Quel était le travail spécifique sur MEFIE TOI DE L'EAU QUI DORT de Jacques Deschamps ?
On a énormément travaillé avec Jacques Deschamps. Il a fait un film sur la nature, sur l'évolution des saisons. On voulait éviter de « plaquer » de la musique sur ses images parce que ce n'était pas possible pour le film, cela le tuerait même, cela le « romantiserait », le daterait. Il fallait trouver des matières, créer une atmosphère, mais aussi un côté un peu thématique car que les matières seules sont très austères.
Les dialogues et sons du film sont tellement importants que nous les avons gardés sur le disque, avec la voix de Renucci. C'est un Cd dont je suis extrêmement fier. Il s'agissait pour ce film de recomposer la totalité du film puisqu'on ne peut pas écouter la musique du film sans les sons. J'ai d'abord composé des pièces puis je les ai « démembrées » pour les incorporer dans la bande son. Un travail proche de celui de la musique concrète, tout en demeurant thématique et mélodique. Le cinéma est un art de l'instant qui oblige à s'inscrire dans un présent perpétuel. C'est intéressant pour un compositeur.
Entre MEFIE TOI DE L'EAU QUI DORT et LE CŒUR DES HOMMES, vous aimez les grands écarts ?
La musique savante pour orchestre ou petite formation est mon écriture de prédilection. Mais j'ai fait une petite entorse à la règle avec Marc Esposito sur LE COEUR DES HOMMES en écrivant pour un groupe de Rock. Nous nous sommes retrouvés trois ans plus tard pour TOUTE LA BEAUTE DU MONDE.
Quel a été votre travail pour Marc Esposito sur TOUTE LA BEAUTE DU MONDE ?
J'ai lu le roman dont le film est adapté. On s'est peu parlé avec Marc car il s'agissait d'une seconde collaboration. Je lui ai proposé d'écouter un disque, "Air des toiles", compilant dix ans de mes musiques de films, ce qui nous permettait d'avoir un langage commun, et pour lui de rentrer dans mon monde. On a donc décidé d'écrire une partition symphonique en opposition aux chansons qu'il utilise beaucoup dans ses films et qu'il continue d'utiliser. Le caractère romantique et intime de la relation des deux amoureux nous inspirait ce monde là, comme une bulle autour deux. La musique a été enregistrée à Abbaye Road à Londres. Quand je suis partie au milieu de la nuit, j'ai regardé au mur, il y avait des portraits d'artistes comme Les Beatles, Maria Callas ou Herbert Von Karajan.
Cela ne vous dérange donc pas de composer à côté de chansons pré-éxistantes ?
Non, parce qu'il a le sens de cela, il s'en inspire comme dans la vie. Car dans la vie il y a de la musique partout, dans les cafés, dans la rue.. Moi qui ai un monde intérieur vivant puisque je compose, j'avoue subir la musique extérieure car j'aurais besoin de davantage de calme pour développer tranquillement mes idées. C'est un souci de compositeur. Sur TOUTE LA BEAUTE DU MONDE, il y a un tiers de musique originale, un tiers de musique anglo-saxonne, et un tiers de musique balinaise. C'est un équilibre pratiquement mathématique.
Quand Marc m'a rencontré, il m'a proposé d'écrire une petite suite symphonique, et il en a utilisé des fragments, certains des mouvements, tel quel, avec peu d'adaptation. A part un thème qu'il utilise beaucoup et sur lequel a eu lieu un retraitement spécifique à l'image, il s'est surtout inspiré de mon travail personnel sans y toucher, ce qui est très agréable.
Peu de compositeurs pensent construire ainsi une oeuvre personnelle dans le travail pour un film...
J'ai la chance de travailler avec des réalisateurs qui me font plutôt confiance. Dans le cas où le langage ne s'installerait pas complètement, j'ai la souplesse d'essayer de répondre à leurs questions tout en abandonnant parfois le projet en me disant que je ne peux pas le faire, parce que mon langage ne leur correspond pas. L'intérêt pour moi de composer pour le cinéma, c'est qu'il s'agit d'une musique de scène. J'apparente cela à la musique de ballet, comme les compositeurs au XIX ème siècle. Le cinéma nous propose un terrain de création de musiques nouvelles. Il faut bien sûr correspondre à une scène, à un film. Il faut qu'il y ait une proximité avec l'univers du film. Je n'ai jamais eu l'impression pour le moment d'être dominée par quelqu'un qui passe une commande se situant loin de moi.
Comment êtes-vous intervenue sur SERKO, réalisé par Joël Farges ?
La veille de l'enregistrement des Enfants du pays , Joël Farges m'appelle en phase finale de SERKO, il souhaite que je visionne le film. C'est la première fois que je fais un film pour enfant. Il s'agit d'un film très beau sur les chevaux, un récit magique d'un enfant qui traverse la Russie à cheval, un récit qui parait irréel, qui suscite l'imagination des enfants, mais qui s'avère très réaliste, un peu comme un conte de fée. J'avais trois semaines pour composer, et les trente minutes de ma musique sont dans le film. C'était la veille de Noël et je devais partir en famille au sud tandis que SERKO se déroule en Sibérie. Composer à L'île Maurice, sous les cocotiers, un thème russe. Nous étions tous en maillot de bain, et je cherchais des couleurs russes avec clarinette basse.
Il y a 40 musiciens avec tout d'abord une ouverture assez fraîche qui est comme une introduction à cette histoire d'amour entre adolescents, ce qui participe au parcours initiatique. Cela débute ainsi en choral de cordes, une litanie harmonique, des accords qui se succèdent, puis la musique va s'élargir pour devenir panoramique pour accompagner les images de ce décor magnifique. Puis un deuxième thème est typiquement un thème russe, même d'ailleurs davantage tchèque (Svetlana), on a même enregistré à Prague, au Rudofinum. J'ai écrit la musique en une semaine.
Vous empruntez régulièrement aux musiques traditionnelles comme dans LES PYGMEES DE CARLO…
Pas régulièrement… Là c'était un vrai mélange, des chants africains avec l'orchestre. Tandis que dans SERKO il n'y a aucun mélange entre la musique du pays et la musique symphonique. Dans LES PYGMEES DE CARLO, j'ai volontairement introduit des chants africains et composé autour une musique d'orchestre.
Parlez-nous du film LES ENFANTS DU PAYS…
Le réalisateur Pierre Javaux (qui est aussi producteur de film) est mon mari et Emma Javaux, la jeune comédienne de 17 ans, est ma fille, et c'est son premier rôle au cinéma. Le film se déroule en France dans les Ardennes en mai 40 où vit Michel Serrault avec sa petite fille et son petit- fils . Tout le village est déjà parti. Débarque soudainement un régiment de tirailleurs sénégalais, perdus, qui attendent des ordres. C'est la rencontre improbable entre ces africains et ces trois français inconscients de la guerre. Un film sur l'universalité du langage, de l'amour et de la musique. Dans une séquence, Serrault allume la radio et tombe sur une chanson de comiques troupiers qui s'appelle « Le soldat Ripaton » que j'ai écrit pour le film, et se met à la chanter et à jouer par dessus avec son Buggle. Michel Serrault en joue en vraiment. C'est une chanson présente dans le film au moment du tournage que j'ai du donc composée avant. Ce film réhabilite la mémoire de ces hommes qui ont également participés à la seconde guerre, tandis qu'aucuns de leurs noms ne figurent sur les monuments aux morts en France. Il y a aussi une très longue partition symphonique avec de la trompette, du célesta et des cordes interprétées par un orchestre francais le "Philarmonique Palais Orchestra". On entend aussi une chanson de Joséphine Baker et une chanson de Charles Trenet "Douce France".
Tout d'abord on s'est vu et parlé, car il faut que le courant passe, c'est important de bien s'entendre avec sa réalisatrice car on a un rôle important en devenant la personne musicale d'un réalisateur qui ne connaît pas forcément la musique. C'est à moi de proposer des choses car le metteur en scène ne peut exprimer avec des mots ses envies. On ne peut pas travailler avec quelqu'un avec qui on n'a pas de feeling.
Cela fait donc onze ans que Pascale Ferran n'a pas tourné, depuis L'AGE DES POSSIBLES que vous avez également composé pour elle. Pendant cette absence, à quel moment avez vous eu connaissance du projet de LADY CHATTERLEY ?
Je savais qu'elle avait ce projet, même si Pascale aime s'entourer de mystère. Un jour elle m'a appelé, et j'avais l'intuition qu'elle allait me parler de ce film. Elle m'a donné le scénario. Elle avait monté des musiques. Il y avait du Bach que le personnage de Constance joue au piano dans le film. Elle avait monté le "lever du jour" du Daphnis et Chloé de Ravel, ce qui me mettait mal à l'aise, car il fallait passer après cela.
N'est-ce pas un frein à la créativité ces musiques temporaires qu'il faut ensuite imiter ?
Il ne faut jamais empêcher quelqu'un d'exprimer par des moyens musicaux ce qu'il a envie. C'est un frein si le réalisateur exige de la paraphrase, ce que je refuse de faire. Ce n'est pas ce que Pascale Ferran souhaitait. J'essaie de comprendre ce qui dans la musique placée par la réalisatrice fonctionne, et m'en inspirer. Ce n'est pas facile de procéder ainsi. Mais l'essentiel c'est d'avoir envie de composer quelque chose, de ne pas se dire que Ravel est parfait sur le film, d'être convaincu de son apport personnel.
LADY CHATTERLEY est un film d'amour dans la Grande Bretagne du début du vingtième... et votre musique évite le mélodrame, la musique folklorique et la musique historique. Vous avez ainsi privilégié les textures ?
Oui, les timbres peuvent s'accorder au cri des oiseaux, au silence de l'hiver, à la pluie. En même temps que la Lady du film s'épanouit en découvrant un amour charnel, elle va découvrir la nature, les fleurs, elle regarde un écureuil, elle s'envole avec un aigle... La musique raconte cette nouvelle force qu'elle trouve en la nature et en l'amour en étant à la fois très serrée ou plus dense.
La musique crée aussi l'universalité du propos en n'étant pas datée...
L'idée était de faire une musique d'aujourd'hui, pas une musique contemporaine qui désigne quelque chose de précis, mais faire une musique de l'instant.
Le générique de fin n'est jamais entendu pendant le film, et se dévoile à la fin comme un cadeau. Je crois qu'il s'agit là de la véritable musique du film.
Concernant l'orchestre, le "filmharmonique" de Prague, pourquoi le choix d'un orchestre d'Europe de l'Est ? Il s'agit d'un choix économique ou véritablement artistique ?
Cet orchestre me plait infiniment et j'ai enregistré au "Rudolfinum" de Prague qui est une des salles qui sonnent le mieux au monde. J'ai été emmené là grâce à l'ingénieur du son John Timperley (décédé cet été et je lui dédie ma musique) car il savait que je voulais une musique très "large", j'étais d'ailleurs déjà venu à cet endroit pour SERKO. Mozart allait déjà à Prague pour travailler avec les meilleurs violonistes et cordes du monde. Je salue au passage les musiciens parisiens avec lesquels j'ai enregistré d'autres de mes partitions, mais je crois qu'ils comprennent qu'un compositeur ait besoin de cela. C'est un peu comme chanter à l'opéra de Paris. Je connais la difficulté économique des orchestres parisiens, mais on peut comprendre qu'un compositeur ait envie de travailler avec tel ou tel orchestre.
Par rapport à votre musique pour LADY CHATTERLEY, on peut dire à la vision du film qu'il s'agit d'un véritable scénario musical dont même les silences sont calculés...
On travail sur le fragment. Pascal Ferran aime bien quand la musique commence et quand elle s'arrête. Il s'agit de constituer des moments musicaux. Il faut savoir exactement où placer la musique. On a eu l'idée d'écrire "le plus petit concerto du monde" (pièce d'à peine 30 secondes).
Votre musique relate parfaitement le cycle de journées, avec un thème associé à l'aube et un autre au crépuscule...
Il y a un bel accord sur un clair de lune. Il s'agit de travailler la matière, de trouver l'équilibre juste. Il y a même des histoires de résonances. Ensuite c'est un travail de mixage, avec Jean-Pierre Laforce en qui j'ai confiance. Je n'ai pas eu à assister aux séances de mixage. Composer un film, c'est aussi une forme de don, s'abandonner pour un projet collectif, il faut savoir lâcher prise, ne pas s'approprier le bébé. Je suis plutôt dans l'action, même si les discussions en amont sont importantes.
LADY CHATTERLEY a deux versions, celle pour les salles de cinéma de 2H38, et une autre en deux parties pour Arte. Quelle est la différence musicale ?
Ce n'est pas le même film, ni les même musiques. Il y a des musiques dans le téléfilm qui ne sont pas dans la version cinéma. Il y a un rythme totalement différent.
Comment appréciez-vous la place des compositeurs de films aujourd'hui ?
Il y a de la place pour ceux qui ont un langage très précis. Je pense que sont amenés à disparaître ceux qui se contentent de faire de la musique de film, je suis désolé de dire cela, mais je pense que ceux-là sont amenés à ne pas faire grand chose. J'ai l'impression qu'aujourd'hui les réalisateurs veulent un langage très précis, soit de la création ou de l'adaptation.
Que pensez-vous du "à la manière de..." exigé par un certain nombre de réalisateurs ?
Cela ne m'intéresse pas. Les rapports se font à deux. Je crois que j'ai eu la chance d'imaginer que la création était possible au cinéma par les rencontres qu'il fallait, Pascale Ferran avec PETITS ARRANGEMENTS AVEC LES MORTS par exemple. Elle m'a appris beaucoup de choses. Je suis incapable de travailler avec quelqu'un qui me proposerait quelque chose de banal.
Il y a peu de femmes dans un domaine musical dominé par les hommes… Comment l'expliquez-vous ?
Il y a majoritairement des hommes en musique comme en mathématique. C'est un lien que je fais souvent. C'est en train de changer petit à petit. Je trouve que le monde de l'abstraction est misogyne. Dans le monde de l'art, il y a des peintres ou écrivaines femmes. Mais en musique, il n'y a pas de compositrices (mais on trouve des muses, les « femmes de… »). Ce n'est pas un hasard que ce soit une femme qui m'ait fait tourner pour la première fois.
Comment avez-vous pensé la musique de ce film avec Béatrice Thiriet pour cette série noire dans le milieu de la prostitution et de la drogue ?
Dominique Cabrera : La musique de Béatrice décrit l'intérieur du personnage de Sarah. On est avec elle dés que la musique est là.
Comment appréhendez-vous la collaboration musicale avec Béatrice ?
D.C : C'est comme travailler avec un acteur. Quelque chose se révèle dans le processus de création de ce qu'on veut mais qu'on ne savait pas forcément et Béatrice est très sensible à cela. Elle est à la fois créatrice et actrice du film. Les acteurs aussi sont créateurs. Béatrice est une collaboratrice artistique du film dans le sens où elle va se modeler au film tout en y apportant quelque chose d'unique.
Malgré tout, quels sont les mots pour exprimer vos désirs à Béatrice ?
D.C : Je ne vais pas savoir ce qu'elle va proposer de même qu'un acteur, mais je peux l'influencer, créer tout un truc autour d'elle. Mais ce n'est pas une commande comme au restaurant, je ne vais pas commander un steak tartare à Béatrice en espérant avoir un steak tartare, au contraire, je vais avoir une tarte au pomme et ce sera super. (rires)
Alors Béatrice, quel fut le cheminement pour arriver aux choix instrumentaux ?
Béatrice Thiriet : C'est en ayant lu le livre que j'ai réfléchi à la musique. C'est intéressant de lire un livre car on est totalement libre pour imaginer la musique. Mais après pour le film, la musique va avoir une réalité, donc on a parlé de scènes importantes, comme le karaoké, et aussi la musique "plaisir d'amour" sur le meurtre, une musique douce sur une scène violente. Après, on a imaginé une chanson pour le film lors de la scène du clip où la comédienne chante en malien, sur le désespoir de quitter son pays. Il y a là un passage de grâce. Il y a des moments qui s'échappent, comme une ballade à Montmartre, on a l'impression que le personnage a quelques minutes de bonheur, un cadeau dans sa vie, aux antipodes de la noirceur de l'histoire.
Qu'est-ce qui vous plaît dans cette collaboration avec Dominique ?
B.T : Ce qu'il y a de magique dans cette collaboration c'est que c'est un polar, un peu un exercice de style, car il y a une musique référentielle au polar qui est le jazz, donc j'ai eu des idées d'improvisation de jazz à partir de thèmes écrits. C'était l'idée ensuite de travailler dans du jazz plus contemporain, autour d'une matière brute. J'ai d'ailleurs pensé à "Taxi Driver" comme référent parce que c'est la solitude du personnage dans l'angoisse de l'action, ce portrait disproportionné d'une femme dans son intimité qui passe à l'acte, qui tue.
Après CEUX QUI RESTENT, vous retrouvez Anne Le Ny sur cette comédie...
Béatrice Thiriet : Je ne fais pas beaucoup de musiques de comédies alors c'est un genre que j'ai envie d'aborder, en plus cela n'a rien à voir avec le premier film d'Anne Le Ny, c'est une fiction débridée avec toujours un aspect réaliste, mais une réalité transfigurée par l'humour et l'espièglerie d'Anne et de son scénariste.
Sur son premier film, on s'était rencontré à l'extrême fin parce qu'elle avait eu du mal à me rencontrer, et on a du travailler dans l'urgence. Et cette fois-ci, elle m'a appelé tout de suite. Elle m'avait d'ailleurs dit qu'on retravaillerait ensemble dés la fin de la projection d'équipe de CEUX QUI RESTENT. Elle m'a donc appelé dés l'étape du scénario et on a parlé de la disposition de la musique. On s'est vu ensuite après le tournage pour mettre au point la présence dans le film de musiques pré-éxistantes, dont l'impromptu de Schubert que j'ai fini par interpréter, et la création d'une musique techno pour la télé qui existe dans le film et que j'ai programmé. C'est une partition très variée, avec des épisodes thématiques.
Quel a été votre travail orchestral ?
B.T : Toute la partition originale est écrite pour orchestre et interprétée par le Star Pop Orchestra dirigé par Mathias Charton avec qui je signe ma deuxième collaboration après "L'âme du mal" de Jérôme Foulon. C'est un orchestre de jeunes musiciens qui sortent du conservatoire et qui ont un excellent niveau. Ils ont décidé de jouer de la musique de film, ils donnent d'ailleurs des concerts de grands répertoires ("Star Wars"), et je les appelle sur beaucoup de projets car j'aime leur qualité de musicien et l'intérêt qu'ils portent envers la musique de film car je trouve important que des musiciens de formation classique reconnaissent que la musique de film est un terrain extraordinaire de création pour un compositeur comme moi et que de cela naissent des partitions à la hauteur et qu'on a envie de jouer en se débarrassant de l'idée que la musique est d'une moindre qualité.
Je suis contente car j'écris depuis des années, je cherche des orchestres, et les français sont hors de portée car pas disponibles ou trop chers, c'est donc un plaisir de trouver des interprètes de qualité, et aussi jeunes, qui amènent leur spontanéité, leur fougue et leur curiosité.
Comment abordez-vous votre travail à l'image ?
B.T : Ce que je cherche à faire lorsque j'écris la musique d'un film, c'est d'abord faire de la musique, qui soit en même temps intrins"quement celle du film mais que cela reste une musique sans déroger à un certain langage, une certaine qualité. Autant le film a un rythme propre, il faut que la musique originale s'intègre en trouvant sur la longueur du film sa propre dramaturgie, dans le mouvement des interventions, dans la récurrence des thèmes, leurs développement. C'est toute une gymnastique de l'esprit quand j'écris, et cela s'inscrit dans l'exercice de composition. Wagner disait qu'il fallait en composant ménager l'inspiration (l'artiste) et le petit comptable, c'est à dire celui qui place les notes avec précision.
De quand date votre rencontre avec Jacques Richard, le réalisateur de L'ORPHELINE AVEC EN PLUS UN BRAS EN MOINS ?
Béatrice Thiriet : Je lui avais prêté de la musique sur le documentaire "Cinéma, ma belle intrigue" (2007) pour le Musée du cinéma. Il avait réuni une équipe de film idéale pour en interroger les entités. Claude Lelouch était le réalisateur, j'en étais donc la musicienne. J'étais ravie d'avoir été choisie. Comme il avait besoin de musique pour son film et qu'il n'avait pas de budget, il m'a demandé de lui prêter quelques notes dans ce que j'avais fait. Finalement, on a réitéré ce principe sur son nouveau film. Je lui ai fait écouter un disque de mes musiques de film et quelques oeuvres propres comme "Vogelstar", mélodie pour choeur et orchestre. Il a donc décidé d'utiliser ces oeuvres-là pour son film.
A quel stade êtes-vous intervenue sur le projet ?
B.T : Il m'a fait lire son scénario écrit d'après Topor dont j'aime l'esprit français, cette manière d'allier l'ironie et le charme avec une grande clairvoyance. Mais quand Jacques m'a appelé, tout le film était tourné. C'est un film artisanal. Il était évident pour ce film que la musique devait être symphonique, donc on a eu clairement un problème de production. On a hésité à faire des maquettes de bonne qualité. Et finalement il était plus intelligent d'utiliser des musiques déjà fabriquées. On était davantage dans son exigence artistique car en cherchant dans mes musiques on a très vite trouvé chaussures à nos pieds, notamment une musique écrite pour les PYGMÉES DE CARLO, film de Radu Mihaileanu qui s'avère être un ami de Jacques. Il a accepté amicalement qu'on utilise cette musique. On l'a remercié au générique de ce prêt. Je possédais tout de même les éditions. Je lui ai donc permis de les utiliser gracieusement car je voulais l'aider.
Que pensez-vous de cette musique avec ce changement de contexte ?
B.T : Une musique qui avait dans le contexte du film de Radu une certaine gravité est extrêmement drôle dans le film de Jacques Richard. C'est une musique enregistrée par un orchestre symphonique avec des voix de Pygmées mélangées. Le film de Radu parlait vraiment d'une histoire avec des Pygmées, la musique intervenait à la fin, elle revêtait un caractère nostalgique. Alors que dans le film de Jacques, on l'a montée sur une scène où l'héroïne saute à pieds joints sur son lit, la musique récupère un caractère gai et entrainant. Le résultat d'une musique de film est bien dans l'adéquation entre des images et une musique et le caractère de celle-ci peut changer en fonction des images. La musique peut donner un caractère aux images, mais l'inverse est vrai aussi.
Comment ces musiques antérieures sont devenues la musique de ce film et comment avez-vous défini leur place dans le film ?
B.T : J'ai travaillé avec la monteuse pour définir la place des morceaux dans le film et des scènes ont été montées sur la musique. Cela est la preuve d'une véritable adaptation du film. Il fallait trouver des musiques de caractère, qui fassent peur, en tension, qui sont des musiques de thriller, et c'est dans la répétition de ces plages de musique que l'ambiance propre au film est créée plus que dans la composition en soi. On s'est rendu compte qu'en apposant les musiques sur les images quelque chose se passait. Cela fonctionnait. On s'est rendu compte qu'une musique préexistante pouvait coller sur un film, tout est dans la manière de les monter.
Quel a été le travail de Thierry Boulanger, crédité en tant que compositeur d'une musique additionnelle ?
B.T : Il a arrangé la chanson de générique de fin qui est chantée par Caroline Loeb sur des paroles de Topor. Au final, pour un film à petit budget, on se retrouve avec une chanson de fin et une musique symphonique. Il y a un extrême luxe dans cette pauvreté. Mais ce n'est pas un but en soi, on ne pourrait pas faire cela pour tout les films.
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