Interview réalisée à Paris le 4 novembre 2010 par Benoit Basirico
- Publié le 09-11-2010Cinezik : À quel moment le travail musical a-t-il débuté sur POTICHE ?
François Ozon : Je n'ai pas immédiatement pensé à la musique, mais j'ai contacté Philippe après avoir tourné la première séquence, celle du footing de Catherine Deneuve...
Philippe Rombi : Tu m'as dit qu'on allait travailler ensemble assez tôt, comme pour SWIMMING POOL...
F.O : Tu n'avais pas encore le scénario...
P.R : Je l'ai eu pour lire la suite du footing, mais j'ai d'abord eu les images...
Certaines chansons ont-elles été pensées en amont ?
F.O : Je me suis interrogé sur les chansons populaires de l'époque, alors j'ai consulté les titres des années 77, 78, dans les "hit parades", et je suis tombé sur Michèle Torr...
P.R : "Emmène-moi danser ce soir..." (en chantant)
F.O : Exactement ! Puis, j'ai cherché la chanson du Badaboom pour la danse, et ce fut un titre de "Il était une fois" que je ne connaissais pas du tout. Je me suis imprégné de l'époque, et j'ai vu des films en écoutant leur musique, avec Vladimir Cosma, Michel Magne, Delerue que je connais bien... Habituellement, au montage, j'utilise des musiques déjà existantes pour animer la séquence, mais cela n'est pas idéal pour Philippe et moi, car on s'y habitue et il devient difficile de s'en détacher.
P.R : Il y a eu des améliorations après les quelques films que nous avons faits ensemble. François n'a plus cette obsession de s'attacher à la musique témoin à tout prix. Il est très impatient que je lui propose autre chose pour rapidement enlever la musique initiale. Mais en même temps, cela nous donne un sujet de conversation...
F.O : C'est une base de travail. J'ai demandé à Philippe de créer ses propres thèmes, mais en retrouvant les instrumentations d'époque, pour que cela sonne comme dans les années 70. Je voulais que l'on s'immerge dans cette époque, comme les costumes, les coiffures. Il fallait donc que Philippe s'en imprègne. Je lui ai par exemple demandé que quelqu'un siffle, ou d'utiliser des voix "chabadabada"...
Ces voix renvoient à "L'Aile ou la cuisse" de Cosma...
F.O : J'avais vraiment en tête les films de Louis de Funès en faisant le film, sans les revoir, j'en gardais un bon souvenir. C'est vrai qu'il y avait des musiques qui reviennent à la mode aujourd'hui, dans une démarche "vintage". Ce sont de bonnes compositions en plus...
P.R : Tout à fait, ça a marqué notre génération, je n'ai pas eu besoin de réécouter les disques, je les ai dans la tête, comme une mémoire collective. Pour "L'Aile ou la cuisse", en revanche, j'ai dû réécouter l'original car l'idée était que Luchini écoute ce type de musique d'époque dans son transistor.
F.O : On s'est même demandé à un moment si on ne mettait pas "L'Aile ou la cuisse", et tu m'as dit que non, tu préférais faire quelque chose dans le même esprit.
P.R : C'était amusant de reprendre ces voix.
L'envie de faire chanter les comédiennes, cela vient-il d'un goût pour la comédie musicale ?
F.O : J'apprécie beaucoup la comédie musicale, ces moments où un acteur passe de la parole chantée à la chanson, en toute fluidité. De plus, faire chanter des acteurs qui ne sont pas des chanteurs professionnels offre une interprétation intéressante, car ils ne maîtrisent pas parfaitement cet exercice. Quand je demande à Catherine Deneuve de chanter, je sais que ce ne sera pas La Callas ou Edith Piaf, mais quelque chose de différent... c'est sa voix, son interprétation, et je trouve cela plus touchant que si c'était parfait. D'ailleurs, je pense que Jacques Demy a commis une erreur en ne la faisant pas chanter elle-même dans "Les Parapluies de Cherbourg" (elle était doublée pour le chant par Danielle Licari), et dans "Une Chambre en ville" elle devait chanter avec Gérard Depardieu, mais Jacques Demy les a finalement remplacés par Richard Berry et Dominique Sanda.
Au début de votre carrière, hésitiez-vous à utiliser de la musique originale ?
F.O : J'avais tendance à penser que si je devais mettre de la musique, c'était parce que j'avais raté quelque chose. Mon idée était de pouvoir me passer de musique, pour une pureté du film. C'est l'héritage de Bresson. La musique est un artifice supplémentaire. Mais, peu à peu, grâce au travail avec Philippe, j'ai réalisé que je pouvais raconter une histoire différemment à travers la musique, et pas seulement parce que l'émotion ne passait pas et que j'étais contraint d'ajouter des violons. Parfois, avouons-le, on est obligé de mettre de la musique qui soutient l'action, quand la tension ne transparaît pas à l'image. La musique est aussi là pour pallier un manque dans le récit, mais cela ne résout jamais complètement le problème, à mon avis. Avec le temps, quand, pour SWIMMING POOL, Philippe avait composé une musique en parallèle de l'histoire, qui correspondait à ce que vivait Charlotte Rampling, un film sur la création où la musique se crée en même temps, je me suis dit que la musique pouvait avoir ce rôle sans être redondante.
Quel est donc le rôle parallèle de la musique dans POTICHE ?
F.O : Il y a deux niveaux. Il y a la veine comique, satirique, un peu parodique, avec une musique kitsch, qui correspond au monde de Suzanne Pujol, avec ses petits poèmes et des violons assumés, un peu kitsch. Puis il y a une musique plus "deleruienne", plus sentimentale qui convient davantage à la veine de Philippe pour les scènes entre Gérard Depardieu et Catherine Deneuve, davantage passionnées et romanesques.
P.R : C'est vrai que j'ai été très tôt touché par ce duo, je me suis dit qu'il serait bien de faire un thème qui puisse être sobre au piano seul, ou plus dramatique. Il fallait doser comme des températures.
Cherchez-vous une musique qui marque les spectateurs au point de s'en souvenir après la séance ?
F.O : J'adore voir des films qui me donnent envie d'acheter la bande originale en sortant, j'aime quand un thème me captive, m'en souvenir, donc souvent je demande à Philippe de composer des musiques qui pourraient devenir des tubes (rires).
P.R : C'est pour cela qu'on s'entend bien, car j'adore la mélodie.
F.O : Je n'ai pas peur de la mélodie, je trouve qu'elle sert un film. Des morceaux très mélodiques qui peuvent paraître faciles sont souvent plus complexes. Je me souviens, quand j'ai utilisé la chanson "Bang Bang" de Sheila (utilisée dans mon court-métrage "Une Robe d'été"), les Cahiers du cinéma avaient écrit "enfin un film qui nous fait aimer une chanson de Sheila", une chanson qui a été utilisée depuis par Tarantino et Xavier Dolan. Mais à l'époque, c'était le comble du ringard d'utiliser cette chanson.
Comment se fait le choix des thèmes entre vous ?
F.O : Je ne me souviens pas lui avoir jamais refusé un thème. C'est plus dans le choix des instruments qu'il utilise que je l'oriente. Je lui fais confiance sur les thèmes, il arrive à en trouver qui accrochent l'oreille, qui sont aussi riches, mais souvent je l'oriente sur les instruments. Pour SOUS LE SABLE, par exemple, je lui avais parlé d'un piano accompagné d'un violoncelle. Philippe est un musicien généreux, il faut parfois réduire un peu.
Dans POTICHE, en quoi la musique contribue-t-elle au comique ?
F.O : Elle a un effet comique lorsqu'elle est en décalage avec ce que l'on voit. Elle joue sur la nostalgie, ce qui crée un sentiment de décalage. La musique est drôle quand Karin Viard prend sa bombe à cheveux et que la musique joue du suspense, ou quand Catherine récite son poème, qui n'est pas extraordinaire, sur une musique très romantique et grandiloquente.
P.R : C'est un contrepoint, la musique est sucrée, mais elle n'est pas strictement drôle, ce n'est pas une musique de situation comique, c'est juste une musique d'humeur, et c'est ce qui fait rire.
Y a-t-il une spécificité dans votre collaboration musicale avec François Ozon ?
P.R : J'aime cultiver avec un réalisateur quelque chose qui lui soit propre. François change de registre à chaque film, mais il a l'intelligence de penser que son compositeur peut s'adapter sans changer de compositeur. Et j'essaie de cultiver une réminiscence, un son de piano, des cordes, pour renforcer la personnalité du réalisateur, ça unifie une œuvre. J'essaie toujours de penser à une œuvre, plutôt qu'à un film au coup par coup.
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