Philippe MORINO : qui est remarquable d’ailleurs….
Pour autant vous êtes complètement inconnu du public, à tort d'ailleurs…
Il va falloir faire une pétition : ils auraient pu intégrer une clause sur Philippe Morino dans le traité constitutionnel (rires).
Pouvez-vous nous expliquer votre parcours ?
Je viens du théâtre, pour lequel j'ai commencé à travailler un peu avant les années 90. Avant j'étais chômeur : ça se passait plutôt bien (rires). Je suis venu au cinéma par le théâtre, où j'ai rencontré Maurice Barthélémy (membre des Robin des Bois, réalisateur de CASABLANCA DRIVER, NDLR).Grâce au théâtre j'ai pu gagner ma vie mais aussi trouver mon terrain à moi, un terrain d'exploration, d'aboutissement et de maturation, pour tout ce que j'ai à sortir, sachant que je suis autodidacte. Comme les projets théâtraux ne sont, en général, pas très lourd, j'ai pu en faire jusqu'à trois ou quatre par an, soit une cinquantaine, arrivé à mon grand âge. C'est un terrain formidable pour essayer des trucs, pour changer totalement de style, pour oser des choses qui seraient difficilement passées sur d'autres supports, sur d'autres médias. Le cinéma quant à lui est pérennisé : une fois que tu es parti dans un truc, tu ne peux pas revenir en arrière, modifier, etc...
C’est frustrant ?
Oui. Une fois que le mixage est passé, je découvre un peu ça. C'est ce qui est génial avec le spectacle vivant ; même le jour de la première tu te dis : " Bon ça, je vais essayer de le changer, ça ne va pas, etc… ".
Vous testez avec le public ?
Tu testes beaucoup avec le public et avec toi-même : c'est une grande liberté, mais le fait est que c'est difficile de gagner sa vie avec le théâtre...
Puis il y a eu cette rencontre avec Maurice en 1994. On s'est très bien entendu et on ne s'est jamais perdu de vue. Au fil des ans, et de son parcours dithyrambique, nous sommes demeurés en contact. Du coup lorsqu'il a commencé à penser au cinéma en tant que réalisateur, nous en avons parlé. C'était sur CASABLANCA DRIVER. Il était prévu que je ne m'occupe pas de la BO, mais nous commencions déjà à en parler sur le mode : " Si nous devions travailler ensemble, cela donnerait quoi ? ". Nous ne l'avions jamais fait dans ce sens là : j'avais fait les musiques de pièces dans lesquelles il était comédien, mais il ne m'avait jamais " commandé " de musique : ce n'était pas le même rapport.
Dans RRrrr par exemple…
Dans RRrrr j'ai fait des essais qui ont été assez bien accueillis. C'est grâce à Maurice qui me disait : tiens ! On parle plutôt de ça en musique :on ferait bien des classiques du rock ou de la chanson, façon néanderthal. " Innocemment " j'ai fait 3 ou 4 maquettes de ce type là.
Votre funk pour la musique additionnelle du DVD est vraiment époustouflant…
C'est tout ce que je fais avec ma bouche (rires).
Puis, ils ont changé leur fusil d'épaule : j'étais un peu déçu mais en même temps, cela m'a permis d'approcher le fonctionnement du cinéma : dans les attentes, dans la façon de procéder, dans les lourdeurs de la mise en route des projets, dans les histoires d'enjeux financiers qui ne sont pas du tout les mêmes qu'au théâtre.
J'ai eu l'expérience d'un gros projet il y a 4 ans avec le Monsieur qui met en scène le Cirque du Soleil : Franco Dragonne. Cette expérience était intéressante parce qu'il fallait que je réfléchisse dans le vide. J'ai fait une série considérable de maquettes où j'ai poussé assez loin des systèmes ou des explorations, même dans des domaines que je n'approchais pas trop parce que je n'ai pas la formation idéale et que j'en suis un peu complexé. Cela m'a fait plaisir parce que cela a déterminé le fait que je peux explorer toutes les directions sans prendre l'identité d'un autre. C'est très important quand tu es compositeur de faire la part des choses : tu as un langage qui t'est propre et il y a un " savoir faire " qui t'est propre. Tu peux très bien mettre en avant ta façon de procéder dans un style ou dans un langage qui t'est étranger : cela reste ton travail. Mais le top c'est quand ton " savoir faire " et ta personne intime sont en phase, cela donne la musique de " Papa ", qui me ressemble énormément. A la fois c'est un travail de commande et, parce que je connais Maurice, un travail où nous étions en phase. C'est pourquoi je suis très content de cette première musique de film; cela ne pouvait pas mieux se passer entre nous.
Vous ne vous étiez pas senti contraint ?
Je venais de sortir de cette expérience pour Franco Dragonne, qui était intéressante mais où la contrainte était permanente et maximale.
Cela a-t-il abouti ?
Non. Pas pour moi.
Richard Cocciante a effet travaillé après vous sur ce projet. Cela s'est mal passé également. Mais ce qui est rassurant pour vous c'est que pour lui cela a été encore plus rapide...
C'est aussi la méthode de travail qui l'a un peu repoussé. Finalement, c'est le compositeur du Cirque du Soleil qui a fait la musique. Je suis allé voir le show juste avant qu'il soit terminé (à Las Vegas, NDLR). C'est du bon travail. J'ai peut-être un peu trop rêvé sur ce truc là pour avoir quelque chose d'objectif à en dire... mais c'est du bon travail.Quand à moi, je n'ai pas à me plaindre, j'ai eu un an pour me consacrer à ça, ce qui est un luxe considérable.
PAPA est finalement un aboutissement.
Ce que j'ai énormément apprécié dans cette expérience c'est que j'ai commencé à travailler sur le film en juin : imaginez que le tournage était en octobre-novembre ! C'est une chance que nous avons provoqué avec Maurice, qui voulait cela aussi.
C'est rare.
Oui. Mais du coup, au montage, Maurice avait énormément de choses à sa disposition. Il a utilisé ses musiques, il les a injecté dans son montage et il a structuré certaines scènes comme vous avez pu le voir, autour de la musique ; la scène de la fin, où Louis et son papa se font des grimaces-qui-tuent, a été structurée ainsi. Du coup, j'ai eu très peu de musique à faire sur l'image.
Cela fonctionnait à l'envers, donc... Et c'est peut-être pour cela que cela marche si bien.
Certainement. J'en parlais avec le chef opérateur hier qui disait : tes musiques sont arrivées très tôt, et on se les mettait dans la voiture avant d'aller bosser. Mais du coup, toute la partie du travail " post-montage ", que j'avais envisagé, s'est réduite à quelques scènes.
Vous avez réalisé le rêve de tout compositeur de film, et de Gabriel Yared, d'ailleurs , qui adore s'extraire des images...
Oui. Je n'ai eu aucune images pendant les 3 ou 4 premiers mois de boulot.
Vous avez beaucoup de liberté : vous avez une idée du film, mais vous n'avez pas la contrainte du film.
Oui, c'est un peu comme deux écritures parallèles qui se rejoignent. Maurice voulait ça aussi. Il n'est pas sûr que j'aurais été meilleur dans l'autre sens et que j'aurais été plus en phase... Car il y a des collusions, des sensations, qui sont nées de la nature même du travail...
Je trouve que le monteur, Fabrice Rouault, a fait un travail remarquable. Je découvre aussi ce métier: c'est une vraie écriture. Il y a une complicité entre le monteur et Maurice Barthélémy qui donne quelque chose de très convaincant, de très sensible, de très écrit. Le monteur lui même trouve les positions de la musique, trouve la cohérence. Nous, nous avons des réflexes de musiciens : j'ai fait des morceaux, que j'ai intégré au montage à une certaine place, parce que pour moi cela devait être là. Le monteur l'a placé deux secondes avant et ça marche beaucoup mieux. C'est donc important que quelqu'un vienne triturer ton matériel. Au théâtre cela ne se passe pas comme ça.
Quelque part vous pouvez vous sentir trahi ?
Ca peut arriver, bien sûr.
Par exemple, vous faites une musique pour une séquence, et finalement elle est utilisée pour toute autre scène, qui n'a rien à voir, comme il est trés fréquent au cinéma ? Zimmer racontait que sur CLADIATOR ils avaient interverti des musiques : sur le CD MORE MUSIC FROM GLADIATOR on pouvait écouter l'un des morceaux dans son contexte originel (" Protector of Rome ").
Oui. Et de plus, les compositeurs ont du mal à échapper la redondance. C'est un réflexe que le monteur n'a pas. Le monteur s'en fout que sur un coup de lance tu mettes un coup de timbale.
C'est encore un code hollywoodien.
En tout cas je trouve que c'est une richesse du cinéma : le nombre d'intervenants, de compétences, qui peut donner un truc catastrophique ou magique. PAPA n'est pas une grosse machine mais un petit objet fragile qui me touche beaucoup. Je trouve que tous les éléments, cette fragilité, cette pudeur, n'étaient pas évidents à préserver. Tu lis le scénario et tu te dis : cela va être très bien mais il faut y aller sur la pointe des pieds. Et c'est ce qui s'est passé...
Votre musique est naturelle. Elle suit vraiment le naturel des acteurs, sans aucune emphase.
Ca vient de la méthode de travail. Il y a beaucoup de maquettes dans ce film. C'est ma façon de bosser. Certains pianos ont été enregistrés dans une école de musique, cet été, juste avant le marteau piqueur de 8h30. Je venais à 6 heures du matin parce que j'étais tranquille. Il y avait un Shiedmayer vaguement accordé que des amis de l'école de musique du Havre mettait à ma disposition. Et j'avais deux micros que j'ai mis un peu au pif, pour moi, à ce moment là, je faisais du " matériau " pour maquetter. Résultat ce piano se retrouve dans le film. Parce qu'il faut penser que, dans ces moments là, émotionnellement, tu es dans la bonne période. Quand tu reviens dans le studio, que tu dis : " maintenant on fait tout en 96 avec du bon préampli " tu ne vas pas forcément être dans la bonne phase. Pour moi l'aspect maquette premier jet est vraiment essentiel. Il y a beaucoup d'instruments qui sont joués par des vrais guitaristes. Et puis il y a un morceau où on entend beaucoup de bruits, enregistré avec ma vieille guitare nylon, corde par corde car je suis un guitariste minable. Ce morceau est resté car il y avait dans l'imperfection, cette fragilité dont on avait besoin pour le film.
Vous avez fait une musique pour PAPA qui est très hypnotique et très lancinante, qui suit le road movie, mais en même temps il y a toujours, en effet, cette fragilité, cette tristesse, cette mélancolie qui pointent derrière la musique, comme si vous aviez voulu montrer qu'il y avait un drame derrière.
C'était l'enjeu : cela devait être à la fois construit comme une musique pour les enfants, comme une petite mélopée, mais en sachant que les ingrédients ne sont pas les même. A la fois il y a la simplicité de la construction - une berceuse - mais, dans la façon d'amener les thèmes ou dans le grain de son, il fallait que cela soit " grave " . A aucun moment ça ne rigole vraiment.
Dans le film il y a beaucoup de musiques préexistantes et là en revanche " ça rigole " : mais on n'a pas utilisé votre musique à ce moment-là...
Non, là, Il ne fallait pas faire dans la berceuse-grave.J'aime bien d'ailleurs, les choix de Maurice entre le " trust " du Papa-ado et la fixette de Louis sur une opérette provençal. Pour en revenir à la fragilité, dans le dernier morceau, j'est joué, avec la pulpe du doigt, du verre à pied (bordeau...) avec un préamp à lampe, qui ramasse beaucoup de bruits. Tout ça participe à cette sensation de tiraillement. Il n'y a pas de grosses cassures, de gros contrastes mais c'est toujours tendu, toujours fragile : c'est ce que j'ai voulu installer dans la musique.
Pour plusieurs scènes ayant trait au drame vécu, notamment dans la recherche de l'enfant, vous utilisez votre fille Jill et votre fils Lucien dans une musique éthérée pour voix soli. Cela donne un côté irréel mais peu tragique!
En fait c'est un morceau que j'aurai pu faire en dehors du film. Je n'ai pas de mal à cultiver cette émotion-là : elle est en moi. La peur de la perte, je l'ai en moi. A partir du moment où tu as des enfants, tu imagines le pire plus vite que le meilleur.
Alors qu'on était en vacances dans les Alpes, on est allé voir un concert dans une chapelle du XVIe siècle, je crois, un concert qui nous a marqué, les enfants et moi, cela nous a fait " quelque chose ". Le lendemain j'ai fait ce petit morceau dans une chambre avec un Audiotechnica AT44 et un Digi 02R... Ce qui est drôle c'est que Jill s'est arrêté de jouer pendant une demi-heure pour venir chanter, tout en râlant entre chaque prise et que Lucien est venu 5 minutes parce qu'il n'avait pas, mais alors pas du tout, envie de chanter pour papa (le sien et l'autre). Le morceau s'est donc fait un peu dans l'énervement ! A l'écoute on s'imagine que tous ces gens devaient être dans l'amour et dans l'harmonie... Au niveau de la conduite de l'émotion, il y a parfois des amalgames qui donnent un résultat assez étonnant. On n'a pratiquement touché à rien...
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