour la mesure et un chronomètre pour le minutage.

Avec Chabrol ce fut une collaboration normale pour un compositeur avec un cinéaste. On voit le film, on lit le découpage, puis quand le film est monté, on travaille avec le monteur. On prenait des minutages très précis, le début d'un dialogue ou un changement de plan pour pouvoir imaginer le discours musical d'après cela.

Etes-vous frustré d'être coupé au montage ?

Ce qui est terrible avec la musique de film, et ce sont les raisons pour lesquelles je ne fais plus de musique de film depuis un certain nombre d'années, c'est que lorsqu'on travaille pour un film on n'a pas le temps pour s'exprimer... Une musique prévue pour 30 secondes peut finalement n'en faire que 29 et pour une longue musique, c'est terrifiant. Lorsque la musique est déjà écrite, c'est insupportable.

Travaillez vous sur les éditions des CD ?

Fut un temps où les disques ne m'intéressaient pas du tout. C'était l'époque où le producteur disait « est-ce qu'il y aura un thème ? » ; Je répondais « il y en aura même plusieurs », ce qui ne l'arrangeait pas car il ne voulait qu'un seul thème et que ce soit le bon pour le vendre. En fin d'enregistrement, je demandais une copie magnétophone et faisais moi-même un montage. Dans le disque contenant "Le Boucher", il s'agit d'un montage musical ne correspondant pas forcément au montage du film, mais à son esprit.

Quel est pour vous le rapport entre la musique dramatique et les musiques de sources ?

La musique de source n'est pas de la musique de film. Il m'est arrivé d'en faire mais ce sont surtout des musiques additionnelles. Je ne voulais pas en faire car il s'agit d'une instrumentation qui m'est peu familière, ce que des arrangeurs de variété font mieux que moi.

Faites-vous des concerts de vos musiques ?

Cela ne marche pas bien. J'en ai fait pour Les Innocents aux mains sales de Chabrol, une musique que j'aime bien. Je l'ai développé pour un festival à Tours, dirigé par Georges Delerue (un ami, on est natif de la même ville, on a eu les même professeurs). Mais le montage pour le concert ne m'a pas plus, j'ai préféré la musique dans le film.

Avez vous eu des propositions pour le cinéma depuis 20 ans ?

Un jour, un type m'appelle pour une musique de film en me disant qu'il n'avait pas le budget. Je lui ai répondu que cela tombait bien qu'il n'ait pas le budget, car moi je n'avais pas le temps. J'ai eu une conversation très sympathique avec Josée Dayan qui me disait "pourquoi tu ne fais plus de musiques de film ?". Je lui disais que je ne voulais plus faire ça. Vraiment, je ne peux plus supporter.

Qu'est ce qui vous gêne tant ?

Nous sommes tout le temps dans le pastiche. Au fond, je ne peux pas continuer à pasticher des musiques savantes, la demande ne correspond plus à ce que je veux faire dans la musique de cinéma. Quand je débutais, j'avais très envie de faire cela, mais cette envie s'est émoussée. Et depuis, je n'ai de cesse de faire de la musique en dehors du cinéma. Vous savez que lorsqu'on est catalogué compositeur de musique de film, c'est très difficile de se faire admettre. Cela reste marginal dans le milieu musical. Quand je fais de la musique de film, on me dit que je fais de la musique symphonique, et lorsque je fais de la musique symphonique, on me dit que je fais de la musique de film. Cela commence tout de même par s'estomper, il était temps.

Mais certains compositeurs s'en sortent bien, avec beaucoup d'estime comme Philippe Sarde qui joue du contrepoint comme un langage propre de la musique de film...

Sarde est davantage un homme de cinéma que de musique. Moi, je suis avant tout compositeur.

Ecoutez-vous les musiques d'aujourd'hui ?

Non, je n'en écoute plus du tout. Je suis dans un milieu complètement musical actuellement. J'ai enseigné l'orchestration au conservatoire de Paris. Je fais beaucoup de musiques complètement en dehors du cinéma. J'ai cessé de m'en intéresser. Plus aucune surprise. Il y a bien sûr des musiques de film que j'ai apprécié mais c'est sorti de mon univers.

Quel regard portez-vous sur vos confrères de l'époque où vous composiez pour le cinéma, comme Antoine Duhamel ?

Alors Antoine, c'est autre chose, car nous avons travaillé ensemble sur la musique du film muet de Griffith : Intolérance . Il me disait "c'est tellement agréable quand le réalisateur est mort". C'est abominable de dire cela, mais il est vrai que l'on se sentait vraiment libre. Je regrette à propos de ce film que pour des questions financières, nous n'ayons pu avoir d'enregistrements. Il en est question actuellement pour une édition DVD, mais cela pose des problèmes car il y avait un grand orchestre et cela coûte beaucoup d'argent. Mon amitié avec Antoine Duhamel n'a rien à voir avec la musique de film. Lui aime encore ce travail, moi pas.

Vous aviez tout de même une certaine sensibilité face aux images ?

Je n'étais pas très à l'aise. Le langage personnel n'y est jamais. Un compositeur n'écrit pas son oeuvre musicale en faisant de la musique de film. Il fait la musique du film mais ce n'est pas son oeuvre de musicien. La musique est un monde clôt qui se suffit à lui-même. La musique de film est une partie du film, ce n'est d'ailleurs même pas toute la bande son.

Entretien réalisé par Benoit Basirico en octobre 2005 à la Cinémathèque française.

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