"Je suis un touche à tout, un chineur de la vie, des choses qui sont dans les tiroirs de mon esprit, de mon cerveau et qui s'ouvrent et se ferment au fil des instants." (lire notre entretien de 2008).
Il a su s'entourer à la fois de Jean-Michel Jarre (auteur des "mots bleus"), et de Alan Vega, comme lui crooner inclassable, à la fois punk et descendant d'Elvis. Christophe est aussi éclectique en ce qui concerne ses terrains de jeu. Plus que la chanson, il aimait le cinéma. Sa cinéphilie l'amenait à louer le talent de Max Ophuls, Tod Browning, David Lynch, Sergio Leone (qu'il affirme avoir rencontré), Fellini, ou à préférer Laurel et Hardy à Chaplin. Il a pu partager cet amour des films lors du Festival de cinéma de Brive en 2009 pour une carte blanche. Nous l'avions rencontré à cette occasion. Il citait parmi ses films préférés "Fenêtre sur cour", "Le Voyeur" et "Body Double", ce qui témoigne de sa préférence à regarder plutôt qu'à être regardé. Collectionneur de pellicules de films depuis son jeune âge, il était un grand curieux, avec toujours une part d'enfance en lui, et avait le regard qui frétillait lorsqu'on lui recommandait une oeuvre.
Ses deux passions, la musique et le cinéma, se rejoignaient parfois, malheureusement trop rarement. Sa première incursion dans le domaine cinématographique a eu lieu seulement cinq ans après son premier album, 7 ans avant la sortie des "mots bleus", pour un film de Georges Lautner, "La Route de Salina" en 1967 (avec Rita Hayworth), sous la forme d'un pastiche morriconnien, avec du lyrisme et des accents de western pour les grands espaces du Nouveau Mexique. Il a ainsi pu rendre hommage à Leone. D'ailleurs, Quentin Tarantino, autre amoureux des Spaghetti, reprendra la chanson tirée du film "Sunny Road to Salina" dans son "Kill Bill: Volume II" (2004). Mais la musique de film a été une succession de rendez-vous manqués. Il refusa d'ailleurs juste après "La maison sous les arbres" de René Clément, partition finalement signée Gilbert Bécaud. "Je ne suis pas dans le format du show-business. Je ne suis que dans le miracle."*
Certes des cinéastes ont puisé dans son répertoire, essentiellement des titres "Aline" et "Les Mots bleus", lequel a été repris par Alain Corneau dans son film éponyme de 2004. Dans "Quand j'étais chanteur" de Xavier Giannoli, il interprète "Les Paradis perdus", seule présence cinématographique de ce titre, puis il a fallu attendre 2009 (soit 42 ans après "Salina") pour le voir reprendre le pupitre d'un film, auprès de Emmanuelle Bercot sur un film pour Arte, "Tirez sur le caviste" avec Niels Arestrup. Puis la fréquence de ses B.O s'accélère légèrement, s'enchainent "Arrête ou je continue" de Sophie Fillières (2014) avec Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric et "Par accident" de Camille Fontaine (2015), jusqu'à atteindre la quintessence en 2019 avec "Jeanne" (Un Certain Regard). Pour Bruno Dumont, il signe son chef d'oeuvre, inspiré par les textes sublimes de Charles Peguy. Sa démarche est là encore, comme toujours, intuitive. Il se laisse porter par les images. "La partition instrumentale majestueuse de Christophe (piano, synthé éthéré ou imposant) atteint le sublime par sa pureté, dénuée de fonction narrative et illustrative, elle relate la pensée intime de Jeanne, son mystère et son illumination." (notre article sur cette B.O).
Dans ce film, il fait une apparition à l'image lors de la scène du procès, dans la peau d'un mystérieux personnage, vêtu d'une robe de bure et d'une capuche pointue. Après n'avoir été qu'une voix, il devient un visage lors de ce chant incarné. Lui qui s'identifiait à Marlon Brando et à James Dean, il a manqué sa vocation d'acteur, il a même joué dans un film avec Patrick Dewaere, un petit court en 16mm, qui n'est jamais sorti et dont il a perdu les images. Il apparait malgré tout dans les court-métrages "Le Quepa sur la vilni" de Yann le Quellec avec Bernard Menez, et "Juke-box" d'Ilan Klipper dans le rôle d'un musicien reclus. L'actrice Sabrina Seyvecou qui le coatchait pour le jeu sur ce film nous racontait : "Christophe tenait à ce que ce soit de l'improvisation. Même s'il a travaillé le morceau en amont, au moment du tournage il improvise. Et comme tout artiste, il a besoin de se sentir aimé. Il a besoin de bienveillance autour de lui, sinon il peut se crisper." (lire cet entretien).
Il nous disait pourtant ne pas être un véritable comédien quand il joue : "Je ne suis pas du tout comédien, il faut plutôt trouver son naturel quand on est un mec comme moi, d'être soi-même le plus possible. Il y a bien sûr toujours des postures, comme la cigarette, qui a toujours été une esthétique de l'ordre de la pause. "
Il demeurait un perpétuel insatisfait, toujours à la quête de nouveaux sons. Comme un éternel enfant, il chinait de nouveaux jouets et de nouveaux territoires à explorer. Il expérimentait le son comme une matière vivante, et vénérait ses "machines". Il guettait la moindre sortie d'un nouveau logiciel. Avant-gardiste, il dépensait ses royalties pour enrichir son home studio. "Je suis avant tout un instinctif et un chercheur. Je ne suis pas un professionnel. Je tente des expériences."*
Sa disparition est d'autant plus triste qu'elle laisse le sentiment d'une oeuvre inachevée. Il préparait d'ailleurs un nouvel album ("Mon prochain album sera assez radical, je vais tenter encore autre chose"*). Il devait aussi retrouver Bruno Dumont sur "Par un demi-clair matin". Le cinéaste lui avait confié le scénario en août dernier, il devait partir avec dans son bateau près des côtes de l'Île de Ré. Aujourd'hui, 8 mois plus tard, on ne sait pas si ce travail a pu être finalisé. Peut-être fait-il partie des films en lice pour le Festival de Cannes annulé à cause de la crise sanitaire, liée au virus qui a eu sa peau.
* Ces propos sont issus de l'interview de Benoit Basirico pour "La Septième Obsession", Septembre 2019.
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