Cinezik : Quel rapport avez-vous en tant que cinéaste à la musique dans vos films ?
Antoine Desrosières : J'ai une relation presque conflictuelle avec la musique, parce que je dois avoir un fantasme des cinéastes qui n'en mettent pas (les Dardenne, Bresson...), avec un sentiment qui est en phase avec la frontalité avec laquelle est la mise en scène. Je dois avoir un culte de la simplicité où j'ai l'impression qu'une fois qu'on rajoute des éléments c'est parce que quelque part on vient suppléer à la situation qui ne serait pas assez forte. J'ai ainsi ce désir d'épure où il n'y en aurait pas besoin. Je suis de plus dans un dispositif où le cinéaste se fait discret. Et avec la musique, ce serait comme si je me faisais moins discret, comme pour attirer l'attention.
Vous avez donc intégré au final des chansons Yéyé en intermèdes... Pourquoi ce choix alors que l'on peut imaginer que les adolescentes filmées écoutent plutôt du rap ?
A.D : Mettre du hip-hop sur un film de banlieue, c'est une redondance. Ce serait une musique qui ne dirait rien de plus que ce que le film dit déjà. D'ailleurs, je ne tenais pas spécialement à ce que le film soit analysé comme un film de banlieue. C'est un film sur des jeunes femmes quelque soit le milieu dans lequel elles sont. On voit bien que les questions d'abus sexuels dont le film parle sont partout. Et cela fait le lien avec mon choix musical. C'est parce qu'il y en a partout et de tous temps que j'ai choisi ces chansons aux titres parlants, notamment celui du film qui est aussi le titre d'une chanson, "A Genoux les gars". Il y a aussi une chanson qui dit "Les garçons sont des brigands". Cela dit bien que les sujets qu'on aborde existaient dans les années 60. Ces musiques choisies ont en commun d'avoir été écrites et chantées par des jeunes femmes de 17 ans, un peu comme moi qui ait fait coécrire le scénario par les interprètes, les actrices du film sont aussi scénaristes. Les chansons, comme mon film, parle de choses graves sur un ton plus léger.
Concernant l'emplacement de ces chansons, les paroles font un écho aux situations...
A.D : "Les garçons sont des brigands", quand cette chanson arrive, le personnage vient de se prendre dans la figure un chantage à la Sextape épouvantable. Elle est au fond du trou, effondrée sur son lit. On voit un coucher de soleil sur lequel on entend intégralement cette chanson. Le film s'arrête littéralement pour qu'on puisse écouter cette chanson. On est avec ce personnage en émotion. On a ainsi l'impression que la chanson s'adresse à elle. Elle lui donne des conseils de vie. Le film assume quelque part cette posture. Parfois on me dit qu'on a l'impression que les chansons ont été écrites pour le film, alors qu'en fait elles ont été choisies pour leur écriture.
Comment a été déterminé le choix des chansons ?
A.D : Les paroles ont été très déterminantes. Musicalement, il y en a beaucoup de bien, si je suis allé vers celles-ci c'est pour les paroles. Mais pas uniquement, j'ai noté par exemple qu'une des chansons finales du film, "Je suis libres, je l'ai choisie parce que je l'ai trouvée belle, les paroles me plaisaient mais aussi la mélodie. Elle colle aux oreilles. Parfois on me dit que j'ai pris des tubes yéyé, mais ce n'était pas des succès à l'époque, chantés par des filles qui sont aujourd'hui totalement inconnues, personne ne se rappelle d'elles. En fait, j'aime chercher, aller plus loin que les cinq noms que l'on connaît aujourd'hui.
Le fait que ces chansons soient inconnues ont aidé pour les droits d'utilisation ?
A.D : J'ai là-dessus une anecdote, concernant une chanson qui ne me disait rien du tout, chanté par quelqu'un que je ne connaissais pas, et dont les paroles me plaisaient. Mon superviseur Thibault Deboaisne m'a appris qu'il s'agissait en fait d'une reprise d'une chanson des Beatles, pas de la mélodie, mais uniquement des paroles traduites en français. C'est la traduction d'un texte des Beatles, donc les Beatles étaient dans le coup, j'ai dû y renoncer, car tout de suite on grimpait en terme de prix. Au final, avec ce choix musical, je suis dans mon univers, le film devient une musique en lui-même, le film a sa petite musique.
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