Cinezik : Est-ce le genre du thriller qui vous a inspiré musicalement sur PERSONA NON GRATA ?
Nathaniel Méchaly : C'est un huis clos avec tous les personnages, et un individu extérieur, Moïse, joué par Roschdy Zem, va faire en sorte que ce qu'ils ont mis en branle ne va pas se dérouler exactement comme ils avaient prévu. C'est cette relation entre les personnages qui m'a beaucoup inspiré, cette intrigue presque ubuesque. Le personnage de Roschdy Zem est très original dans son approche et dans son interprétation par rapport à ce qui se tramait entre les deux autres personnages. C'est ce qui m'a interpellé et m'a donné envie de donner un caractère singulier à Moïse pour essayer d'illustrer le burlesque de cette situation inattendue qui transporte le déroulé de l'histoire.
Quel a été le processus pour parvenir à ce résultat ?
N.M : La musique a pris forme au fur et à mesure du travail qu'on a entrepris avec Roschdy. Elle réussissait à créer de la profondeur et d'entreprendre un décalage sensoriel. On a déplacé le personnage de Moïse, on a poussé le jeu de Roschdy dans ses derniers retranchements grâce à la musique.
Le caractère singulier du personnage de Moïse passe par le banjo, ce qui amène de la comédie au thriller...
N.M : Roschdy Zem dans le film est un gitan, donc il y avait cette influence à travers son attitude, dans son côté roquet. Il va aussi tomber amoureux d'une fille qui va remettre en question à chaque instant le jeu d'échec qui s'organise, c'est ce qui était intéressant. L'intérêt dans la musique est qu'elle apporte quelque chose et qu'elle donne du sens. Il y a une partie du Score qui est classique, dans le genre du thriller, avec des textures qui créent le cadre, et de l'autre côté il y a le contrepoint avec ce banjo et cette guitare qui vont apporter un élément narratif un peu suspect car différent.
Est-ce que le réalisateur a facilement accepté cette proposition d'un instrument soliste, alors que souvent dans le thriller la musique se contente d'être dans sa fonction climatique...
N.M : Oui parce que dans son approche il reste un acteur, un interprète, même s'il est également réalisateur. Quoi qu'il arrive il regarde son film de l'intérieur. Il donne des indications comme si j'étais un acteur dans son propre film. Il continue la recherche artistique tout au long du travail de l'autre côté de la caméra, même en post-production quand on attaque le travail de la musique. L'intention était donc bien d'avoir une approche de thriller avec ses textures (même si parfois il y a des thématiques qui peuvent s'enclencher), et de l'autre côté on libère l'espace du thriller pour donner de l'originalité à travers le personnage de Roschdy qui est central.
Est-ce que le réalisateur était interventionniste sur la musique ?
N.M : Il l'était par rapport au placement de la musique, sur là où la musique devait intervenir. Et c'est aussi mon travail de savoir jauger la personnalité du réalisateur pour savoir jusqu'où je peux aller, jusqu'où je peux lui proposer des choses singulières. Est-ce qu'il a peur de la musique, qu'est-ce qu'il attend, est-ce qu'il est prêt à l'intégrer de manière profonde... ? À partir de là on travaille, on se rencontre, on établit une collaboration, il me donne les ressources nécessaires pour que je puisse lui proposer les choses les plus pertinentes pour son film.
Quand vous avez découvert les images, est-ce qu'il y avait des musiques déjà présentes ?
N.M : Oui il y avait de la musique temporaire, des musiques qui étaient pour moi impossibles, des boucles électroniques très ambiantes. Le climat était posé, mais ce n'était pas du tout juste, ça renvoyait à des thrillers des années 90, il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas. Je me suis donc attelé à lui proposer d'autres choses qui me semblaient intéressantes dont l'idée du paradoxe entre le quatuor classique avec ses textures et le banjo pour avoir ces deux oppositions qui pouvaient être un phénomène intéressant.
Vous avez travaillé sur des films de genre très produits chez Europa corp (Taken...), et de l'autre côté des films d'auteur pour Jacques Bral, Raphaël Nadjari ou Agnès Merlet pour lesquels la musique était plus dosée. Est-ce que l'on peut dire qu'avec PERSONA NON GRATA vous avez trouvé le juste milieu, le genre est là, mais il y a aussi l'exigence et la mesure...
N.M : J'aime le genre. Même dans un thriller classique, il y a de l'espace pour de l'imagination, même dans les grosses productions américaines il y a l'exigence musicale (Alan Silvestri sur les Avengers a employé des quatuors à cordes). Après, c'est le film qui guide la musique. Je n'impose rien. Ici, il ne fallait pas que la musique appuie trop les personnalités, il fallait laisser les protagonistes se dépatouiller entre eux. La musique apporte quelque chose d'autre.
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