Cinezik : Venant de la musique électronique, comment considérez-vous votre travail pour le cinéma ?
Pierre Aviat : J'ai toujours aimé faire des choses différentes. La musique de film m'a ouvert les bras parce que c'est là que l'on peut vraiment s'exprimer de diverses façons, en faisant toujours ce qu'on aime. On n'est pas obligé de se cantonner à de l'électronique. La musique de film permet de faire beaucoup de choses, et de travailler en équipe, ce qui n'est pas le cas quand on est seul dans son home studio.
D'où vous vient essentiellement l'inspiration ?
P.A : Que ce soit sur CARNIVORES (2018) ou MONSIEUR, j'ai été très sensible aux acteurs. Leïla Bekhti et Zita Hanrot pour l'un, dont on tombe amoureux tout de suite. Et sur celui-ci, les deux comédiens dégagent une telle douceur, une telle humilité, on a envie de proposer une musique avec la même humilité.
Quelle a été l'intention musicale ?
Rohena Gera : Il ne fallait pas aller dans la musique indienne qui fait trop folklorique, et en même temps les violons à l'occidental ne marchaient pas non plus. On a beaucoup échangé pour essayer de trouver. Pierre a réussi à créer une musique qui sorte du film, qui vient du film, de ses personnages, en utilisant des instruments indiens de façon inattendue, en les mélangeant à autre chose de plus moderne, comme le sont les personnages.
Comment s'est défini le choix des bons instruments ?
P.A : Je suis capable de faire une B.O rien qu'avec des synthés, mais là ce n'était pas l'idée. On s'est posé la question de l'instrument, lequel on utiliserait. J'étais parti comme un fou sur les tabla (percussions indiennes), car j'adore ça. Mais cela faisait trop cliché. On a aussi pensé au violoncelle, puis on s'est très vite mis d'accord sur la flûte indienne (Bansuri). C'est le bon équilibre. On peut l'utiliser de manière occidentale avec aussi une utilisation locale. En plus c'est un instrument très organique, on entend le souffle c'est très boisé, cela convient bien aux deux protagonistes.
Quelle est la nécessité et le rôle de la musique dans votre film ?
R.G : Pour moi, la musique était très très importante dans le film. Les personnages ne peuvent pas se dire certaines choses, c'est un amour interdit, il y a le silence entre eux. C'est la musique qui parle à leur place. Mais je ne voulais pas non plus une musique qui raconte trop. On doit être avec les comédiens et la musique ajoute autre chose. J'avais comme référence "In the mood for love" de Wong Kar-Wai. Pierre avait des références de jazz, de classique, il y avait beaucoup de choses.
P.A : Il y a en effet beaucoup de silences, des temps de pause, et c'est du pain béni quand on fait de la musique, car tout d'un coup on peut s'exprimer à leur place. Cela laisse beaucoup de place à la musique, bien que ce soit un huis-clos. Ils sont dans leurs pensées, il regarde par terre et réfléchit beaucoup, cela donne le champ libre à la musique.
R.G : La musique est une langue universelle qui relie les personnages, qui les amène l'un vers l'autre. Même s'ils font chambre à part, qu'il y a un mur entre eux, la musique les lie. Elle participe à leur rapprochement.
Etant indienne, quel est votre lien avec le cinéma de Bollywood ?
R.G : J'ai travaillé pour le cinéma de Bollywood, je sais que le côté divertissant y est très important, et cela amène à la musique. J'ai d'ailleurs mis des chansons bollywoodiennes pendant le montage de mon film, et ça marchait. Au final, on a gardé deux chansons, elles sont très prêts des personnages. Quand ils sont sur le scooter, la musique est cohérente, un peu comme si elle avait des écouteurs avec cette musique. J'ai hésité à les utiliser, et au final c'est Pierre qui m'a rassurée et qui m'a dit qu'on pouvait.
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