Qu'est-ce qui différencie musicalement THE DARK KNIGHT de BATMAN BEGINS (2005) ?
Hans Zimmer : Vous avez entendu la Suite du Joker ? Je pense que personne n'a jamais fait quelque chose de ce genre-là dans un blockbuster Hollywoodien. En fait, notre objectif principal était d'être aussi provocants que possible. De nos jours, tout le monde juge son film « sombre ». Je pense qu'une des différences pour ce film, c'est que s'il est sombre, ce n'est pas dû à une surenchère dans la violence – il est sombre parce qu'il y a des idées interessantes, des idées adultes et sombres.
James Newton Howard : Il fait très réel, très contemporain, en rapport avec notre temps.
De quelle manière ?
JNH : La désintégration de la société...
HZ : Le débat entre différentes philosophies, l'anarchie contre les valeurs traditionnelles. Le personnage du Joker ne ressent pas de peur et je sentais que cette partie-là devait être à son image, complètement sans peur. Et puis il y a au contraire le personnage d'Harvey Dent, qui est un vrai chevalier blanc, une personne profondément bonne, et vraiment élégante. Nous devions être capables, entre nous deux, de créer ce type de contraste incroyable, où ce qui est lumineux brille encore plus et ce qui est sombre est encore plus noir.
Est-ce que vous vous êtes séparés le travail de cette manière ?
HZ : Pas vraiment.
JNH : Très peu, en fait.
HZ : Dans votre monde, celui des fans, et de ceux qui ont accès à quelques informations, après un certain temps vous commencez à croire ce genre de choses. Personne ne saura jamais qui a écrit quel thème ou quel morceau.
JNH : Et nous non plus !
HZ : Nous non plus. Lorsqu'on travaillais sur ce film et qu'on écoutait quelque chose du premier opus, on se demandait « c'est toi qui as écrit ça ou c'est moi ? »
JNH : C'est tout à fait vrai, c'est juste qu'on ne sait plus à présent.
HZ : L'autre chose que nous avons entrepris de faire est ce qui concerne le Joker, qui est un problème particulier. Nous devions nous séparer le travail. Ce qui est important par rapport au personnage du Joker, c'est qu'il a une philosophie singulière. Lui seul pouvait être aussi courageux, ne ressentir aucune peur à ce point-là. Il fallait que cela vienne d'une seule personne.
JNH : Et je suis trop gentil pour travailler sur le Joker.
HZ : Pas tout à fait. Tu n'es pas aussi gentil que ça !
Donc, si vous avez fait le Joker, vous avez aussi fait Harvey Dent ?
HZ : Oui. Mais un des procédés que j'ai utilisés [pour le Joker] était de le faire très électronique, car ça en fait une vision singulière. Les gens pensent toujours que c'est très facile, que c'est une sorte de solution de facilité d'utiliser l'électronique ; alors que c'est tout à fait l'opposé puisque vous devez créer et fabriquer chaque note. Il ne suffit pas de penser à la note, il faut en fait la créer à partir de rien ! Et l'autre chose particulière à ce propos est que c'est beaucoup plus acoustique que de nombreuses autres choses. Une bonne partie du truc est au violon, joué par Michael Levine.
JNH : Formidablement, d'ailleurs.
HZ : Le plus important est l'état d'esprit, ce qu'on fait avec ça, comment je l'ai découpé, le montage. J'ai parlé avec ces gars pendant trois, quatre mois, parce que tout était dans l'interprétation.
Diriez-vous donc que le résultat final est plus électronique ?
HZ : Non, il est plus complet. La manière habituelle de procéder pour composer la musique d'un film est d'obtenir un orchestre ou une guitare et de faire la musique. Vous ne représentez qu'une petite partie de ce monde-là. Ici, nous faisons le canevas complet. Nous sommes tout en bas dans le coin gauche de l'écran, et tout en haut dans le coin droit. Nous créons un environnement sonore, un environnement complet, pour que ce film y vive. Il y a probablement plus d'orchestre dans ce score que dans beaucoup d'autres que nous avons écrit récemment, mais vous pourriez ne pas vous en rendre compte.
JNH : Vous le réaliserez parfois.
HZ : Ça devient très pur. Puis les choses sonnent très électroniques, comme pour l'autre côté d'Harvey Dent. J'écoutais le travail de James et une des idées était de n'utiliser que des cuivres. C'est vraiment intéressant de voir que ça sonne très moderne. Et la texture très électronique que ça donne au son.
A propos du premier film, vous avez évoqué le fait de créer une palette pour l'univers du film. Comment est-ce que ceci a évolué pour le second film ?
HZ : Les choses ont évolué de la même manière que le monde a évolué... Si vous voulez penser à cette palette comme étant la « version joyeuse » et la « version pleine d'espoir » la dernière fois...
JNH : Celle-ci n'est pas aussi joyeuse.
HZ : Ni aussi insouciante.
Vous avez écrit un thème pour le premier opus qui n'avait pas été utilisé, et vous aviez déclaré dans une interview le conserver pour la suite. L'avez-vous utilisé cette fois-ci ?
HZ : Il y est, deux fois.
JNH : Fais ton petit speech sur le thème. Je le trouve très bien.
HZ : C'est quelque chose qui m'est venu à l'esprit. J'ai le sentiment qu'il y a des personnes dans le monde qui attendent que James et moi « reprenions nos esprits » et stoppions tout ce sombre charabia avec ce truc à deux notes, et que nous écrivions un thème joyeux, enjoué comme pour l'ancien Batman. Vous savez, comme celui de Danny Elfman. Cela n'arrivera pas. Parce que ce n'est pas le monde dans lequel nous sommes. Ce n'est pas le personnage que nous mettons en place. Ce n'est pas les films que nous sommes en train de faire. Vous devez oublier ça. Pour notre Batman, ça ne serait tout simplement pas approprié.
JNH : Cela vous donnerait trop d'informations sur le personnage, et ce ne serait pas vrai. Ce serait de la désinformation. Quand vous accollez un thème héroïque à quelque chose, un type de mélodie, vous révélez beaucoup d'informations, qui peuvent être vraies ou pas, à propos de ce personnage. On ne sait pas encore vraiment qui est Batman. Il est très complexe, il ne cesse d'évoluer en tant que personnage. Il ne sait pas qui il est. Nous avons le sentiment que c'est beaucoup plus fort d'en dire moins, musicalement, sur lui, de laisser en quelque sorte son personnage parler de lui-même.
A Londres, pour le premier film, vous avez travaillé en étant très proches. Ici vous êtes toujours plutôt proches, mais il y a un peu plus de distance.
HZ : Cinq pâtés de maisons.
Est-ce que ça a changé quelque chose cette fois-ci ?
HZ : Je ne pense pas que ça ait beaucoup d'importance. Comme je le disais, la partie sur le Joker devait être faite par une seule personne. Puis celle sur Harvey Dent est de la même manière devenue quasiment l'affaire d'un seul homme. Sur le reste, nous avons collaboré. De plus, ce n'est pas comme si nous n'avions pas communiqué, ce n'est pas comme si nous ne nous étions pas retrouvés dans une pièce tous les deux, comme si nous n'avions pas discuté de ça de façon incessante pendant un an. J'ai commencé sur le Joker en juillet 2007 – ce qui posait un certain nombre de problèmes, juste au moment où j'essayais de retrouver tous les mixes. Beaucoup d'octets ont circulé sur le disque dur à ce moment-là !
Est-ce que vous avez mis en place quelque chose pour un éventuel troisième film, fait des allusions musicales à quelque chose de prévu pour plus tard ?
HZ : Non. Non, parce que nous ne savons pas à quoi va ressembler le troisième film ! Une des choses que je trouve réellement intéressantes à propos de ce film est qu'il ressemble au monde dans lequel nous vivons aujourd'hui.
JNH : Tout à fait.
HZ : Et nous ne savons pas quelle direction il va prendre !
JNH : Qui peut prédire comment sera le monde dans trois ans, ou deux ans, voire même un an ?
Et dans le cas d'Harvey Dent, les fans de Batman savent qu'il va finir par suivre un chemin plus sombre. Dans vos thèmes pour Dent, donnez-vous des indices sur ce qui pourrait se passer ?
JNH : Ça arrive. Peut-être. A vrai dire, je ne me souviens pas vraiment.
Quelle a été votre première réaction après avoir découvert le film ?
JNH : J'étais effrayé. C'est un film incroyable. J'étais là : « Wow ! »
HZ : Le film n'a pas beaucoup changé depuis le premier montage. Il a toujours été solide, le scénario est vraiment solide. C'est pour ça que j'aime travailler avec Chris [Nolan]. Quand vous lui parlez, vous savez à quoi va ressembler le film.
Vous vous êtes dit « effrayé ». Par rapport à ce que vous alliez devoir composer ?
JNH : Oui, bien sûr. Je veux dire, je suis toujours effrayé quand je vois quelque chose qui demande deux heures et demi de musique – et c'est vraiment phénoménal. Et quand vous pouvez dire que le réalisateur a hissé la barre très haut, et que maintenant c'est à notre tour. C'est à nous désormais. Il a travaillé dessus pendant deux ans, ou quelque chose comme ça, et nous allons traverser tout ce que nous sommes en train de traverser, ce qui est très difficile et douloureux parfois. Mais je pense que nous nous en sommes bien sortis.
HZ : Je le pense aussi. Vous ne m'avez jamais entendu dire ça, et c'est la première fois que vous allez m'entendre le dire. James et moi pensons que c'est l'un des meilleurs films sur lesquels nous ayons jamais travaillés. L'expérience explique peut-être une partie de cet avis. Quand vous passez beaucoup de temps sur quelque chose, vous devez l'aimer, sinon c'est impossible à supporter. Mais ce projet là est toujours aussi excitant et passionant jour après jour. J'ai peur de la séparation.
JNH : Ce que [Hans] a fait sur le Joker est tellement bien. J'étais très jaloux quand je l'ai entendu et j'ai pensé que c'était la meilleure conceptualisation d'une idée que j'avais entendue de ma vie.
HZ : J'ai juste pensé qu'il y en avait assez de ne pas prendre de risques. Je pense que si ceci n'est pas provocant, si nous ne sommes pas violemment provocants sur ce blockbuster estival, alors nous aurions mieux fait de ne pas commencer.
JNH : C'est vrai, c'est ce qui nous a poussés au départ à le faire ensemble. Nous en étions à nous demander combien de poursuites en voiture nous pouvions écrire.
HZ : Ouais. Nous savons tous les deux écrire des trucs héroïques, faire toutes ces choses conventionnelles. Sur ce film, du point de vue de tout le monde, il y avait une grande intensité.
Toute dernière question. Est-ce que vous vous en êtes tenus à vos rôles de compositeurs « Batman » et « Robin » ou est-ce que vous avez échangé cette fois-ci ?
JNH : [rires] Non. Rien ne tient. Hans est mon capitaine.
HZ : Je suis quoi ?
JNH : Mon capitaine...
HZ : Oh non, je suis Catwoman. Tu veux voir mes griffes bébé ?
JNH : Hey, qu'est-ce qui est arrivé à Robin d'ailleurs ?
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