bozon,madame-hyde, - Interview B.O : Serge Bozon, le romanesque triste de MADAME HYDE Interview B.O : Serge Bozon, le romanesque triste de MADAME HYDE

bozon,madame-hyde, - Interview B.O : Serge Bozon, le romanesque triste de MADAME HYDE

Propos recueillis le 26 mars 2018 à Paris par Benoit Basirico - Publié le 28-03-2018




Benjamin Esdraffo retrouve Serge Bozon après "La France" (2007) avec une partition mêlant le mellotron, pianos (electrique et classique), cordes, flûtes, clarinette, ainsi qu'un titre de rap, "Sale canard", que les jeunes ados chantent sur leur propre texte co-écrit avec le cinéaste.

Cinezik : Quelle place a la musique dans votre cinéma, sachant que vous avez réalisé le film musical LA FRANCE (2007) ?

Serge Bozon : Les films que j'ai faits jusqu'à TIP TOP (2013) étaient sans musiques de film, même s'il s'agissait de comédies musicales, la musique était non extradiégétique, les personnages chantaient, faisaient la musique ou dansaient dessus. C'est aussi le cas de TIP TOP avec la chanson turque qu'on entend quand les personnages l'écoutent. Donc c'est avec MADAME HYDE qu'il y a pour la première fois une musique de film dans le sens traditionnel, une B.O qui accompagne les scènes. C'était tout nouveau pour moi.

Et vous retrouvez à cette occasion le compositeur Benjamin Esdraffo...

S.B : Je travaille toujours avec les mêmes personnes à tous les postes. J'avais ainsi déjà travaillé avec Benjamin sur presque tous mes films. Sur L'AMITIE (1998) il était assistant-réalisateur, sur MODS (2002) il était assistant-réalisateur et acteur, pour LA FRANCE il était acteur et co-compositeur avec Mehdi Zannad, pour TIP TOP c'est la seule fois où l'on n'a pas travaillé ensemble. Et là sur MADAME HYDE il a fait toute la musique, y compris un morceau de rap.

Quelle était votre intention musicale pour MADAME HYDE ?

S.B : L'idée d'origine était de partir de morceaux de Fassbinder ("Le secret de Veronika Voss", "Prenez garde à la Sainte Putain", "Le soldat américain"), des musiques faiblement mixées qui apportent un côté triste qui vient de loin. L'idée était de travailler un romanesque en sourdine permettant d'unifier le film qui est un peu éclaté. Au fil du montage, on a finalement utilisé moins de musique que j'avais prévu au début. On l'a concentrée essentiellement dans la dernière partie, alors que le film devient plus noir, plus triste, la musique accompagne le lyrisme lié à ce désarroi. Il y a des moments du film strictement musicaux, par exemple lors de l'écroulement de José Garcia devant les grilles du lycée à la fin, il n'y a pas un seul dialogue. Cela joue uniquement sur la musique de Benjamin, plus lyrique, Sard-ienne, Deleru-ienne, qui se déploie.

Votre cinéma est loufoque, mais évoque malgré tout la gravité de faits sociaux profonds ?

S.B : J'essaie de faire des films qui touchent à la réalité, sur des problèmes de base, comme l'éducation en banlieue, mais aussi le racisme. Je pense qu'il y a différentes manières de le faire, et peut-être que la mienne est moins décalée que cela puisse paraître, parce qu'elle touche plus directement. Dans mon film, la banlieue n'est pas qu'un décor, l'idée de la transmission est visible, frontale.

Comment travaillez-vous la musicalité de votre montage ?

S.B : Je peux couper plus court une scène comique, non pas pour faire le malin mais pour qu'il y ait une petite décharge, pour éviter que le spectateur soit dans une sorte de ronronnement. Je n'ai pas de théorie, c'est intuitif. Dans le travail artisanal du montage, je peux avoir envie qu'un plan soit coupé de manière un peu plus raide que ce qu'il aurait pu être. C'est à chaque fois pour des raisons sensorielles. La fluidité n'est pas le caractère principal de mon montage. C'est un peu plus heurté. Même si MADAME HYDE est plus doux que TIP TOP qui était plus sec.

Et l'émotion n'est pas retenue dans MADAME HYDE, elle advient naturellement...

S.B : Benjamin a énormément apporté pour l'émotion avec sa musique lancinante, qui a ce côté romanesque triste très simple, très repérable, qui ne cherche pas à être une musique expérimentale pour faire moderne ou super électro pour utiliser les dernières tendances. Il y a quelque chose de classique dans la B.O qui aide le film qui ne souffre pas de trop de classicisme.

A quel moment Benjamin Esdraffo est-il intervenu ?

S.B : Il y a des morceaux conçus en amont, notamment les musiques que José Garcia est sensé jouer au synthé. Benjamin lui a même donné des cours de synthé. C'est là qu'est apparu le thème du film que l'on retrouve dés le générique de début, joué juste à la flute. Ensuite des musiques sont venues pendant le montage, des musiques plus atmosphériques pour les scènes de nuit, qui peuvent être des réorchestrations du thème, ou d'autres thèmes. Et aussi sur le tournage, j'ai mis la musique de Benjamin pour rythmer certains mouvements d'appareil, au moment des répétitions. Et lorsque José Garcia est au piano, et se met à chanter "elle est où la femme délicate que j'ai épousée", avec Isabelle Huppert qui arrive et dévoile sa poitrine. J'avais en effet sur le tournage une diffusion en direct pour trouver un rythme.

Dans le processus, aucunes musiques existantes et temporaires n'ont été utilisées ?

S.B : On a testé beaucoup de musiques en amont, des maquettes de Benjamin, qui ne sont pas restées au final. Je n'ai mis aucunes autres musiques sur les images. C'est surtout un travail avec Benjamin. Je lui ai beaucoup demandé, c'était pour lui un travail intensif. Le montage évoluait souvent. Comme parfois je ne savais pas vraiment ce que je recherchais, c'est la première fois que j'ai travaillé à ce point là sur la musique originale, parfois j'étais perdu, confus, hésitant. Cela devait parfois être désagréable pour le compositeur d'avoir quelqu'un qui tâtonnait plus que d'habitude.

La musique doit-elle jouer le contrepoint pour favoriser la comédie ?

S.B : Pour moi la musique ne doit pas jouer le décalage. Elle doit simplifier les choses. Elle n'est pas sensée ajouter un contrepoint. L'idée de mes films n'est pas de faire de l'humour ironique. Je n'essaie pas de faire du second degré, je ne me prends pas pour les Monty Python ou Mel Brooks. Au contraire, j'essaye de faire des films très sincères, qui peuvent être émouvants, toucher à des choses très profondes. Je recherche plus une forme de sincérité démunie qu'un décalage loufoque.

Dans MADAME HYDE, on est plus dans le désenchantement que dans le burlesque...

S.B : Il y a du burlesque, notamment le personnage de Romain Duris, mais globalement ce qui ressort c'est en effet plus du désenchantement.

Était-il question de convoquer la musique des adolescents du film ?

S.B : Oui en effet, notamment pour le morceau de rap, alors que ce n'est pas un genre musical qui me fascine, cela n'a jamais été une musique que j'ai beaucoup écoutée. Mais quand on fait un film en banlieue, la question du rap est importante. Il y avait donc quelque chose à faire avec le rap, sans être dans la démarche intellectuelle de vouloir partir d'un cliché pour aller ailleurs. Mon idée était de partir du rap sans chercher à l'imiter, mais à me l'approprier, en travaillant avec les gens. Le rap qu'on a fait avec Benjamin dérive vers la Pop à cause des chœurs et des voix de tête, ça on connaît, on l'a fait avec LA FRANCE. Mais en même temps ce sont les adolescents qui ont écrit les paroles du rap, à partir d'un schéma que je leur ai donné. Il y a donc tout un travail collectif, avec du son direct pour les voix. Il y a une vérité de l'instant, qui n'est pas triché. On garde la sincérité et l'énergie.

Votre travail sur l'interprétation des dialogues est aussi très musical, comme un chant...

S.B : Je ne fais pas de partitions des dialogues comme Straub avec ses acteurs, mais j'aime bien jouer sur les intonations, faire qu'un bout de phrase soit dit plus lentement, une autre plus basse, une fin de phrase qui monte un peu... Le jeu n'est pas naturaliste, il y a une clarté de la diction, qui n'évoque pas le théâtre mais évoque le plaisir de jouer, d'entendre ce qu'on dit, de voir comment les choses se déploient. Et chacun a sa partition, José Garcia ne joue pas comme Duris, qui ne joue pas comme Huppert, qui ne joue pas comme les rappeurs.

Vous êtes un grand amoureux de musique, il vous arrive de programmer des soirées en festivals, mais vous n'en abusez pas dans votre cinéma...

S.B : Ce n'est pas le but. Je ne pense pas que les gens vont au cinéma pour écouter ma playlist. La musique peut très vite écraser les scènes, surtout que j'écoute des choses plutôt violentes, du rockabilly, du punk ou du garage... Dans un film ça prend un espace fou. Quand on entend AC/DC dans "Iron Man", il y a un côté rouleau compresseur. J'essaie de faire en sorte que mon film ait son autonomie. La musique est une question d'équilibre. Pour l'instant, j'ai eu envie qu'elle demeure discrète. Même si mon prochain film sera une comédie musicale, toujours avec du son direct, ce sera une tentative de revenir à ce que j'ai fait pour LA FRANCE, mais de manière encore plus sophistiquée. Ce ne sera pas uniquement quelques pauses chantées dans un film de guerre, ce sera dans le récit même qu'il y aura du chant. Le style musical sera très différent de ce que Michel Legrand fait pour Jacques Demy, qui est un de mes cinéastes préférés. En France on a tellement fait peu de films chantés, que dès qu'il y en a un on le compare à Demy. Je pense retrouver pour cela Mehdi Zannad et Benjamin.

Vous êtes fidèle...

S.B : On se connaît très bien avec Benjamin. J'aime retrouver les mêmes personnes. Mais j'aime aussi faire des films différents, il n'y a aucun rapport entre LA FRANCE, TIP TOP et MADAME HYDE. Ce n'est pas mon but de retrouver des effets de style. C'est la même chose par rapport à la musique. Ca m'intéresse de faire des choses nouvelles. Et Benjamin a ce côté caméléon, dans ce qu'il fait avec Axelle Ropert, ce qu'il fait pour Arrieta, pour Stillman, et pour moi... On n'a pas l'impression que ce soit quelqu'un qui impose à chaque fois une signature.

 

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