par Thibault Vicq
- Publié le 10-06-2020La musique se réfère à l’innocence de la jeune Jesse, fraîchement arrivée à Los Angeles et découvrant avec des yeux presque enfantins les coulisses peu reluisants de la course à la beauté. La partition s’émancipe au fur et à mesure du récit en s’ancrant dans le rayonnement de sonorités mutantes, en réponse à la froideur des personnages. Les couleurs cristallines ainsi créées évoquent l’atmosphère d’un conte et la fragilité d’un miroir déformant.
Dans chaque scène, la musique surgit à un point de basculement de scénario ou de mise en scène. Elle apporte une étrangeté aux situations, tout en nourrissant Jesse de maturité croissante. Les timbres aquatiques dépeignent le monde de la mode à la façon d’abysses insondables. Les hallucinations ne sont jamais loin, d’où ces effets saisissants de réverbération qui expriment la hype ou la gêne. Dans un film sur le paraître à l’esthétique léchée, la rondeur de ce qui est entendu cherche à lisser des rapports humains violents. L’apparente superficialité de la BO n’est qu’un leurre pour cacher le vernis qui pourrit et révèle une solitude sans fard. Les moments d’attente, tels que les séances photo, se matérialisent par le biais de nappes aplanies. Au contraire, les défilés se parent quant à eux de saturation digne d’un instinct sauvage.
Un motif en cliquetis revient régulièrement comme un graal inateignable. En réalité, les sonorités se comportent comme la lumière à travers un prisme. Entrant d’un côté en un rayon simple, elle se disperse à la sortie dans plusieurs directions. Les tintements, les effets désaccordés et les touches rock, au même titre que les étendues émises à partir de rythmes secs, sont ainsi les réactions « physiques » anxiogènes produites par le long-métrage. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Jesse est caractérisée comme « un diamant dans une mer de verre ». Les bris de glace ou les mers de larmes constituent des surfaces réfléchissantes qui ramènent à une image perçue. Le miroir tendu vers soi l’est aussi vers les autres, témoins de la comparaison et fantasmant le mythe de la jeunesse éternelle au prix de tous les sacrifices.
par Thibault Vicq
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)