Cinezik : Commençons par vos débuts, votre apprentissage…
J'ai travaillé le piano pendant très longtemps, puis je me suis dirigée vers la composition, en me rendant compte très tôt que j'appréhendais la musique de manière visuelle. C'est alors que plus directement je me suis intéressée à la musique de film. J'ai commencé par le théâtre, par la danse contemporaine, puis la télévision et les Nations Unies (un film annonce HUNDRED PEOPLE qui reçu un prix au festival publicitaire de Cannes en 2001, une campagne de lutte contre la pauvreté).
La composition pour l'image est vraiment quelque chose qui me passionne. Ce qui me plait beaucoup, c'est la présence, mais aussi l'absence du compositeur. Le silence musical est très important et a un sens. Cela m'attire. Il y a trois étapes : la lecture du scénario, le dialogue avec le réalisateur et l'identification de la place et absence de musique.
Quelles ont été vos études musicales aux Pays-Bas ?
Les bases de mes études de composition musicale reposent notamment sur le contrepoint. L'étude du contrepoint m'a beaucoup apporté dans ma façon de composer. Je pense toujours à l'autonomie des instruments (ou les voix), à leur indépendance, mais aussi à leur unité et leur mouvement. Je me demande aussi ce dont l'image à besoin musicalement. Je combine ces trois éléments : le contrepoint, le besoin et l'unité.
D'où puisez-vous votre inspiration ?
Surtout du contexte dans lequel la musique peut intervenir. c'est à dire, le thème du film, les dialogues, les images. je suis aussi inspirée par des films qui donnent de la place à une traduction musicale des personnages, c'est une grande source d'inspiration que de rentrer dans la peau d'un acteur et essayer de lui donner une couleur musicale.
Vous vous intéressez aux textures…
La musique comme texture oui, mais aussi tous les sons du film. Je me demande surtout ce dont l'image a besoin musicalement et j'essaie aussi de faire correspondre ce besoin au désir du réalisateur.
MADEINUSA est votre premier long-métrage...
En effet, j'ai travaillé avec Claudia Llosa. MADEINUSA est une production espagnole tournée au Pérou. Le film a été présenté à Sundance, il a gagné le prix de la critique internationale au Festival de Rotterdam en février dernier et il est parti aux États-Unis puis au Mexique. Ma collaboration avec Claudia fut forte dés le début. Elle a traité la musique comme un personnage, elle était très précise avec ce qu'elle voulait, une expérience enrichissante pour nous deux.
C'est un premier long métrage pour nous deux et elle en prépare un deuxième pour lequel j'écrirai la musique. J'espère que ce sera le début d'une longue collaboration.
Comment s'est faite cette rencontre ?
J'ai eu beaucoup de chance. C'était par un contact personnel, elle a fait appel à moi en me demandant une maquette. Elle m'a donc envoyé le scénario et je lui ai envoyé après lecture quelques maquettes. On a commencé un travail libre en concertation.
Je suis ensuite intervenue après le tournage, sur un pré montage de 4 heures, puis j'ai eu le travail définitif pour synchroniser la musique.
Comment est au final la musique dans le film ? Y a-t-il eu des évolutions au fil des étapes ?
Oui, des évolutions d'un point de vue sonore avec un résultat plus acoustique. Il y a une unité architecturale, un thème, 4 couleurs qui reviennent. C'est une musique plutôt minimaliste. Je n'ai pas eu de surprises négatives par rapport à mes maquettes originelles.
Le film est sorti le 31 mars 2006 à Barcelone, il a été présenté le 18 mars à Toulouse aux Rencontres latino-américaines, avant sa sortie officielle en novembre en France.
Entretien en compagnie de la réalisatrice Claudia Llosa.
FAUSTA est votre deuxième film après MADEINUSA. Comment ces deux projets se sont succédés ?
Claudia Llosa : MADEINUSA est un film qui commence de manière très lumineuse et qui va s'obscurcir au fur et à mesure comme quand on arrive au fond d'une casserole de nourriture et qu'il ne reste que le fond obscur. La sortie de MADEINUSA a ouvert des blessures dans notre pays et cela a été une expérience douloureuse pour moi. En sortant de ce film j'avais besoin d'un processus de guérison qui m'a amené à parler de quelque chose d'aussi difficile que la guerre du terrorisme. Je voulais voir le terrorisme à partir du point de vue d'aujourd'hui et savoir si nous étions capable de guérir de cette guerre, et de vivre avec notre pensée, de manière plus consciente.
Le personnage de Fausta est central et la musique semble appartenir à son monde, à son isolement. Il y a le chant, les musiques populaires, et la musique originale. Quel fut ce travail polyphonique ?
Claudia Llosa : Beaucoup de gens au Pérou s'amusent à dire qu'il s'agit d'un film musical. C'est vrai que la musique est essentielle pour que l'histoire puisse se produire. La musique est une forme de communication. Ce chant quechua est comme un cri de cette culture qui se refuse à mourir. C'est très complexe ce tissu, toute cette musicalité présente aujourd'hui au Pérou. Ce qui est merveilleux dans le travail avec Selma, c'est qu'elle sait quand elle doit se replier et accepter la présence de la musique populaire, et s'adapter aux besoins du film.
Quel est ce chant qu'interprète la comédienne Magalie Solier ?
Selma Mutal : C'est le chant "La Sirena", c'est un texte écrit par Claudia, interprété par Magalie qu'elle a d'abord élaboré a capella à partir d'une ligne mélodique que je lui ai donné, puis après pour la trame du film j'ai composé une pièce pour piano basée sur cette même ligne mélodique. C'est la seule chanson que j'ai composée (en dehors de la musique originale) car les autres chants ont été écrits par Magalie.
Claudia Llosa : En effet, j'ai écris tous les textes des chants, exactement comme le scénario, ça en fait partie. Mais il fallait donner une musique à cette voix, ou plutôt une sensation mélodique, une sorte d'opérette dialogué. Dans le cas du Chant "La Sirena", il apparaît deux fois, dans la scène avec le personnage de la compositrice et le moment où Fausta chante a capella.
C'est pour cela que je trouvais très important que Selma puisse composer ce chant, car il fallait une musique forte qui puisse avoir été composée par une compositrice de renom qui est le personnage du film, et en même temps qui fonctionne dans le corps même de cette jeune fille blessée par sa douleur.
Selma Mutal : Contrairement à MADEINUSA où l'on a essayé de trouver un thème, dans le cas de FAUSTA, avant de trouver le thème, Claudia voulait un son pour le personnage. En tant que compositeur, c'était très motivant, il fallait que je le capte de l'intérieur. J'ai travaillé avec des samples pour cela, et après j'ai rendu une couleur plus organique en doublant avec un guitariste. Elle voulait le son d'abord, et le thème ensuite. Pour FAUSTA, elle était plus précise avec ce qu'elle ne voulait pas.
Claudia Llosa : La musique dans le film est clef dans l'histoire car il était difficile que le public se sente lié au personnage de Fausta qui a une maladie que l'on ne reconnaît pas, qui a une pomme de terre logée dans le vagin, qui a une douleur contenue difficile à exprimer, et c'est ce qu'a réussi à faire Selma avec cette chanson minimaliste dénuée d'ego.
Selma, quel fut le cheminement pour arriver au thème lancinant à la guitare seule ?
Selma Mutal : J'ai beaucoup travaillé en fonction du scénario, alors pendant un moment j'étais bloqué quant au développement musical car je sentais que j'avais trouvé avec Claudia la couleur musicale. Mais le cheminement a été au fur et à mesure que je recevais les images, que cette femme se libérait, l'idée était d'alléger son sentiment. Claudia employait souvent l'expression "petit à petit". Et un sentiment de montre, de temps qui passe. C'étaient mes références. Avancer pas à pas.
Claudia ne me donne pas de références précises sur une musique ou un compositeur mais elle me donne des images métaphoriques. Je me souviens que pour MADEINUSA elle me disait vouloir des petites goûtes, alors je me suis mis à écouter un robinet... et la harpe était le meilleur instrument pour traduire cela. Dans FAUSTA, l'idée était le cheval. Ce sont des références métaphoriques et c'est ce qui est très intéressant pour moi dans ma collaboration avec Claudia.
Entretien en compagnie du réalisateur Javier Fuentes-León.
Cinezik : Quelles ont été les intentions musicales sur ce premier film CONTRACORRIENTE ?
Javier Fuentes-León : Je travaille sur ce projet depuis six ans. Je n'ai pas eu tout de suite une idée précise mais je savais que je ne voulais pas une musique folklorique et traditionnelle. Puis je me suis dit qu'il fallait un thème pour les personnages de Miguel et Santiago, et un autre pour Mariela et le reste du village. Ce fut le point de départ.
Dans le film, il y a une chanson que j'avais écrite sans penser qu'elle se retrouverait dans le film, celle que l'un des personnages écoute dans ses écouteurs, et il y a une autre composition que j'ai faite à la guitare lorsque Santiago marche sur la plage, une musique qui n'était pas à la base prévue pour le film mais que j'ai pensé utiliser au moment de la phase de réalisation. L'interprétation à la guitare est de Manu Blanc.
Selma Mutal : Javier m'a présenté ses musiques très tard, je travaillais déjà sur la musique de mon côté en lisant le scénario. J'envoyais des musiques qu'il me validait, puis il m'a proposé d'inclure ses morceaux, ce qui ne m'a pas dérangé car je trouvais qu'ils marchaient très bien avec le film et l'ensemble de la musique originale..
Quels furent les choix entrepris pour l'emplacement de la musique ?
J.F : C'est une histoire sur une douleur nostalgique, une tristesse. Je ne voulais pas que la musique introduise cela, qu'elle accentue le côté mélo déjà présent dans le film. On était dés le début très exigeants sur les moments où la musique devait intervenir. Les moments où il n'y aurait pas de musique étaient précis pour moi. Selma a été très ouverte pour accepter de ne pas mettre de musique à certains endroits, et m'a même parfois encouragé dans ce sens. Pour la première scène d'amour derrière un rocher, il existe une composition pour toute cette séquence, mais nous avons décidé de la stopper au moment de l'acte. J'étais heureux de constater que Selma était ravie, que sa musique soit présente ou pas.
Aviez-vous écouté les BO des films de Claudia Llosa conçues par Selma ?
J.F : Claudia est une amie proche et c'est elle qui m'a invité à travailler avec Selma, non seulement professionnellement, mais aussi humainement. Au moment de l'élaboration de mon film, je n'avais pas encore écouté la musique de FAUSTA (2009), mais je savais que celle de MADEINUSA (2006) pouvait avoir des similitudes avec celle de CONTRACORRIENTE, puis lorsque j'ai vu FAUSTA, je me suis rendu compte qu'elle était différente.
Vous nous avez dit que vous étiez aussi musicien, en quoi cela facilite les échanges avec Selma, lui jouez-vous de la guitare pour communiquer vos intentions, ou par des mots, des références... ?
J.F : Je ne suis pas compositeur, je joue juste de la guitare, mon langage musical est rudimentaire, je n'ai jamais utilisé de mots techniques. L'idée était de transmettre des émotions. Il m'est arrivé de lui envoyer des morceaux que je joue à la guitare pour lui donner des références de ce que je veux, mais je ne lui ai jamais fait entendre d'autres musiques existantes. Par exemple, lorsque nous tournions au Pérou, Selma m'a envoyé des idées, et je me souviens avoir pensé à Chris Isaak, mais j'ai tout de suite refusé de lui exprimer. Je savais que le piano était l'instrument de référence pour Selma, mais je ne voulais pas uniquement de cet instrument, alors il y a aussi de la guitare, sans être dans le folklore, je ne voulais pas de connotation locale, je voulais que la musique soit universelle, mon film n'est pas l'histoire d'une pêcheur gay au Pérou, cela aurait pu se passer n'importe où dans le monde.
Selma, malgré la continuité avec les partitions pour les films de Claudia Llosa, notamment dans l'utilisation de la guitare, qu'elle est la spécificité musicale de CONTRACORRIENTE ?
Selma Mutal : Le point de départ de mon inspiration provient de l'histoire du réalisateur. Ce qui rend cette musique propre au film, ce sont mes échanges avec Javier. Le choix de la guitare par rapport aux films précédents, c'est l'envie de continuer à travailler avec cet instrument, mais l'utilisation est différente. La guitare dans FAUSTA est davantage manipulée avec d'autres sonorités. Ma continuité est plus dans l'approche, de se demander ce dont a besoin le film, c'est une continuité conceptuelle plus que musicale. Ensuite je rentre dans l'histoire des personnages. J'étais prête à enlever beaucoup de musique, j'avais peur d'être trop présente. Le défi était de trouver les thèmes pour les personnages et le couple central.
Que fallait-il absolument éviter ?
S.M : Je voulais éviter deux choses, d'une part qu'il y ait trop de cordes, avec une orchestration trop forte, car c'est un village fermé, je ne pouvais pas rentrer musicalement avec trop d'instruments, et d'autre part je ne pouvais pas rentrer dans l'ambiance de l'église, ni du village, ni du bar, j'étais en dehors de cela, cela rejoint le côté universel, j'étais trés loin du côté religieux ou traditionnel.
Vous allez retravailler ensemble sur votre prochain film ?
J.F : Oui. Mon prochain film est complètement différent, c'est un thriller psychologique, donc la musique sera aussi différente, de la même manière que ce qu'avait fait Selma pour MADEINUSA et FAUSTA était différent.
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