Cinezik : Après une si fidèle collaboration avec François Ozon, était-il évident de faire partie de ce nouveau projet ?
Philippe Rombi : François est si surprenant et change de style à chaque film, qu'il ne m'a jamais appelé au début, pour lui ce n'est pas une évidence, je pense. Tout d'abord, il cherche ce que peut être son nouveau projet, il est intrigué, il veut se renouveler, et il sait que j'aime faire cela aussi. Du coup, ça le conforte. Mais au départ, je n'étais pas sûr d'être appelé. La preuve, il ne l'a d'ailleurs pas toujours fait pour tous ses films non plus. Mais en tout cas, six films, c'est magnifique ! Si j'ai fait de la musique de film, c'est pour cela, créer une complicité avec un cinéaste, pouvoir entretenir l'esthétique, qui lui sert aussi à lui, qui renforce une identité. Mis à part le côté humain qui peut devenir magnifique (même si avec François, on ne se voit pas beaucoup en dehors, avec d'autres réalisateurs, il peut naître une camaraderie), je trouve que c'est beau de tisser sur une vie un parcours artistique.
Il n'a donc pas pensé à moi tout de suite, il ne savait pas si ce genre de film m'intéresserait, ce genre de musique, sans grand orchestre, avec peu de moyen, il a eu une retenue à me contacter, mais je n'en savais rien à ce moment là. Puis j'ai vu un jour qu'un film allait se faire et je me suis dit qu'il allait le faire sans moi, ça lui arrive parfois de ne prendre que des musiques existantes.
Et un jour le téléphone sonne et il me demande si cela m'interesse, sans en être sûr, car c'était à la fois très différent et à la fois sous une autre politique, sans trop de moyens, et puisque maintenant (après les ch'tis), j'étais un compositeur reconnu, je devais coûter cher. Je lui ai répondu que cela m'intéressait plus que jamais car je ne vois pas notre relation au coup par coup, mais sur une vie. Un jour il me dira qu'on a tant de millions, on a les moyens, et un autre jour qu'il a fait un court-métrage sans argent, mais sur une vie entière cela fera une jolie moyenne.
Avec RICKY, comment avez-vous perçu ce film si surprenant à la première vision des images ?
J'étais un peu décontenancé par le côté réaliste, âpre, étrange, glauque même, et le côté merveilleux que suppose cette histoire. C'était un challenge d'être poétique dans la musique, magique, et en même temps jouer avec le registre réaliste du film. Je suis parti sur plein de réflexion, et j'ai commencé par un premier thème, le thème principal du film d'abord, comme j'aime bien le faire, qui résume le fond de l'histoire, qui est une belle histoire, et après, j'ai fait les musiques d'atmosphère que le film nécessitait, et on a dû doser ces effets étranges, un dosage entre le réalisme et l'onirisme.
Lorsqu'il y a trois séquences qui s'enchaînent, on pourrait mettre de la musique sur les trois sans choquer personne, mais je me pose la question que si je mettais de la musique uniquement sur la séquence centrale, ou la première, si ce ne serait pas plus efficace, et si inconsciemment la musique aurait sa raisonnance dans la séquence suivante. Il faut expérimenter, il faut du temps pour cela. On peut toujours couler de la musique titre après titre, on peut remplir tout le film ainsi, c'est facile (enfin, pas facile de bien le faire), mais c'est une technique de faire de l'Underscore à tout va comme c'est la mode aujourd'hui, habiller tout un film sans que la musique se fasse trop remarquer.
Dans la séquence du supermarché, il y a la fois Alexandra paniquée, et les clients émerveillés, donc la musique que j'ai d'abord proposée jouait sur ces deux registres en même temps. La première fois que François a entendu il a beaucoup aimé, puis il a réfléchi et a voulu que ce soit uniquement le point de vue d'Alexandra qui s'exprime. C'est vraiment un choix de mise en scène. On ne peut pas dire que la première musique n'était pas réussie, on peut dire que c'est un autre choix. Avec François c'est toujours comme cela, il n'y a pas de bonne ou mauvaise musique, mais des questions de point de vue. On est convaincu d'avoir raison puis on se rend compte qu'un autre point de vue est possible. Ainsi, dans le supermarché, j'ai maintenu un point de vue de panique. J'ai enlevé le côté merveilleux, sauf à la fin, car il n'y a plus de panique, on est juste ébahi face à... j'en dis pas plus... (rires)
C'est en effet un film où il ne faut pas trop en dire, il faut savoir musicalement ménager la surprise aussi...
On en a beaucoup parlé avec François de la première partie, on ne savait pas s'il fallait être trop étrange au début. Il y a quelque chose de malsain, la musique ne révèle rien de beau, elle nous met dans un sentiment d'étrangeté. C'est d'ailleurs intéressant à écrire.
C'est vrai que par la musique, on peut influencer le spectateur. On aurait pu faire de RICKY, juste un film merveilleux, avec de la musique magique tout le temps. Pourquoi pas. Mais il ne fallait pas le filmer comme cela.
Dés que le bébé s'avère extraordinaire, la musique est inquiétante. Lorsque Paco le voit réaliser son prodige, j'avais composé quelque chose d'aérien, car le père était émerveillé. Mais François ne voulait pas, il voulait que l'on retranscrive une peur, donc j'ai fait quelque chose d'agité, des trémolos, on a peur qu'il lui arrive quelque chose, c'est un parti-pris de François. Là aussi, on aurait pu jouer uniquement sur l'émerveillement.
Il y a des gens qui rient car c'est énorme, lorsqu'elle lui met les habits, avec le casque... c'est quand même drôle, c'est le côté de Ozon qui ne se prend pas au sérieux. Même dans ANGEL qui est romanesque, il était capable de nous mettre des choses comiques, que d'autres n'auraient pas mis, il se joue de certaines situations, en se disant "après tout, c'est du cinéma", alors qu'il peut être l'instant d'après réaliste et dur. Dans 5X2, il y a des scènes bouleversantes et dures.
Interview B.O : Pierre Desprats (Les Reines du drame, de Alexis Langlois)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)