par Benoit Basirico
- Publié le 03-05-2019John Carpenter, à 28 ans, met en place son style musical en élaborant lui-même (pour la seconde fois après son premier film DARK STAR) une partition électronique radicalement minimale. Il se contente de quelques notes, textures et accords au synthé pour entretenir une tension, et ça fonctionne ! La musique est pertinente car elle fait partie intrinsèquement de la mise en scène, ce n'est pas un hasard que ce soit le réalisateur qui se soit mis à cette tâche. Le travail, loin d'une partition sophistiquée, est binaire dans la mesure où il consiste à organiser l'alternance entre la présence et l'absence de musique. Ainsi, la question de l'emplacement est chez lui primordiale, c'est par la juste place des notes que la peur survient, lorsqu'une nappe anticipe une attaque pour entretenir le suspens, ou au contraire lorsque la musique cesse pour laisser la place à un silence effrayant.
Ces motifs simples mais forts qui constituent la B.O sont à l'écoute seule très expérimentaux, mais dans le film prolongent le climat des scènes au même titre que la lumière. Ces sonorités synthétiques participent à une ambiance unique qui contribue à l'identité singulière des oeuvres du cinéaste. Ces boucles entêtantes au minimalisme total sont un soutien pour l'action et la tension de ce film policier à la violence insoutenable. Cette efficacité immédiate, aussi troublante que spontanée, opère quelque soit les enjeux de la scène. Parfois des images neutres, anodines, comme un groupe d'hommes qui marchent tranquillement dans la rue, sont chargées d'une appréhension grâce à la musique.
Mais aussi, la partition de John Carpenter joue avec les nerfs du spectateur en instaurant des fausses pistes. Il fait ressentir par ses notes répétitives crescendo ou bien par des textures continues que le danger n'est pas loin, pour le plan d'après désarçonner (décevoir) l'attente par un dialogue (une blague potache) d'un des personnages. Il reprendra ces expérimentations sur HALLOWEEN (1978), THE FOG (1980) ou encore CHRISTINE (1983), et ce qui pouvait n'être au départ que des essais fructueux dans un contexte de restriction budgétaire deviendra une norme musicale pour les films d'horreur. Wes Craven a repris à son compte ce principe. La tradition électronique de l'effroi au cinéma se poursuivra avec les synthétiseurs terrifiants de Charles Bernstein dans LES GRIFFES DE LA NUIT (1984) ou ceux de Jay Chattaway dans MANIAC (William Lustig, 1980). Bien plus tard, l'influence se fera sentir, aussi bien dans le domaine du cinéma (partition carpenterienne de Disasterpeace pour IT FOLLOWS en 2014) que dans le domaine strictement musical (Daft Punk ou Justice par exemple).
par Benoit Basirico
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