Cinezik : Y’a t-il une différence dans la façon de travailler entre la Grande Bretagne et la France ? Comment avez-vous vécu votre arrivée en France ?
Stephen Warbeck : Dans ce film, j’ai été frappé par la confiance que l’on a dans le metteur en scène. Maïwenn a fait selon moi un film vraiment magnifique, très original et Alain Attal en tant que producteur lui a fait confiance pour qu’elle fasse son film à elle.
Par contre en Grande Bretagne, j’ai l’impression que désormais on fonctionne comme aux Etats-Unis où c’est un comité de gens qui décident. C’est rare aujourd’hui qu’un metteur en scène ait beaucoup de pouvoir - il y a le poids des décisions financières, des commerciaux des distributions - et c’est contre l’idée d’auteur de cinéma. Alors qu’en France, je trouve que ça existe toujours, dans une manière assez impressionnante et c’est comme ça que je veux travailler.
Votre première venue en France s’est faite de quelle manière ?
S.W : Il me semble que j’ai fait cinq films en France, dont un film de Brigitte Roüan qui s’appelle TRAVAUX, ON SAIT QUAND CA COMMENCE… (elle est d’ailleurs en train de préparer un autre film dont le tournage aura lieu en Grèce).. J’ai aussi fait quelques travaux de théâtre, par exemple Jean la chance, la première pièce de Bertold Brecht à Montpellier.
Est–ce que vous avez à la fois le budget confortable et la liberté suffisante pour faire votre musique telle que vous la souhaitez dans vos films en France ?
S.W : Il est vrai que les budgets en France sont un peu moins importants. Si l’on prend par exemple le film de Maiwenn, POLISSE, je pensais qu’il ne fallait pas d’orchestre. On a donc travaillé avec six ou sept musiciens pour à peu près 4 jours d’enregistrement, puis 4 jours de mixage de musique. Je leur avais dit qu’avec un orchestre pendant deux jours à Pragues, Bruxelles ou Londres, peut être que cela aurait été moins bien, parce que cela aurait été moins individuel. Dans le cas de POLISSE, on aurait pu avoir un budget modeste parce que c’était bien adapté à ce qu’il fallait pour ce film.
A quel moment dans la création du film POLISSE, présenté au Festival de Cannes en compétition, êtes-vous intervenu ? Au moment du scénario ? Ou le film était déjà tourné ?
S.W : A la première du film UN BALCON SUR LA MER, le superviseur de la musique sur UN BALCON SUR LA MER et POLISSE, m’a présenté Maïwenn, qui venait de voir le film. Elle m’a dit qu’elle aimait bien la musique, et m’a demandé si je voulais bien lire le scénario de POLISSE et j’ai accepté. A ce moment-là, j’ai été surpris par le scénario qui n’était pas comme ceux que je lisais toutes les semaines. Après le tournage, quand j’ai vu le film fini, j’étais très ému, et je me suis dit que c’est vraiment un film avec une vision très originale de l’auteur. J’étais très heureux d’avoir accepté le projet.
C’est vrai que c’est un film assez particulier parce qu’il y a un aspect documentaire, donc d’une part j’imagine qu’au tournage beaucoup d’improvisations ont eu lieu, qui n’étaient pas écrites. Donc pour le compositeur, cela donne lieu également à certaines adaptations ?
S.W : La structure n’a pas beaucoup changé mais c’est vrai que les dialogues, les situations ont évolué pendant le tournage. Mais Maïwenn a une façon de travailler qui est assez intéressante. Il y a des habitudes que tu as en tant que compositeur, un vocabulaire (par exemple, on va employer un violoncelle solo avec un piano, ou alors on va utiliser une clarinette avec orchestre). Avec elle, c’est plutôt comme des îlots de musique qui fonctionnent bien à tel ou tel moment. Donc cela peut être un piano et plus tard une guitare, et moi je me disais que ce n’était pas la même chose, que ça allait dériver, prendre d’autres directions, mais pour elle, cela fonctionnait tel quel. Maiwenn est une des metteurs en scène avec lesquels tu te retrouves à faire des trajets un peu inattendus. Ton travail arrive dans une manière différente et c’est pas mal.
Dans ce documentaire-fiction, il y a une violence dans les propos, dans les témoignages. Comment la musique peut s’immiscer sans manquer de respect aux personnages, sans trop souligner l’émotion. Quelles questions vous êtes-vous posé sur ce travail ?
S.W : Nous n’avons pas beaucoup parlé de l’approche musicale. Elle attendait de ma part des exemples de musique. Je lui ai proposé des thèmes au piano et elle me disais si elle aimait ou pas, nous procédions comme ça. Parfois elle me disait qu’elle aimait bien un morceau mais qu’elle aimerait qu’il soit joué d’un façon plus hésitante, moins structurée, plutôt amateur. Pour moi, la musique sur ce film, et peut-être sur d’autres films, parle d’un monde qui n’est pas dans le film. Elle peut parler des espoirs qui n’ont pas été réalisés, qui étaient déçus, des gens qui ont mal tourné... La musique ne parle pas de ce que l’on voit à l’écran, c’est une direction à part, un monde parallèle.
Pourquoi ce choix de sonorités ethniques ? Il y a des petits instruments arabes utilisés dans certains morceaux, pourquoi ce choix ? Pour ce monde parallèle en l’occurrence ?
S.W : Je pense qu’elle voulait refléter la société dans laquelle nous vivons, où il y a tellement de différentes influences mondiales, et Maïwenn aime bien l’improvisation avec ces instruments. Elle voulait que la musique soit très flexible, très humaine et pas trop sophistiquée. C’est pour ça qu'un instrument comme le luth peut être très sophistiqué mais en même temps a un côté très humain, improvisé. Avec le piano, c’était la même chose, elle ne voulait pas que cela soit trop fini, trop poli. Plusieurs de mes thèmes que j’ai d’abord fait d’une manière assez finie, complète, achevée n’ont pas plu à Maïwenn, et m’a demandé de les jouer comme une mélodie simple sans accompagnement. On a même travaillé dans un studio, mais elle préférait ce que je faisais chez moi avec un seul micro, avec un ordinateur portable. Un soir, elle est venue avec le producteur et un guitariste et on a fait des enregistrements.
Vous jouez du piano dans le film. Dans quelle mesure votre jeu pianistique participe à l’écriture ?
S.W : J’étais il y a quelques jours avec un musicien dans le théâtre à Londres, qui dit que composer un musique de film c’est « jouer les doigts ». Il veut dire que ce sont les doigts qui te mènent et parfois il est vrai que ce sont tes doigts qui font quelque chose. Ca peut être des avantages parce que ça dépend de ta technique, c’est lié à tes expertises de clavier.
Dans les discussions musicales avec Maïwen, avait-elle une notion musicale, des indications de musique, des références à d’autres musiques ?
S.W : Elle a une manière de se comporter très directe, pas musicale. Aussitôt qu’elle entend quelque chose qu’elle aime, elle me le dit. Je trouve que la musique au cinéma est un moyen de collaborer avec des gens. Si elle me dit « est-ce que tu peux me montrer ce que ça fait avec une mélodie qui monte à ce moment-là », petit à petit on fait des pas ensemble.
Il y a aussi beaucoup de morceaux préexistants dans le film. Les aviez-vous en écoute lors de la composition de la musique pour le film ?
S.W : Il y a le morceau du début, L’île aux enfants, et les deux musiques dans la boîte de nuit.
Vous aviez écouté le morceau initial L’île aux enfants ?
S.W : Je l’ai écouté, je l’ai trouvé horrible, absolument détestable, que ce soit la musique, le chant, le tempo … Mais dès que je l’ai vu avec les images je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui se passait avec l’image qui était vraiment formidable. Je ne pourrais pas proposer un meilleur morceau. Comme pour la scène dans la boîte de nuit, je ne sais pas pourquoi c’est une des choses assez inattendue et quand tu le regardes tu te dis que c’est incroyable, c’est une chanson quasi chrétienne qui n’a rien à voir avec ce qui ce passe sur l’écran, mais en même temps cette cohabitation très intéressante fonctionne. On a écouté des choses ensemble mais c’est vrai que Maïwenn était sûre que c’était ces morceaux de musique qu’elle voulait garder dans le film.
C’est vrai que tout le film est inspiré de l’enfance, d’ailleurs l’écriture « Polisse » avec la faute d’orthographe va dans ce sens-là. Est ce que justement quand vous avez écrit cette musique vous pensiez à cette enfance, à votre propre enfance ?
S.W : Non, je ne pensais pas à mon enfance. Je pensais plutôt à l’innocence. Tout ce qu’on a fait avec la musique était un travail de simplification, d’enlever les choses qui était un peu trop compliqué, par exemple un niveau d’harmonie, parce qu’on s’est dit que la musique était l’imagination des enfants, l’espoir de l’enfant. Et même la scène dans la voiture avec Fred qui est seul, là, il y a juste une texture de guitare électrique avec des effets, c’est très simple.
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