Cinezik.org : Comment se sont passés vos débuts dans le Jazz ?
Stephan Oliva : J'ai commencé la musique en improvisant. J'inventais des petits morceaux. Je me suis donc à un moment posé la question de la retranscription sur papier. J'ai donc ensuite fait de la musique classique en apprenant les règles d'interprétation. Puis un jour, j'ai découvert le jazz à la radio, je suis allé voir des cours d'Eric Watson et me suis vite passionné pour ce genre musical. Le premier concert que j'ai vu dans ma vie est celui de Bill Evans.
Vous composiez donc déjà, en improvisant ?
Oui, tout musicien de jazz compose des petits thèmes qui sont des supports pour improviser, ce que je faisais déjà.
Comment s'est passé le passage du jazz à la composition pour le cinéma ?
Grâce à Jacques Maillot qui écoutait mon disque "Jazz in Motion" quand il travaillait sur le scénario de FROID COMME L'ETE (2002), et m'a donc appellé sur ce film pour en faire la musique en solo.
J'ai composé FROID COMME L'ETE de façon "jazzistique", contrairement au dernier film. Car même si aujourd'hui avec LES LIENS DU SANG, j'ai toujours cette méthode d'interprétation, il a tout de même fallu que j'écrive davantage, pour que les six musiciens puissent jouer ma musique.
En tout cas, pour reprendre votre question, pour moi le passage vers le cinéma est naturel. La musique se nourrit de pleins de choses et le jazz est nourri de cinéma. Des grands standards de jazz viennent du cinéma (le thème de LAURA, par exemple).
Trouvez-vous tout de même une différence entre ces deux domaines musicaux ?
Et bien, quand je suis face à un film, la musique est subordonnée au projet, le rapport à l'image est fort. Par exemple sur LES LIENS DU SANG, les aspects rock sont là pour coller à l'époque des années 70 du film, en s'inspirant de Lalo Schifrin.
Parlez-nous justement des thèmes dans LES LIENS DU SANG...
J'ai travaillé trois thèmes, l'un pour la relation entre les deux frères joués par Guillaume Canet et François Cluzet qui revient cycliquement, un thème introverti attaché à Gabriel et sa relation amoureuse, et un thème d'action à la "Dirty Harry". Je travaille chaque thème à partir d'une boucle cohérente sans tenter de faire un exercice de style. C'est un travail délicat.
Comment s'est déroulé le choix des instrumentistes sur ce film ?
C'est une coproduction avec la Belgique, alors je devais engager des musiciens belges. Mais pour moi, je devais avoir des musiciens que je connaissais déjà, alors j'en ai imposé deux en qui j'avais confiance. Les autres musiciens, je les ai choisi en écoutant des interprétations sur disque.
Vous êtes non seulement compositeur de cinéma, mais aussi un amateur mélomane de musique de film au point de faire des disques de réinterprétation...
Ce qui m'intéresse, c'est me poser toutes les questions, en partant de zéro. La musique de film doit correspondre à divers facteurs. Mais je pense que c'est un amour de la musique avant tout.
Et concernant votre disque GHOSTS OF BERNARD HERRMANN...
J'avais pensé à lui en composant FROID COMME L'ETE, une musique menaçante, angoissante, alors que les images ne l'étaient pas. LES LIENS DU SANG est bien sûr moins « herrmannien » car le film n'en avait pas besoin. Pourtant, j'avais composé quelque chose « d'herrmannien », mais je ne l'ai pas gardé. Il y a un travail d'aller à l'essentiel dans la musique de film.
En tout cas, dans mon travail de réinterprétation, j'aime être dans la position d'un spectateur face à un film, et retraduire en musique la réception d'un film, interpréter musicalement une certaine cinéphilie. Pour GHOSTS..., j'ai choisi le piano car c'est un instrument orchestral qui met à nu la pensée des gens, je trouve. L'autre chose qui m'a intéressée, c'était de jouer des choses non pianistiques, d'où une part de création dans ce travail de retranscription. Et tout cela ne s'est pas fait sur partition, car il n'en existe pas, mais à l'oreille.
Que représente votre collaboration avec Jacques Maillot ?
LA MER A BOIRE est mon quatrième film avec Jacques Maillot et c'est à chaque fois différent pour éviter de tomber dans une certaine routine. Il m'a appelé assez tard pour LA MER A BOIRE. Le film était déjà tourné. Il a eu l'idée de ne pas me montrer les images, il m'a juste envoyé le scénario. J'ai ainsi pu imaginer les thématiques sans voir le film. Le but était de ne pas être trop influencé par les images contrairement à ses autres films où j'avais vu les rushes. Pour LES LIENS DU SANG j'avais même assisté à un jour de tournage. Jacques est très ouvert, je peux oser plusieurs propositions. Il m'a donné quelques pistes, il m'a parlé de la musique du FESTIN NU même s'il n'en reste presque rien. Il en reste tout de même quelque chose dans la séquence avec les CRS lorsqu'un saxophone improvise sur une mélodie de cordes que j'avais écrite. La monteuse Andréa Sedlackova a choisi ensuite parmi mes morceaux ce qu'elle pouvait retenir comme thématique. C'est amusant de voir quels thèmes ont retenu l'attention. Ils ne sont pas forcément ceux auxquels je pensais. Au début, il ne faut pas se laisser submerger par trop d'idées d'ordre intellectuel, il faut partir de zéro, mais il faut aussi avoir conscience des clichés que contiennent les styles musicaux. Par exemple, en tant que musicien de jazz, je connais bien tous les aspects émotionnels de ce style musical, mais pour quelqu'un qui connait moins cela va lui évoquer des choses plus réduites.
Que reste t-il du jazz dans la partition de LA MER A BOIRE ?
S.O : Je suis certes musicien de jazz, en autodidacte, je joue dans cette BO du piano et du Fender et je m'entoure de musiciens qui ont la capacité d'improviser. Mais sinon, tout est écrit et au final on est loin du jazz, je ne serais pas capable de dire à quel style musical cela correspond. La musique s'imprègne d'éléments culturels. On est toujours dans une famille musicale, on est toujours une branche reliée à un arbre, mais dans la musique de film, il n'y a aucune limite à la créativité, c'est ce que j'aime. C'est une musique où l'on a la liberté totale du style, mais en même temps c'est une expression à cheval entre un film et son public, c'est particulier.
LA MER A BOIRE est un film social avec d'un côté le patron d'une entreprise de construction de bateau (Georges Pierret incarné par Daniel Auteuil) poussé par sa banque à licencier du personnel et de l'autre les ouvriers en rébellion. Comment les thèmes de votre partition s'associent à ce récit ?
S.O : Il y a un thème solennel et impérial lié à la construction et la mise à l'eau du bateau, c'est le sentiment de réussite collective de l'entreprise. Il y a le thème plus individuel lié au destin tragique du personnage qui commence dés le générique de début et qui revient tout le long du film, dans un sentiment d'inéluctable. Il y a une échappée au milieu du film liée à la relation amoureuse qui se tisse entre le personnage et la femme russe, ce thème est lié à un renouveau passager. Enfin il y a un thème qui lie l'amitié entre le personnage de Pierret et le menuiser qui a construit le bateau que l'on retrouve à la fin du film. La musique permet de comprendre que ce personnage est humain, que ce n'est pas le profil du patron froid qui ne se soucie pas du sort fait à ses employés. Il y a la métaphore du "tout le monde est dans le même bateau".
Quels ont été vos choix instrumentaux ?
S.O : Il fallait être en contrepoint à l'image. Il est intéressant de ne pas faire trop d'arrangement et de se contenter d'une simple guitare ou d'un piano pour les individualités. Les passages orchestraux du film sont pour les moments solennels. Il y a le rapport entre l'intimité de chaque personnage et l'entreprise collective. Les percussions sont là pour mettre un rythme au film, la musique donne une perception différente du temps et les éléments rythmiques sont là pour dynamiser.
Jacques Maillot a laissé toute sa place à la musique en instaurant de véritables moments musicaux...
S.O : Pour les moments musicaux, les réalisateurs emploient souvent des additionnels, et j'aime bien cet usage, cela apporte de la richesse, de la diversité, de la respiration. J'ai l'impression que ma musique dans ce film joue ce rôle. La musique doit aller franchement dans sa fonction, qu'elle puisse exister vraiment. Il faut une vraie harmonie avec un réalisateur pour que cela puisse exister en toute confiance, car la musique peut changer la perception du film. Il y a aussi un souci d'équilibre entres les moments musicaux avec une bonne répartition dans le film, ce qui dépend aussi du montage. Puisque celui-ci change tout le temps, il faut sans cesse rééquilibrer.
Sinon, votre activité principale demeure les concerts. Vous avez par exemple joué votre projet "Film noir" à Arcueil le 2 février dernier...
S.O : Philippe Truffault qui travaille pour des émissions à la télévision a fait un travail de vidéaste en direct sur scène avec moi qui improvise sur des musiques de films noirs. Il a travaillé à partir d'extraits de films en les ralentissant, les superposant. En travaillant sur des musiques de films sorties de leur contexte, sans les images qui les ont vu naitre, j'ai l'impression d'être dans la tête d'un compositeur qui cherche son inspiration, dans la peau de David Raksin, et d'imaginer des images à partir de cette musique.
Est-ce que les musiciens de vos concerts participent à l'enregistrement de vos musiques de films ?
S.O : Jean-Marc Foltz avec qui je fais de la scène depuis longtemps a participé aux films LES LIENS DU SANG et LA MER À BOIRE. J'aime travailler avec des musiciens que je connais car ils sont déjà une partition en eux-même, je sais comment ils sonnent, et ils vont comprendre très vite. De plus en musique de film il faut être rapide. J'y ajoute aussi des personnes nouvelles à chaque fois.
Quels sont vos désirs pour le cinéma ?
S.O : Je ne cherche pas particulièrement, je laisse les choses arriver. J'adorerais travailler avec quelqu'un comme David Lynch. J'ai d'ailleurs joué au Silencio (la salle parisienne designée par le cinéaste), il y avait peu de monde, on se serait vraiment cru dans un film de Lynch pour le coup, j'étais sur la scène reproduite de Blue Velvet, et je jouais de la musique de films noirs trafiquée.
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