Propos recueillis par Benoit Basirico
- Publié le 19-05-2019Vous avez commencé avec Björk en 2003...
Olivier Alary : Le premier disque que j'ai fait était pour Aphex Twin sur Réflexe, et Björk a écouté beaucoup ce disque, c'est comme ça qu'elle a connu mon travail. Par la suite, on s'est rencontré par un ami commun et elle m'a d'abord demandé de travailler avec elle sur des Remix. Ensuite, j'ai écrit une composition que je lui ai envoyée en lui disant que j'avais sa voix en tête pour le morceau. Puis elle l'a utilisé pour son album "Medulla". Je composais à l'époque dans un format de chanson. Et c'était le summum de ce qu'on peut faire en musique électronique de travailler avec elle.
Vous vous sentiez plus libre que dans le cinéma par la suite ?
O.A : C'est totalement différent. C'est une histoire de formats. Celui de la chanson ou d'un morceau pop a certaines contraintes de la même manière qu'une musique de film a des contraintes données par l'image ou par le montage. Ce sont des contraintes totalement différentes mais les deux permettent une expression dans un cadre déterminé.
Quel était votre rapport au cinéma avant de vous y confronter ?
O.A : Tout petit j'ai toujours été fasciné par le cinéma, et par le son. Je viens plus de l'art sonore, mes premières expériences étaient des choses sur la matérialité du son, mais progressivement la musique de film m'a beaucoup aidé à travailler sur la musicalité, plus que le son. Je viens vraiment de la musique électro-acoustique, du travail sur la matière, et la musique de film m'a vraiment permis de faire émerger la musicalité de ces éléments.
Comment expliquez-vous que vos débuts pour l'image ce soient faits pour des documentaires (de 2007 à 2009) ?
O.A : J'ai dû faire à peu près une trentaine de documentaires jusqu'à aujourd'hui. Disons que c'est une histoire d'opportunités, parce que ne venant pas du milieu, j'ai rencontré un réalisateur (Yung Chang) qui travaillait sur son premier film, "Up the Yangtze" (2007), un documentaire qui a eu beaucoup de succès, donc à la suite de ce documentaire il y a eu beaucoup de demandes.
Sur ces documentaires, vous avez enchainé les sujets chinois, africain (Nollywood babylone), et américain (Coca Cola Case)... est-ce que musicalement vous convoquez les différents pays traversés ?
O.A : "Up the Yangtze" parlait de la globalisation d'un point de vue chinois, comment la globalisation peut avoir un impact sur une communauté locale, et donc je voulais vraiment faire quelque chose qui soit à la croisée des chemins, c'est à dire utiliser une orchestration occidentale mélangée avec des éléments typiquement chinois mais demander à ces éléments chinois de jouer sur des gammes occidentales. Il y avait aussi du piano préparé qui donne la sensation d'être un instrument oriental. Plutôt que de jouer sur des choses qui sont vraiment localisées, je jouais sur le diffus. Les réalisateurs ont aimé sentir qu'on est dans un espace hybride. Tout est suffisamment subtil pour ne pas rester dans le cliché ethnographique.
En 2010, vous signez la musique de votre première fiction pour Maxime Giroux, JO POUR JONATHAN... avant de le retrouver sur FÉLIX ET LOLA en 2014 et LA GRANDE NOIRCEUR en 2018... un tandem régulier se constitue. Quel regard avez-vous sur cette collaboration ?
O.A : Notre relation évolue avec le temps. Au début de notre relation il était très attaché à la musique temporaire qu'on utilise parfois pour faire les montages. Et je sens que de plus en plus il s'en détache et donne plus de liberté. Pour le dernier film LA GRANDE NOIRCEUR il m'a presque laissé Carte Blanche. Il y avait un premier montage avec beaucoup de musique électronique mais j'ai voulu utiliser uniquement des instruments acoustiques en les exploitant avec des techniques étendues, joués de manière sonore.
Une autre collaboration est celle avec Guy Édoin depuis VILLE-MARIE (2015) et que vous avez retrouvé avec MALEK en 2019, est ce que c'est un autre type de collaboration ?
O.A : Oui, c'est totalement différent, c'est très fluide, il aime être surpris. Chaque réalisateur a ses particularités... mais dans tous les cas il faut savoir accepter des concessions, j'apprends progressivement à me détacher. C'est une des clés très importante du métier, c'est un très bon exercice avec l'ego. Le cinéma peut aussi offrir un cadre qui permet de faciliter la création.
Un mot sur FIRST MATCH de Olivia Newman qui est une production Netflix ?
O.A : Ce qui a changé, c'était au niveau contractuel. Ils m'ont demandé toutes les esquisses sur papier, les demo à chaque étape de la création, j'ai dû envoyer tout ça et je ne sais pas ce qu'ils vont faire avec, mais je pense que c'est une manière de se protéger au niveau des droits éditoriaux. Mais en tout cas, artistiquement ça n'a rien changé. J'ai eu une relation excellente avec Olivia, mais à distance avec Skype et Facetime, on s'est parlé longuement grâce à ces technologies, à chaque étape de la création. Il y a des moments où on parlait quasiment une heure tous les jours. C'est un drame social et la musique représente la voie interne du personnage.
Votre actualité c'est LA FEMME DE MON FRÈRE à Un Certain Regard. C'est votre première présence à Cannes pour ce premier long métrage de Monia Chokri, la québécoise que l'on avait vue chez Xavier Dolan. C'est aussi votre première comédie ?
O.A : Je n'ai pas du tout pensé à ça lorsque je le faisais. Cela s'est fait de manière inconsciente, c'était un processus extrêmement fluide pour ce film. Je me suis amusé à prendre un extrait d'une partita de Bach, qui était en mineur et je l'ai transposée en majeur. Il y avait quelque chose de grotesque et de naïf qui est apparue, ça m'a amusé. J'ai imaginé ensuite l'évolution de ce fragment. C'est la première fois où je composais quelque chose avec le sourire aux lèvres.
Quelle a été la collaboration avec Monia Chokri ?
O.A : Elle savait vraiment ce qu'elle ne voulait pas. Lorsqu'on s'est rencontré il y a un an et demi, elle m'a montré les rushs... et il y a eu cette envie de travailler avec deux instruments distincts pour représenter les deux personnages, c'était la harpe et la flûte à bec. Et en fait, il s'est avéré qu'à la fin Monia n'a pas du tout aimé la relation harpe et flûte à bec. On est donc allé chercher quelque chose d'autre, de plus unifiée, j'ai alors proposé deux flûtes traversières, pour une sorte de symbiose au niveau des timbres, pour représenter la fusion entre le frère et sa soeur. La mélodie principale représente Sophia tandis que l'accompagnement alambiqué représente son frère.
Elle a utilisé beaucoup de musiques pré existantes, soit du classique (Bach, Beethoven, etc) ou de la pop (Petula Clark). Vous êtes arrivé sur le projet avec ces musiques préexistantes déjà présentes ?
O.A : Elles étaient déjà là. Une fois de plus j'ai représenté la voix intérieure du personnage. La musique originale crée des moments de sincérité où le personnage est vulnérable et on a besoin représenter ça à l'écran. Pour moi le rôle des musiques est extrêmement défini. Que le cadre soit clair ça permet vraiment de trouver la justesse de ce qui correspond à ce film.
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