par Thibault Vicq
- Publié le 17-10-2019Après I SHOT ANDY WARHOL (1996), AMERICAN PSYCHO marque la seconde collaboration de la réalisatrice Mary Harron et du compositeur John Cale, celui-ci signant son avant-dernière bande originale en date. Le film bénéficie d'une musique en miniatures sur-mesure épousant les fragments de la vie new-yorkaise branchée de Patrick Bateman, joué par Christian Bale. Le silence règne durant les dialogues triviaux, mais le score se fait entendre lors des moments et rencontres décisifs. Une impression de flou se dégage pour illustrer les limites poreuses entre réalité et imagination. L'instinct traverse la partition, tout comme quelque chose de plus brouillon : le faussement propret peut devenir à tout moment un chaos anxiogène par des ostinatos de rythmes ou de notes.
Les montagnes russes de sauts d'humeur fascinent dans ce portrait musical principalement monopolisé par un orchestre à cordes ou un piano solo. Depuis le générique - mélangeant une valse pastiche en pizzicati et un esprit champêtre aux accents folkloriques, avant de passer à une danse rapide et enlevée d'inspiration baroque - jusqu'aux nappes atonales aux longues tenues, en passant par des unissons décalés ou des griffures nerveuses et rapides, l'image et le son se répondent dans des univers parallèles sans s'associer. L'ambivalence de Patrick Bateman s'en trouve dépeinte dans cette faculté à vivre sur une existence éclatée entre son égocentrisme, sa bonhomie de façade et son mépris des autres. Le basculement de l'univers policé (un piano sur une partition minimaliste à base d'accords parfaits en arpèges) vers la désagrégation des tabous (le changement de visage en psychopathe meurtrier) appelle sans crier gare.
John Cale compose sur une routine mondaine qui ne cherche qu'à être déstructurée. Les ritournelles, les notes infinies, les chromatismes rythmés et les bourdonnements gardent une ligne directrice claire, avant d'aller vers une métamorphose hybride. Des visions éthérées au saxophone ou des revendications aux trombones et tubas viennent troubler l'équilibre mental de Patrick Bateman, bourdonnant par la suite en ruées, crescendos et oscillations. L'adrénaline du danger ou de l'acte d'assassinat contrebalance la froideur psychologique. L'enfermement dans un monde dont on ne sait déceler la vrai du faux est traité dans la musique comme une pensée en train de se constituer, à la manière du journal intime à la première personne que le film adopte par sa forme.
par Thibault Vicq
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