norel,art-daimer, - Interview B.O : Frédéric Norel, L'ART D'AIMER Interview B.O : Frédéric Norel, L'ART D'AIMER

norel,art-daimer, - Interview B.O : Frédéric Norel, L'ART D'AIMER

Interview réalisée en novembre 2011 par Sylvain Rivaud et Benoit Basirico - Publié le 17-11-2011




Frédéric Norel a étudié le violon classique au Conservatoire de Strasbourg et le Jazz, l’arrangement et les Musiques Improvisées au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. En 1998 il est invité par la Sacem et le Centre des Ecritures Cinématographiques (C.E.C.I.) au Moulin d’Andé à un stage sur la composition de musique de film avec Bruno Coulais et Jean-Claude Petit. Après des court-métrages, docu, illustration de films muet et série TV, il signe en 2011 avec L'ART D'AIMER la musique de son premier long-métrage de fiction.

Cinezik : Vous êtes l'un des rares compositeurs à avoir travaillé avec Emmanuel Mouret : pourquoi le choix d'une musique originale sur ce film ?

Frédéric Norel : Et bien le film s'ouvre sur un prologue évoquant les musiques de l'amour. Pour cette partie, Emmanuel a su très tôt qu'il aurait besoin de musique originale, d'autant que le personnage du compositeur apparaît tout de suite, en quête de cette fameuse musique. Il est donc venu vers moi dès la fin de l'écriture de son scénario.

L'ART D'AIMER est un film très musical, l'histoire d'introduction évoque cette belle idée qu'un sentiment amoureux est comme une petite musique qui naît dans le coeur des personnages : quel défi cela a représenté pour vous ?

F.N : Le défi était surtout de trouver en quelques secondes ce qui crée l'identité d'une musique de l'amour. J'en ai écrit une vingtaine avant d'en sélectionner six. Il fallait à la fois que ce soit varié, passionné, lumineux, immédiat, lyrique, émouvant. Il fallait aussi que chaque musique succède à la précédente avec élégance, rythme, harmonie et contraste.

Quelle a été votre inspiration pour votre partition ? 

F.N : L'amour et les femmes !

Parlez-nous du choix des instruments, timbres et thèmes ?

F.N : J'ai tout de suite opté pour une écriture orchestrale incluant harpe et piano. Pour le thème de l'amour que recherche le compositeur (incarné par Stanislas Merhar), j'ai cherché la tendresse, la douceur et la volupté en donnant le thème, joué rubato, aux violons sur la corde de sol à l'unisson avec le basson. Pour le rêve d'Isabelle, le thème est joué par le mélange des timbres hautbois et clarinette à l'unisson, la harpe et les cordes jouant un rôle plus harmonique et rythmique. Ceci crée pas mal de mouvement et accompagne joliment à mon sens le mouvement de caméra, sans déranger le sommeil d'Isabelle ou perturber son rêve.

Comment votre partition s'associe aux musiques savantes ?

F.N : Je savais depuis le début qu'il me faudrait "rivaliser" avec Brahms, Mozart et Schubert. Ce qui n'était pas du tout confortable ! La difficulté était d'autant plus grande que je devais écrire pour le prologue des morceaux d'une durée comprise entre 5 et 15 secondes et capables de symboliser tout de suite une musique d'amour.
Emmanuel, au cours de nos discussions, m'a souvent cité Poulenc qu'il affectionne particulièrement. Son concerto pour piano m'a été d'un grand secours pour comprendre ce qu'Emmanuel avait en tête pour ce prologue. Même si finalement, la musique que j'ai composée est plus tendre que virevoltante, elle reste emprunte d'un lyrisme tout droit issu de ces écoutes préalables. 
Le thème du compositeur à la fin du prologue m'est venu assez facilement. Mais par contre, j'ai sans doute dû passer deux semaines sur le morceau de piano qu'il interprète au cours du concert. Il s'agissait d'écrire une pièce pour piano, composée et jouée par un musicien virtuose, s'inscrivant dans le 21e siècle et étant vouée à replonger le public dans des souvenirs amoureux. En plus, il fallait que cela ait du panache, de la grandeur dans les gestes !
Je crois qu'il n'y a rien de plus difficile que d'écrire une pièce pour piano seul.

Comment votre musique structure le film, présente lors des échanges amoureux ?

F.N : Nous nous sommes finalement aperçus que la musique du prologue avait un rôle narratif très fort et ne pouvait convenir pour les autres parties du film. Le ton et les situations réclamaient une musique plus intimiste. Emmanuel et son monteur Martial ont très vite posé des musiques classiques en ce sens, renouant avec leurs habitudes des précédents films. Il reste quelques endroits où j'ai eu la place pour composer une musique originale (parce qu'ils n'avaient pas encore trouvé de musique classique qui leur convenait : notamment la scène où le personnage d'Isabelle - joué par Julie Depardieu - est en train de rêver), mais nous nous en sommes principalement tenu au prologue. Je crois d'ailleurs, qu'aujourd'hui, le recours à la musique classique est inhérent à l'univers d'Emmanuel Mouret. Ce film est un petit pas supplémentaire vers la musique originale, mais il reste encore du chemin qu'Emmanuel après tout, n'est pas obligé d'emprunter. À chacun son cinéma. Et puis, quoi qu'il en soit, cela reste une première collaboration.

Comment s'est passée la rencontre avec le réalisateur ? 

F.N : Le premier contact s'est fait par l'intermédiaire de sa sœur Bénédicte que je connais depuis longtemps. C'est ensuite grâce à la comédienne Elodie Navarre, avec laquelle j'avais travaillé sur la pièce de théâtre « Médée » comme compositeur (Emmanuel était venu voir une représentation de la pièce), que nous nous sommes vraiment rencontrés. Je lui ai dit combien j'aimais son univers et aussi combien j'avais envie de travailler avec lui. Il m'a alors testé sur une publicité qui lui avait été confiée. Nous avons été ravis de notre collaboration. Il m'a rappelé un an plus tard pour faire son film.

A quel moment êtes-vous intervenu (scénario, montage...) ?

F.N : Je suis intervenu dès le scénario. Emmanuel avait besoin pour le tournage du prologue d'avoir une simulation du minutage des scènes. Même si nous nous sommes aperçus après coup que tout ceci était très malléable. Cependant, j'ai refait toutes les musiques au moment du montage, exceptées celles du compositeur et de la pièce pour piano que j'avais composées en amont.

Comment trouver un langage commun entre un musicien et un réalisateur ? 

F.N : Dans le cas d'Emmanuel, ça s'est passé par des discussions sur ses goûts cinématographiques et musicaux et sur sa vision de la musique de film. J'ai compris qu'il la voyait comme un outil permettant d'éclairer l'humeur des personnages, des situations, ou comme un moyen de rythmer le film, en l'utilisant comme virgule. Il m'a beaucoup parlé de Tati et Rohmer. En fait, je dirais que nous avons surtout parlé cinéma.

Dans sa vision des choses, il est clair d'ailleurs qu'une musique préexistante peut parfaitement jouer ce rôle. Un peu comme chez Woody Allen qui, lui, fait appel au jazz : la musique est essentiellement là pour planter un décor et n'a pas vraiment de rôle narratif. En gros, nous sommes à l'opposé d'une association Herrmann/Hitchcock ou Lynch/Badalamenti.

Finalement, le vrai enjeu pour moi dans cette collaboration était de réussir à faire en sorte que la musique originale se fonde avec la musique classique. Ce n'est pas forcément comme ça que je vois la musique de film, mais en tout cas, le challenge était de taille.

Dans la plupart des autres cas, mes discussions avec les réalisateurs (ou metteurs en scène de théâtre) portent sur les enjeux du film ou de la pièce. Quel style musical, quelle orchestration vont porter au mieux cet univers, ces personnages ? Qu'est-ce que la musique peut raconter en plus ? Nos discussions vont tourner aussi autour des climax pressentis, de la structure, des décors, des caractères des personnages. Les ellipses aussi sont très importantes. J'aime leur demander de me donner quelques mots jetés comme ça en pâture à mon inspiration (je me souviens de certains de ces mots : envol, plaisir, enfance, imaginaire, sensualité, lumière, pétillant, etc...)

Emmanuel vous a-t-il transmis des références musicales à reproduire ?

F.N : Non, jamais en ces termes. Il était par contre clair que je devais m'inscrire dans un univers de musique classique : entre Mozart et Poulenc. Ce qui est la fois terrifiant et laisse pas mal de champs libres. Et surtout demande beaucoup de travail.

Pour vous présenter à nos lecteurs, quel est votre parcours, vos écoles, le style musical que vous affectionnez, les maîtres qui vous inspirent... ?

F.N : J'ai un parcours à la fois de musicien classique (j'ai commencé l'étude du violon au conservatoire de Strasbourg à l'âge de six ans) et de musicien de jazz (je suis sorti diplômé en jazz du Conservatoire Supérieur de musique de Paris en 1996 : j'ai joué dans l'Orchestre National de Jazz ou encore dans l'Archie Shepp Attica Blues Big Band). J'ai par ailleurs appris la musique indienne et accompagné le chanteur indien Ravi Prasad pendant dix ans. 
Depuis peu, j'ai commencé des études pour être chef d'orchestre dans la classe de Nicolas Brochot.

Mes débuts dans la musique de film ont eu lieu en 1997. À cette époque, j'ai rencontré des étudiants de la Femis et j'ai fait une première musique de court-métrage. J'étais alors obsédé par Nino Rota et Michael Nyman. J'ai par la suite rencontré Jean-Claude Petit et Bruno Coulais au Moulin d'Andé à un stage auquel j'avais été convié par la Sacem. Ça a été assez déterminant pour moi, et je me souviendrai longtemps de cette nuit de jam-session avec Jean-Claude Petit qui m'a appris alors qu'il était lui aussi issu du jazz. Je me souviendrai aussi longtemps de la gentillesse et de la simplicité de Bruno Coulais.

Pendant une période de ma vie, j'ai composé pour des chanteurs (Wladimir Anselme, Christophe Bonzom). Cela m'a permis de développer mon sens de la mélodie, comme le rapport entre la musique et les mots. J'écris aussi beaucoup de musiques de théâtre depuis huit ans, en plus de mes travaux pour l'image. Difficile pour moi de dire quelle musique j'affectionne aujourd'hui. J'aime autant me produire dans le jazz contemporain avec mon groupe "Dreamseekers" avec qui j'ai sorti un album il y a deux ans, que naviguer dans les milieux pop en jouant avec Csaba Palotaï et Jeff Hallam. Ou encore jouer, écouter et étudier la musique classique et la direction d'orchestre.

Les maîtres qui m'inspirent sont Tchaïkovski pour son sens de l'orchestration, Ravel et Poulenc qui ont su intégrer le jazz à leurs compositions, Bernard Hermann (la musique de "Psychose" est d'une force orchestrale et mélodique incroyable), Ennio Morricone (la musique de "Cinéma Paradiso" est pour moi une référence absolue). Dans le jazz, j'écoute toujours assidûment Chet Baker, Lennie Tristano, Monk, Coltrane, Duke et Dave Douglas avec qui j'ai étudié. Je suis très admiratif de Franck Zappa. Les groupes The Cure, les Sex Pistols, AC/DC, Kate Bush, Mike Oldfield et Pink Floyd ont été mes premières influences, de 13 à 17 ans. Le label ECM a pris le relais à ce moment-là jusqu'à mes 20 ans. Pour finir, je ne me lasse pas d'écouter ou de regarder des vidéos des grands chefs d'orchestre comme George Solti ou encore Celibidache. Mais je crois que le plus impressionnant à mes yeux est Léonard Bernstein qui a su tout réunir à la fois : la musique classique comme chef d'orchestre et sa proximité avec Mahler, un sens de la composition qui inclue tous les genres et aussi son talent de mélodiste. West Side Story, c'est quand même énorme !

De quels compositeurs de film actuels vous sentez-vous le plus proche ?

F.N : Jean-Claude Petit pour son parcours d'ex jazzman converti dans le symphonique, Alexandre Desplat pour ses films avec Jacques Audiard et Howard Shore pour sa musique de "Festin Nu" avec Ornette Colman.

Quel regard portez-vous sur la musique de film ? Quelle liberté artistique malgré la contrainte ?

F.N : J'ai souvent remarqué que des réalisateurs parmi les plus inventifs (François Ozon, Gus Van Sant) utilisent la musique d'Arvo Pärt. Déjà, quand je fréquentais des étudiants de la Fémis il y a quinze ans, j'avais noté ça. Aujourd'hui, je comprends que la plus grosse inquiétude du réalisateur est de voir un autre créateur pénétrer son univers et le transformer. La musique d'Arvo Pärt est faite avant tout de silence et de simplicité. Mais aussi d'une grande connaissance : elle est savante.
Je crois que c'est peut-être la clef. Respecter le silence d'un film, lui apporter ce dont il a besoin sans le changer. Et rester savant et créatif.

Enfin, quels sont vos projets ? Pour quels réalisateurs vous souhaiteriez travailler ? (il y en a qui nous lisent, alors n'hésitez pas à faire passer un message) ;) 

F.N : Je viens de finir la musique de la pièce "L'ouest solitaire" qui se joue à Paris au théâtre Marigny avec Dominique Pinon et Bruno Solo. L'auteur de cette pièce, mise en scène par Ladislas Chollat, est Martin McDonagh qui a réalisé le formidable "Bons Baisers de Bruges". Je dois dire que je me suis régalé à faire une musique pleine de suspense et de ruptures. J'enchaîne ensuite avec deux autres pièces, toujours avec le metteur en scène Ladislas Chollat, "Harold et Maud" avec Line Renaud dans le rôle de Maud et "Je ne serai pas au rendez-vous" avec Aurore Auteuil et Nicolas Giraud. Cette pièce fera l'objet d'un long-métrage qui est actuellement en démarrage de production. Je suis très impatient que le film se fasse, dans la mesure où nous en sommes Ladislas Chollat et moi à notre septième collaboration, toujours avec la même évidence et la même confiance. Par ailleurs, ma femme (Fanny Guiard) pour qui j'avais fait la musique du film documentaire "Terra Magica" sur Ingmar Bergman, écrit actuellement le scénario d'un long-métrage dont l'histoire se déroule en Angleterre et baigne dans l'univers des Carols. Je suis fortement pressenti pour faire la musique (!!) et me nourris donc de ces chants en ce moment.

Pour répondre à la question sur les réalisateurs avec qui je souhaiterais travailler, les noms qui me viennent, je les ai étrangement déjà cités précédemment : François Ozon, Jacques Audiard. Je rajouterai encore les frères Larrieu dont j'ai adoré le film "Les derniers jours du monde" : je me sens très proche de leur univers.

Interview réalisée en novembre 2011 par Sylvain Rivaud et Benoit Basirico

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