lai, - Interview B.O : Francis Lai Interview B.O : Francis Lai

lai, - Interview B.O : Francis Lai

Propos recueillis en 2005 et 2009 par Fabien Morin, Sylvain Rivaud et Benoit Basirico - Publié le 14-04-2009




Francis Lai est un mélodiste autodidacte, compositeur régulier du cinéaste Claude Lelouch depuis leur rencontre sur Un Homme et Une Femme (1966). Pour l'orchestre de Mayerling (1968) de Terence Young il confie l’orchestration à Christian Gaubert. Il reçoit l'Oscar pour Love Story (1971). 

Quelle est l’évolution dans la manière de travailler une musique de film entre les années 60 et aujourd’hui ? 

Je crois que l’évolution est venue uniquement par la technique. Car les compositeurs travaillent toujours de la même façon : ils cherchent des thèmes, les orchestrent ou les font orchestrer, écrivent la musique après ou avant le film, comme je le fais avec Lelouch (la musique est enregistrée avant le tournage : c’est d’ailleurs un des rares qui fait ça)... Mais sinon, c’est seulement la technique qui a évoluée. Je pense que chaque compositeur qui a une écriture personnelle met son talent au service du cinéaste, de sa vision. Il ne faut pas se leurrer : nous sommes entièrement au service du réalisateur et du film. 

Pour vous, quelle est la place de la musique dans un film ? Doit-elle soutenir l’émotion, comme chez vous, ou s’inscrire avec les autres sons du film… ? 

Elle joue un rôle important. Au début d’un film, la musique donne l’ambiance, la couleur du film, vous enveloppe de son atmosphère. C’est là où c’est très délicat : si vous vous loupez, vous pouvez mettre l’image complètement à plat. Parfois, elle prend trop de place : ça arrive de temps en temps, que certaines musiques très belles et bien écrites, mais tellement fournies, ne servent finalement plus le film. Il faut lui donner sa place en l’utilisant en contrepoint, quand la musique raconte autre chose, quand elle donne des frissons pendant certaines séquences. Et c’est un peu le but de ce que je recherche. Mais chacun a sa propre façon de voir la musique de film, et heureusement d’ailleurs ! Et ça fonctionne même quand certains réalisateurs tiennent à souligner tout ce qui se passe. 

Et avec Claude Lelouch, comment ça se passe ? Quelles indications vous donne-t-il pour vous décrire l’univers du film ? 

Il raconte son histoire. Mais il la raconte tellement bien qu’on a l’impression de voir déjà les images ! Et il sait absolument ce qu’il veut. Il y a quelques points à capter quand il raconte, notamment quand il évoque une séquence où la musique peut être importante. Et quand il a fini, il me dit : « c’est à toi, tu me la racontes en musique, maintenant » ! 

Claude Lelouch veut que la musique soit toujours un contrepoint avec l’image. Il refuse que la musique double ce que l’on voit à l’écran. Il a raison, sinon elle ne sert à rien. Il fait jouer à la musique un vrai rôle d’acteur.

Contrairement à certains compositeurs, vous ne vous êtes jamais caché de travailler avec des orchestrateurs (Christian Gaubert, Jean Musy…), comment se passent ces collaborations ?

C’est assez simple, on se divise la tâche. Moi, je fais un travail de recherche des mélodies, de l’harmonie. Ce sont mes complices, ils savent parfaitement ce que je souhaite pour le choix des instruments, des ambiances. Il y a un rapport de confiance absolument. Aujourd’hui, la méthode de fonctionnement a un peu changé parce que je fais des maquettes avec les nouvelles technologies, les samples, les ordinateurs… Tout ça me passionne. On peut travailler des sons originaux. J’orchestre déjà ce que je souhaite et ensuite les orchestrateurs travaillent la matière plus ou moins sur ce que j’ai envie d’entendre.

Quel regard portez-vous sur la musique de film actuelle, les compositeurs qui émergent ? 

D’après ce que j’ai entendu hier soir (la projection des compositions de quatre jeunes talents sur une même scène d’un film), j’ai entendu des choses très intéressantes, très novatrices dans l’orchestration. Je pense que la nouvelle génération va nous amener de nouvelles choses dans la musique de film. 

Et parmi les compositeurs qui ont déjà un nom depuis dix ans, pensez-vous qu’il y en ait qui poursuivent à leur manière votre propre travail ? 

Chacun a sa personnalité. J’aime beaucoup Bruno Coulais, parce qu’il écrit des choses très belles. Eric Serra a aussi fait de très belles choses, ça marche bien avec Besson. Il y a ce « mariage » avec le réalisateur, qui est formidable. Quand un cinéaste et un musicien s’entendent bien, ça va tout seul. 

Justement, Eric Serra et vous-même êtes réunis dans un même festival, aujourd’hui, et c’est intéressant de noter les similitudes : Eric Serra avec Besson, c’est un peu vous avec Lelouch, et Eric Serra avec le rock, c’est aussi un peu vous avec la chanson française, il y a une certaine relation populaire…

Oui, on a peut-être cette chance-là d’avoir un public assez large. D’être mélodique au départ, et de faire des thèmes que le public peut facilement mémoriser, des mélodies originales. La difficulté elle est là : faire des mélodies originales. La seule hantise qu’on peut avoir en tant que compositeur, c’est se plagier soi-même, et ce n’est pas évident du tout. Et plus on en fait, plus on est obligé de chercher, d’aller vers des terrains inconnus. 

Comme Luc Besson, Claude Lelouch a été l’objet de vives critiques, en avez-vous fait les frais ?

J’ai été très malheureux de tout cela. C’était injuste, il y a eu un acharnement presque malsain contre Lelouch, une espère de jalousie incroyable que je ne comprends toujours pas. Je trouvais « Les Parisiens » très beau, même si je connais le cinéma de Claude par cœur. J’aime comme il filme la vie, les émotions, c’est dommage qu’il n’ait pas pu finir sa trilogie. Je n’ai pas trouvé cela très bien de la part de certains qui l’ont descendu. D’ailleurs, il y a une chose qui m’étonne toujours : comment est-ce possible qu’un cinéaste français aussi populaire dans le monde entier (c’est un des rares a sortir ses films au Japon, aux Etats-Unis… il a des récompenses de tous les pays du monde) n’ait jamais eu de César ? Je trouve ça anormal. « Itinéraire d’un enfant gâté », « L’Aventure c’est l’Aventure », « Un homme et une femme », « Vivre pour vivre », ou « Les Uns et les Autres », sont quand même des films qui font partie du patrimoine cinématographique français ! Je trouve qu’il y a une injustice…

Est-ce que vous sentez que vous avez des difficultés à sortir du « cercle Lelouch » ? Avez-vous d’autres propositions en France actuellement ? 

En France, j’ai levé le pied : j’en suis à 130 films ! Au début de l’année 2006, je vais faire un film aux Etats-Unis (sans prendre l’avion !), et je travaille sur une comédie musicale avec une librettiste canadienne. 

Pensez-vous à Michel Legrand, compositeur pour Jacques Demi, en faisant une comédie musicale ? 

Oui. J’ai découvert Michel Legrand avec « Les Parapluies de Cherbourg ». Ce fut pour moi un grand moment de musique et de cinéma ! D’ailleurs, je lui dis toujours que cela a été un moment magique dans ma vie. 

Et votre collaboration avec les italiens (vous avez travaillé avec Dino Risi), elle continue ? 

Non, et ça fait un moment ! Mais justement, je vais au festival de Florence début novembre, et je vais peut-être renouer avec eux. J’aime beaucoup le cinéma italien. 

Comment voyez-vous la place de la chanson française ou de la comédie musicale dans le cinéma français actuel ? 

La chanson vient toujours après le thème du film, s’il est chantable. Dans « Love Story », la chanson n’existait pas dans le film, elle a été créée après. C’était pareil pour « Un Homme et Une Femme ». Je crois que ça a changé, cette habitude de mettre une chanson au début du film ou en générique de fin… Quoique, regardez « Titanic » ! 

N’avez-vous pas peur qu’on vous colle, en France ou ailleurs, une étiquette de « compositeur romantique » ? 

Je ne le renie pas du tout. Je me sens bien dans cet esprit ! J’essaie de faire autre chose, mais je ne saurais pas faire une musique de film drôle ! Si on se sent bien dans un univers, pourquoi aller dans un autre ? J’ai fait des tentatives parce que ça m’intéresse. La musique est tellement vaste que ça plaît. Mais ma préférence va aux musiques romantiques avec de belles harmonies

Aujourd’hui, quel regards portez-vous sur la musique de films. On a l’impression qu’elle sert plus à remplir les vides. Vous qui êtes un formidable mélodiste, n’êtes vous pas déçu de voir de plus en plus de musiques dite « atmosphériques » ?

C’est vrai que c’est un peu dommage de n’exploiter une musique de film que comme une musique d’ambiance. Certains metteurs en scène ne veulent pas que leur musique s’écoute, mais ils veulent qu’elle se devine. Je ne vois pas où est l’intérêt ! Une bonne musique de film doit pouvoir être écouté sans les images, sur un support CDs par exemple. Et si vous l’écoutez sans les images et qu’elles vous les rappellent, alors c’est gagné.

Qu’est-ce qui vous pousse à composer encore aujourd’hui ?

J’ai toujours l’espoir de trouver un thème ! C’est le privilège de la musique que d’offrir des possibilités à l’infini. Il y a toujours des nouvelles choses qui apparaissent. On le voit, tout évolue. Même en dehors de la technique. Il y a toujours des nouveaux styles de musiques qui apparaissent. Le plus intéressant, c’est le mélange des cultures. Certains mélangent donnent des résultats extraordinaires. Quand on voit le mélange du jazz et de la musique indienne, par exemple, ou même les rappeurs qui utilisent des samples de musiques classiques. Il n’y a pas de limites. C’est universel. On peut faire le tour du monde avec n’importe quelle musique !

Est-ce que vous vous rendez sur les lieux de tournages quand vous devez composer après le montage ?

Pas souvent. Quelquefois cela m’arrive, quand le réalisateur me le demande afin que je m’imprègne de l’atmosphère du film. Mais je préfère voir les images définitives. Et je préfère aussi éviter le temps-track. D’une part, il y a le risque que le metteur en scène attende la même chose. De l’autre, on risque de plagier ce qui a été mis et ça enlève tout intérêt à la création.

Propos recueillis en 2005 et 2009 par Fabien Morin, Sylvain Rivaud et Benoit Basirico

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