Cinezik : Que pensez-vous de la reconnaissance des compositeurs de musique de film ?
Jean-Noël Tronc : J'ai pris les rênes de la Sacem en 2012. J'y suis arrivé à un moment qui n'était pas simple pour le secteur culturel français avec, non pas un désintérêt, mais une certaine prise de distance de beaucoup de décideurs publics à l'égard de la question du financement de la culture. Et il se trouve que dans la patrie mondiale du cinéma qu'est la France, le compositeur de musique de film a longtemps eu une place un peu secondaire dans la manière dont on montait des projets et dans la manière dont on les finançait. Avec les organisations de compositrices, compositeurs et éditeurs de musique, on s'est dit que Cannes était évidemment le lieu où on pourrait essayer de contribuer à faire changer les choses.
Quelles sont donc les initiatives de la SACEM à Cannes ?
J.T : On a été crescendo. Au début, il y a 4-5 ans, nous avons commencé à monter quelques opérations en partenariat, par exemple pour la soirée de la SRF, une des grandes organisations de réalisateurs et de producteurs françaises (ndlr : société qui gère la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs), nous avions monté une soirée ensemble. Rien ne se construira de grand si ça ne se fait pas main dans la main entre les acteurs du cinéma et les acteurs de la musique, entre les compositrices - compositeurs et les réalisatrices - réalisateurs. C'est également le cas avec Unifrance, et avec d'autres, aussi avec l'Institut Français encore ce samedi (Ndlr : le samedi 18 mai, nous l'avons annoncé ici), une masterclass où le compositeur Marc Marder décrit son parcours créatif. Et il y a un an nous avons franchi une étape en lançant une opération annuelle présente dans le programme officiel du festival, Life In Soundtrack, inaugurée l'année dernière pour la projection d'un documentaire sur la carrière d'Alexandre Desplat et cette année nous le faisons avec une autre immense personnalité du cinéma, un réalisateur qui est Bertrand Tavernier (Ndlr : nous l'avons annoncé ici).
A travers ce Life In Soundtrack, on peut dire aujourd'hui que la Sacem a créé un prix à Cannes avec cet hommage annuel, mais pourquoi avoir créé cela et pas un prix pour un compositeur de la sélection ?
J.T : Ce n'est pas à nous de créer ce prix, mais à la sélection. Ça ne se fera que si l'équipe même du Festival de Cannes aboutit à la conclusion qu'au fond c'est une évidence, au même titre qu'il y a un Oscar de la Musique de Film, au même titre qu'en France il y a un César. La sélection officielle de ce point de vue est vraiment l'enjeu central. Même si bien évidemment la possibilité avec la Semaine de la Critique ou avec la Quinzaine des Réalisateurs de mettre également mieux en valeur la musique de film, nous y réfléchissons, comme une autre sélection, l'ACID, avec laquelle nous avons aussi mené des opérations communes. Il se passe énormément de choses à Cannes dont l'essentiel reste confidentiel. Or si le premier festival du monde, donc sa sélection officielle, à travers une Palme, reconnaissait l'importance de la musique et donc des compositrices et des compositeurs, le message envoyé, d'abord en France, mais aussi au plan mondial, serait certainement très important et très positif. C'est pourquoi je pense qu'il faut se concentrer sur cette question d'une manière surtout pas conflictuelle ou revendicatrice, ce n'est pas du tout l'esprit dans lequel on en parle à Thierry Frémaux ou Pierre Lescure. Je pense en plus que nous avons une chance avec eux car nous avons à la tête du festival deux personnalités qui aiment profondément la musique, et qui reconnaissent l'importance de la composition pour faire en sorte qu'un film soit réussi. Donc peut-être verra-t-on, je l'espère vite, en tout cas un jour, une palme récompenser la musique, et derrière elle ceux qui la font.
Que pensez-vous des films qui contiennent essentiellement des musiques préexistantes ?
J.T : Ça fait partie du débat. Est-ce qu'on récompense un film pour la qualité de sa musique (originale) ou pour la manière et le rôle que joue la musique. Pour prendre un exemple bien connu, celui de Kubrick, on peut difficilement imaginer avoir le même choc artistique en voyant "Barry Lyndon" ou "2001 l'Odyssée de l'espace" sans leur musique. La musique joue un rôle totalement fondamental dans ces deux chefs-d'oeuvre, même si comme on le sait,
Kubrick fait partie de ces grands réalisateurs qui, même parfois en faisant travailler les compositeurs, finissait par prendre une musique qui avait déjà été composée. Pour citer le film de Terrence Malick ("Une vie cachée", en compétition), je l'ai vu hier soir, j'ai regardé avec intérêt qui avait fait la musique. Et on y voyait une illustration de l'importance de ce que nous envisageons avec Sibyle Veil de Radio France, et le CNC, les enregistrements ont été faits à Londres et en partie en Pologne. Si ces enregistrements étaient faits en France, ça permettrait en plus de s'appuyer sur un outil formidable qu'est la qualité nos orchestres, de nos musiciens, de nos équipements. Les nouveaux studios de Radio France sont formidables. Alexandre Desplat a utilisé l'Orchestre de Radio France pour diriger sa musique pour "Valerian" de Luc Besson, pour un film dont la musique probablement aurait plutôt été enregistrée à Londres.
Comment vous êtes-vous personnellement intéressé au sujet de la musique de film ?
J.T : Ayant eu une éducation cinématographique extrêmement précoce, grâce à des parents hyper cinéphiles, ça n'est en fait qu'arrivé à la Sacem que j'ai pleinement pris conscience de l'importance absolument centrale de la musique, en rencontrant les compositrices et compositeurs de film, notamment un compositeur sans qui je ne serais surement pas entré à la Sacem, le compositeur et chef d'orchestre Laurent Petitgirard, qui était président d'administration de la SACEM au moment où le conseil d'administration m'a choisi pour diriger la société. Laurent Petitgirard grand compositeur de musique de film fait partie de ces hommes et de ces femmes qui m'ont fait prendre conscience que dans mes coups de foudre pour des films la musique joue un rôle central. Je pense être à l'image de beaucoup de cinéphiles français qui adorent le cinéma, mais qui par notre environnement, par notre culture française, peut-être plus littéraire, accordent paradoxalement moins d'importance au rôle central de la musique dans un film. Donc ce qui était vrai pour moi est vrai pour beaucoup de gens, qui adorent le cinéma, ses réalisateurs et réalisatrices, et ne se rendent pas compte à quel point ils adorent aussi les compositrices et les compositeurs.
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