Propos recueillis par Benoit Basirico
- Publié le 20-05-2019
Quelle est votre conception du travail de musique de film ?
Rob : J'aime l'idée que je travaille sur un fantasme de ce que va être le film, je le rêve tel que je voudrais le voir et c'est cette musique là que je compose.
Avez-vous une influence dans la musique de film ?
Rob : Ennio Morricone est évidemment un maître qui m'accompagne depuis l'enfance. C'est une des premières musiques au cinéma qu'on entend enfants sans se rendre compte de l'importance qu'elle peut avoir dans nos coeurs. "Mission" est sa musique qui m'a traumatisé quand j'étais enfant, et le thème de hautbois faussement interprété par Jeremy Irons quand il est seul dans la forêt est un thème qui m'accompagne encore aujourd'hui, que je cite malgré moi très souvent.
Quelle est votre approche sur la musique électronique ?
Rob : J'aime l'idée que l'électronique est un instrument comme les autres, comme l' orchestre. J'aime les utiliser dans une approche assez romantique, assez sentimentale et mélodique. J'aime l'idée que tous ces instruments sont des vecteurs de mes émotions, presque sans filtre. On pourrait m'imaginer en train de composer les yeux fermés et les cheveux dans le vent en pensant aux images du film. Ca me suffit pour me laisser transporter, que ce soit un synthé ou une partition ça revient presque même. Et cette utilisation des synthés amène une originalité. Un thème joué au synthétiseur va pouvoir susciter une émotion très originale et très profonde. Ça me ramène à mes coups de coeur de musiques de dessins animés quand j'étais enfant, à Shuki Levy (Les Mystérieuses cités d'or), et aussi aux bandes originales de Moroder qui a aussi une utilisation extrêmement sentimentale des synthés, pas que disco.
Et on retrouve cette couleur électronique dans PAPICHA, film tourné à Alger dans les années 90...
Rob : Les personnages du film sont en conflit permanent avec leur cadre de vie, avec un côté rétrograde de la société. Donc l'idée était de faire ressentir à la fois leurs tourments intérieurs et en même temps le décalage qui pouvait y avoir entre la soif de modernité de ces héroïnes et le cadre rigide à l'ancienne dans lequel elles évoluent. C'est l'idée avec les synthétiseurs de dire qu'un objet moderne va se faire tourmenter dans un cadre rétrograde.
Votre musique incarne le monde intérieur de Nedjma, étudiante de 18 ans à Alger, son rêve et son utopie...
Rob : Absolument... et ses grandes frustrations, sa colère, et en même temps sa soif de liberté et son énergie.
Comment s'est produite la rencontre avec Mounia Meddour dont c'est le premier film ?
Rob : Elle était déjà en cours de montage quand elle a ressenti le besoin d'avoir une musique pour soutenir ses personnages. Elle s'est tournée vers moi parce que justement elle avait besoin de modernité et d'émotion. C'est souvent assez compliqué de faire les deux. On aurait tendance à se tourner vers une partition orchestrale quand on est en recherche de sentiments. Or ce que j'essaie de dire, c'est soyons modernes en utilisant les synthétiseurs et l'électronique comme si c'était un instrument classique.
C'est un portrait de femme, est-ce que cette féminité a inspiré votre partition ?
Rob : Je pense être un artiste qui assume absolument sa part féminine, en témoigne la beauté de ma chevelure (je plaisante bien sûr). Je n'ai aucun problème à m'immiscer dans les sentiments d'un personnage que ce soit un personnage masculin ou féminin. Je pense que les clichés de dire que parce que c'est une héroïne on va aller vers plus de féminité et de douceur ce n'est pas nécessairement vrai. Ce qui dirige les personnages avant tout, ce ne sont pas leur genre, mais bien leurs intentions et leur vécu. Je ne me suis donc pas spécialement dit que c'était un film de femmes nécessitant une musique de femmes. D'autant que le système algérien fait d'elle une guerrière, capable d'affronter, de tenir tête et de créer une révolution à son niveau.
Il y a une scène de défilé de mode dans le film...
Rob : L'idée était de faire basculer la musique intra-diégétique du défilé vers ma musique. On est dans la scène, on comprend l'énergie folle de ces filles qui parviennent à faire ce qu'elles veulent, et puis petit à petit on se rend compte que tout ça laisse place à une émotion intérieure qui déborde, la musique du défilé devient donc la musique originale.
Vous n'avez pas du tout convoqué de sonorités du Maghreb...
Rob : C'est souvent un écueil qu'on cherche à éviter. Ce n'est pas la première fois que je travaille sur un film dans le monde arabe. Une des problématiques va être de montrer l'universalité des problématiques en sortant d'un contexte culturel et pour cela je n'ai pas convoqué des instruments spécifiques au folklore algérien. La question ne s'est donc pas posée de jouer du Oud ou du Derbuka, mais au contraire de rester avec nos synthétiseurs.
Le silence est également présent, notamment lors d'une scène avec l'héroïne à terre face caméra...
Rob : C'est quasiment une minute de silence à ce moment là, ce qui est assez rare au cinéma aujourd'hui. On a essayé avec la musique, puis sans. J'approuve absolument de dire que la vraie force c'est le raz-de-marée intérieur qui vient chez le personnage à ce moment là, un silence absolu, on n'aurait pas trouvé de sons aussi forts que le silence à ce moment là. C'est ce qu'on dit aussi quand on n'a rien de mieux à dire que de se taire.
Propos recueillis par Benoit Basirico
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