J'ai commencé ma première partie de carrière en Australie vers 1977, dans le groupe de musique industrielle / punk rock « SPK ». Je suis resté en Australie pendant un ou deux ans, puis je suis venu en Angleterre. Nous y somme restés jusqu'en 1984, et sommes revenus en Australie pour un temps jusqu'à ce que l'on me demande de faire CALME BLANC (Philip Noyce, 1989). Pour faire court, après trois mois d'expérimentations musicales, et après être allé dans différentes directions, j'ai utilisé quelque chose que j'avais écrit pour le groupe SPK mais que je n'avais jamais utilisé auparavant, et tout le monde semblait satisfait du résultat.
Comment avez-vous abordé la musique symphonique, que vous n'aviez pas encore essayé ?
Tandis que j'étais impliqué dans la musique expérimentale avec mon groupe « SPK », j'ai réalisé que j'avais toujours une image en tête quand j'écrivais. J'étais inspiré par la musique de certains films (le plus souvent les partitions de Morricone et les films de Tarkovski) en pensant à la façon de composer, moi-même, pour des films.
Vous avez été rapidement catalogué dans deux genres : le cinéma d'action et le cinéma fantastique. Essayez-vous de vous en écarter aujourd'hui ou cela vous convient-il ? Pourquoi les producteurs ne vous invitent pas à composer pour des films plus intimistes ?
Je m'efforce d'être différent à chaque projet, en essayant de traduire au mieux les images et de rendre justice à la vision du réalisateur, tout en faisant en sorte que la musique ne ressemble pas à quelque chose d'autre. C'est ce que je m'efforce de faire à chaque fois, en variant les propositions bien sûr. Parfois vous essayez de faire quelque chose, et quelqu'un dans le processus ou au niveau du mixage vous arrête dans votre lancée, et vous demande de proposer quelque chose d'autre. C'est vers ce but que je tends. Je suis une personne très « collaborative » et flexible. Je crois en une vision globale et je m'emploie à contourner les barrières, et les limites imposées.
Comment arrivez-vous à être constamment inspiré malgré le peu de profondeur de certains des films pour lesquels vous composez ?
J'ai la chance de penser, quand j'écris ma musique, que d'avoir un film en face de moi comme source d'inspiration, si vous préférez, me rend les choses plus faciles. Mais je pense que composer de la musique pour des films relève plus de l'artisanat que de l'art, à proprement parler – je pense à différentes sortes de musiques que j'aimerais écrire mais qui ne pourraient pas être utilisées en temps que composition, sans distraire le public du film. En disant ça, je pense que je serai l'un des compositeurs qui aurait repoussé le plus les limites de la musique de film.
D'une manière générale, quel appréciation portez-vous sur vos collègues compositeurs ? Vous avez des préférences, des influences ?
Aussi vaste que soit l'univers de la musique de films, je suis un grand fan d'Ennio Morricone. Celui qui est capable de rendre aussi beau un simple sifflement comme dans « LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND » mérite mon respect. A part ça, mes goûts sont assez éclectiques. J'aime bien Radiohead, Coldplay, et j'aime beaucoup Björk également. J'écoute beaucoup de trucs électroniques, des musiques planantes de groupes Britanniques et Français pour la plupart. C'est simplement pour le plaisir, le reste, c'est plus dans un souci d'analyse musicale.
Parlons de votre travail pour Robert Rodriguez (Sin City) : à quel niveau se situait votre implication dans cette oeuvre collective ?
Je n'ai pas vraiment travaillé en étroite collaboration avec John Debney. Avec Robert (Rodriguez), je suis descendu sur Austin (Texas), et il m'a fait écouter quelques ébauches thématiques qu'il avait écrites. Il voulait incorporer ces thèmes, qui est actuellement celui de SIN CITY, dans une ou deux parties du film sur lesquelles je travaillais. J'étais ravi de faire ça. Je respecte énormément Robert à tout point de vue, en tant que compositeur également. Il disait qu'il voulait que les trois parties du film, hormis ce thème, soient assez distinctes. Un peu plus tard, le technicien de John (Debney), Wolfgang Amadeus, qui travaille pour moi également de temps en temps, m'a appelé pour me signaler qu'ils allaient adoucir la partition avec des instruments à cordes, et m'a demandé si je souhaitais me joindre à eux pour superviser la session d'enregistrement. Je leur ai répondu : « Non ! ».
Je tenais à ce que les partitions soient complètement séparées comme le souhaitait Robert. J'adore ce que fait John et je n'ai rien contre lui. Je pensais simplement dans ce cas, qu'il fallait rester « séparés ». Et ça semble avoir fonctionné, puisque de nombreuses personnes m'ont dit que nous devions travailler ensemble de façon plus homogène car notre travail semblait trop « décousu ». C'est un résultat réjouissant et encourageant !
Maintenant, mentionnons une de vos dernières actualités, la composition pour le jeu vidéo CALL OF DUTY 2... Comment avez-vous été engagé sur ce jeu vidéo alors que le premier opus était composé par Michael Giacchino ? Avez-vous composé dans la continuité du précédent ?
Le contact que j'ai eu, m'a été transmis par mon manager (Mark Devin), qui est un ami du responsable du département musique chez Activision, et celui-ci m'a demandé si j'étais intéressé de composer une partition pour un jeu vidéo. Je trouvais ça très intéressant de découvrir comment cet univers fonctionnait.
Notre collaboration avec Activision fut très bonne. Ils ont été très clairs et savaient exactement ce qu'ils voulaient. Ils ont tenté de m'expliquer, du mieux qu'ils pouvaient, comment s'articulaient les choses dans le monde du jeu vidéo, avec ce que je qualifierais de « boucles musicales », ou ces temps forts qu'il faut marquer musicalement de façon appuyée… Ce fut un enseignement très enrichissant pour moi.
On m'a demandé si j'avais, au préalable, écouté ce qu'avait fait Michael Giacchino sur le précédent opus, et ma réponse fut : « Non ! ». Je pense que si je l'avais écouté, j'aurais probablement décelé certaines similitudes.
Quels changements dans le travail sur un jeu vidéo comparé à celui sur la musique du cinéma ?
Ce n'était pas aussi « nébuleux » que pour un film. Pour utiliser une métaphore, je dirais qu'il n'y avait pas autant de cuisiniers dans une même cuisine, chacun y allant de ses propres conseils et recettes. Ça vous permet d'être mieux cadré, d'être plus systématique dans votre partition, c'était intéressant pour moi de pouvoir écrire une partition orchestrale rigoureuse et clairement définie. Comme ça les gens pourront juger si ce que j'ai fait est bien, et par la suite, vouloir recommencer cette expérience.
Dans un jeu vidéo, en matière de technique musicale, il faut concevoir une « boucle musicale caractéristique » (thématique), qu'il faut ensuite décliner sous la forme de 2 ou 4 variations, permettant ainsi au « gamer » de jouer à son rythme tout en gardant la même tension musicale . Le mystère demeure quant à savoir comment ces principes fonctionnent, mais je m'emploie à trouver une réponse.
Pourquoi privilégier une musique de facture classique pour ce jeu martial ?
CALL OF DUTY 2 (COD2) est un jeu dans lequel des régiments Britanniques, Russes et Américains se battent contre des troupes Allemandes sur différents terrains et territoires. En ce sens, c'est une musique très emphatique dans laquelle il y a énormément de morceaux d'action. Pour ce qui est des Russes, il est assez aisé de reconnaître le style musical très martial. En revanche pour ce qui est d'illustrer les troupes Britanniques et Américaines, il a fallu trouver des parades, sans tomber dans le « God Save The Queen ». Dans une autre partie, ils sont en Afrique du Nord et en Italie, j'y ai donc inclus quelques sonorités « locales ».
COD2 : BIG RED ONE est un jeu plus individuel, dans lequel vous suivez une unité que vous êtes amené à découvrir au fur et à mesure de votre progression dans le monde et de vos missions. Celui-ci est plus focalisé sur un personnage et joue avec les émotions personnelles plutôt que sur l'action qui se passe autour. C'est une forme de musique épurée, un peu dans le genre de « Zeitgeist », je suppose. Quand vous avez entendu beaucoup de musique militaire, c'est quelque chose que vous trouvez dans l'arrangement. C'est difficile à dire, parce que je n'ai jamais eu l'occasion d'écouter ce genre de chose auparavant.
J'ai lu que vous aviez plusieurs projets, dont celui d'associer votre musique à l'un des scripts que vous avez écrit. Est-ce que vous souhaitez faire comme John Ottman, vous mettre à la réalisation également ? Ce serait une expérience unique et harassante de suivre ce projet depuis l'écriture du scénario, en passant par la réalisation, jusqu'à la partition musicale...
Éventuellement, pour le cas d'un film indépendant à petit budget. Mais je n'ai aucun souhait, ni le talent d'ailleurs, de diriger de gros films Hollywoodiens.
Vous avez composé la musique du remake de FOG de John Carpenter... Les morceaux "God's Country", "It Wants Us", "The Search" et "Shower Love" comportent de nombreuses sonorités de piano et de guitare en référence au style musical de Carpenter… Est-ce qu'il s'agissait d'une demande émanant de la production (et plus particulièrement d'un des producteurs : Carpenter lui-même) ou d'un clin d'œil personnel à "Big John" ?
C'était un clin d'œil personnel. J'ai développé ces petits thèmes alors que toute l'équipe était assise à mes côtés dans le studio. Je leur ai juste joué les morceaux et ils les ont tous apprécié. J'avais pensé à une forme d'équipe de choeurs instrumentaux dont le piano serait un peu l'élément moteur, dans la même optique que John Carpenter.
Si l'on se réfère à vos chants ethniques et vos effets de sons métalliques entendus dans BELOW, vous avez donné aux abysses une sorte de personnalité, une sensation de claustrophobie ; cela semble être la même chose pour le brouillard de FOG qui est considéré ici comme un personnage à part entière…
Je pense que c'est une façon intéressante de voir les choses. Je n'avais pas fait le parallèle entre les deux, mais ils ont en effet un scénario similaire, où quelque chose est tapis dans un élément : nous en sentons la présence mais ne pouvons la voir. C'est ce genre de claustrophobie que j'ai voulu faire ressurgir.
Howard Shore, au sujet de la trilogie LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, a dit qu'il avait réalisé son rêve, celui d'avoir composé sa « masterpiece », son Opéra ! Pensez-vous avoir atteint cet aboutissement vous aussi ? Si oui, pour quel oeuvre (film, téléfilm, jeu vidéo, composition personnelle...) ? Dans le cas contraire, pour quel type de "support" aimeriez vous voir votre "rêve" devenir réalité ?
Je ne pense pas l'avoir déjà fait, je suis le genre de personne qui ne regarde jamais en arrière. J'ai tellement de choses que j'aimerais faire, mais je n'en ai pas le temps. Et même si je trouvais une œuvre maîtresse, si toutefois j'ai pu en faire une, je ne pense pas que je dirai laquelle.
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