Pianiste de bar à la mode dans les années 50, il gagne les faveurs du public avec la chanson joyeusement pop « Poupée de cire, poupée de son » chantée par France Gall. Mélodiste de talent, rejetant les a priori culturels, il a constamment su attraper les sons nouveaux pour se les approprier. Jazz, java, mambo, afro, rock, psychédélique, glam, funk, raggae… Ce qui lui vaut parfois quelques ennuis auprès des droits d’auteurs ! Son premier 33T Gainsbourg Percussion sort en 1963 . Le titre « New York USA » s’inspire délibérément d’Akiwowo de Babatunde Olatunji, un percussioniste virtuose qui publia un disque dédié au rythme : Drums of Passion. La musique de la série télé Vidocq qu’il compose en 1966 s’inspire de la pulsation rythmique de « Talking Blues » de Bob Dylan et Charlotte Foreverest basé sur un « Andanto » d’Aram Khatchatourian… Gainsbourg le reconnaît lui même : "Charlotte jouait ça au piano, ça m’a plu, j’ai piqué la mélodie. " Son superbe album concept L’histoire de Melody Nelson (1971), co-réalisé avec Jean-Claude Vannier, l’auteur de l’Enfant assassin des Mouches peut s’écouter comme un film sans image. Une véritable musique de film chantée par Serge Gainsbourg et Jane Birkin qui raconte la descente aux enfers d’un homme amoureux d’une lolita… L’aventureux réalisateur Jean-Christophe Averty en fera par ailleurs une transposition pour la télévision dans lequel il incrustera des collages et des peintures du peintre Belge surréaliste Paul Delvaux. Toute une époque !
En 1959, Gainsbourg aborde le cinéma en jouant avec Brigitte Bardot dans le film de Michel Boisrond Voulez-vous danser avec moi ? mais aucune scène ne les réunit à l’écran. On l’aperçoit surtout dans des péplums de série Z et dans quelques nanars irrécupérables où il joue des rôles assez loufoques... En 1972, il est gangster italien avec Jane Birkin dans Trop jolies pour être honnêtes de Richard Balducci dont il compose également la musique. Dans Les Diablesses (1974) d’Anthony M. Dawson, un film parsemé d’invraisemblances, il est inspecteur de police, coiffé d’un chapeau à la Sherlock holmes et enquête sur une série de meurtre mystérieux dans un manoir hanté. Comme il le dit lui même sans équivoque dans une interview de « Paroles et Musiques » en décembre 1983 : "Comédien ? Je n’ai fait que des merdes, parce que je suis tombé sur des connards, mais au début ça m’amusait. Le cinéma m’a permis de connaître des contrées extraordinaires. Je n’étais pas très cher, je partais pour le voyage et pour me changer des disques"… On retiendra de lui quelques apparitions plus singulières, comme Paris n’existe pas (1969) de Robert Benayoum, un film sur un peintre neurasthénique et halluciné où il joue le rôle d’un esthète critique d’art et Le lever de rideau (1973), un téléfilm de Jean-Pierre Marchand, l’histoire de Diane, une enfant de sept ans qui, découvrant le monde des adultes n’y trouve qu’un cortège de déceptions dont elle n’est distraite que par la rencontre du Prince, un magicien joué par Serge.
Il est utile de signaler la relation fidèle et inventive qu’il entretien avec ses arrangeurs… Avec Alain Gorraguer En 1959, il devient musicien à succès avec la chanson agréablement légère du film L’eau à la bouche, de Jacques Doniol-Valcroze orchestré par Alain Gorraguer, l’arrangeur de Boris Vian. Influencé par le jazz West Coast et les rythmes latinos, il compose Les loups dans la Bergerie d'Hervé Bromberger (1960) et Strip-Tease de Jacques Poitrenaud (1963), chantée langoureusement par Juliette Gréco. Le morceau était à l’origine prévu pour la chanteuse Nico, qui enregistra le titre mais fut refusé à cause de son accent germanique trop prononcée.
Avec Michel Colombier En 1963, il rencontre Michel Colombier, l’arrangeur de Charles Aznavour lors des séances de la B.O du film Comment trouvez-vous ma sœur ?. Colombier s’occupe de la couleur orchestrale et ajouter une touche plus moderne en fusionnant le swing, les yéyés, le jazz et le classique. Gainsbourg compose en 1966 la musique de Carré de dames pour un as, un James Bond à la française de Jacques Poitrenaud avec Roger Hanin et l’Espion de Raoul Levy, une co-production franco-allemande avec Montmogery Clift . Toujours en 1966, il écrit une jolie mélodie sur un tempo de slow amoureux pour un petit film complètement oublié Les Cœurs Verts, une sorte de documentaire-fiction sur une bande de délinquants. Le thème musical joué à l’orgue électrique sert de support à une scène glauque, lors d’une fête. En 1968, il y rajoutera des paroles, créant ainsi le tube « Je t’aime moi non plus ». Suivra ensuite le thème très lyrique et plaisant pour Le jardinier d’Argenteuil de Jean-Paul Le Chanois (1966). L’une des premières musiques de film de Serge Gainsbourg réellement ambitieuse est Anna de Pierre Koralnik, un téléfilm de 1967 (et en couleur !) joué et chanté par Anna Karina. L’histoire d’un garçon, interprété par Jean-Claude Brialy qui travaille dans une agence de publicité qui voit par hasard la photo d’une fille, Anna Karina et qui n’a plus qu’un seul but : la retrouver. Gainsbourg fusionne les yéyés à la country, les rythmes jerks et le jazz dans des chansons irrésistibles comme « Sous le soleil exactement » interprétée par Anna Karina « Un poison violent », qu’il chante avec Brialy et « De plus en plus, de moins en moins », belle mélodie chantée par le duo Brialy-Karina. Anna Karina interprète aussi « La noyée et Hier ou Demain » pour le film qu’elle réalise en 1973, Vivre Ensemble. L’Horizon (1967), de Jacques Rouffio est surtout connu pour la célèbre chanson « Elisa », du nom de l’actrice jouée par Macha Méril. Elle est interprétée par quatre percussionnistes et quatre pianos (un piano à queue, un droit, un punaise et un désaccordé). Gainsbourg joue et compose la très belle musique de Ce sacré grand-pére (1968) de son vieil ami Jacques Poitrenaud avec Michel Simon dans l’un de ses derniers rôles. Après avoir bu un coup de rouge ils improvisent tous les deux la chanson « dans l’herbe tendre ». Il tourne et compose en 1968, dans Mr Freedom, un film satirique très bédéesque de William Klein. Là on sent qu’il s’est bien amusé. Le solo d’orgue débute sur le thème « ce n’est qu’un au-revoir », arrive ensuite une fanfare chantée par un girlsband puis l’hymne « La Marseillaise » chantée a capella et des sifflements qui évoquent la musique de Raymond Lefèbvre pour les film de Louis De Funès…Le tout dans une joyeuse débauche de rythme et d’ironie… La même année, il chante dans Manon 70, un film de Jean Aurel avec Catherine Deneuve et Sami Frey. Plus singulier, l’instrumental « New Delire » fait la part belle au sitar et au tabla. Il joue son propre rôle dans Le Pacha de Georges Lautner (1968) et chante sur un Breakbeat mythique élaboré par Michel Colombier la chanson-générique « Requiem pour un Con ».
Avec Jean-Claude Vannier Avec Vannier, Gainsbourg s’oriente dans une écriture musicale beaucoup plus rock-psychédélique. En 1969, sur Slogan, réalisé par Pierre Grimblat qui co-écrit le scénario avec le cinéaste américain underground Melvin Van Peebles, le réalisateur lui demande une musique de film romantique, à l’américaine. Ce à quoi Gainsbourg rétorque : "si le film n’est pas romantique, ce n’est pas en collant des mélodies qu’il va le devenir […] La musique d’un film doit : primo être en contrepoint, secundo ne jamais faire pléonasme". A l’arrivée, une orchestration symphonique superbe et un duo éclatant avec Jane Birkin. La même année, il joue avec elle dans Les Chemins de Katmandou d’André Cayatte et signe la musique. Un film au budget important qui s'articule autour du mouvement Hippie et de la drogue en présentant une Inde de rêve… Les jeunes filles se promènent le visage dessiné, un collier de fleurs autour du cou et les éléphants ont des trompes décorées…Le film fut un bide. Avec Birkin, Serge en profite pour tester les spécialités régionales et fumer un joint de hasch. La musique présente un bel arrangement de cuivres de violons et de guitares électriques dans la mouvance du Swinging London. On y entend aussi quelques jnstruments locaux, sitar, tablas et gong.… La Horse de Pierre Grannier Deferre (1969) est musicalement plus accomplis. La mélodie est puissante et l’arrangement hautement sophistiqué. Se mélangent sur un rythme haletant, guitares, banjo, clavecin, violons et basse progressive qu’un Robert Smith a certainement dû apprécier. La même année il interprète une chanson très autobiographique pour le dessin animé Un petit garçon nommé Charlie Brown de Bill Melendez. En 1970, il joue un tueur au service de la mafia qui tombe amoureux de Jane Birkin dans le film de Pierre Koralnik, Cannabis. Plus connu outre Atlantique que chez nous en France ; le disque, dédié à Béla Bartok et Jimi Hendrix (!) est un véritable laboratoire à idées qui mérite amplement le détour. L’instrumentation est superbe, très Pop-Rock psychédélique, tendance Frank Zappa et Ummagumma de Pink Floyd. (cf au morceau Piège, complètement déjanté) Le mélange hétéroclite d’instruments est somptueux. Clavecin, guitare électriques, orgue Hammond, violons… Certains sont difficilement identifiables… La pièce « Avant de mourir » est d’une intensité dramatique magistrale… En 1972, il compose la musique de Sex-shop (1972) de Claude Berri. Une comédie sur la libération des mœurs, l’échangisme et la pornographie. Le réalisateur va notamment utiliser le morceau « Décadanse », une bluette pop sympathique que Serge composa en 1971. Dans la chanson « Sex-Shop », chantée par Gainsbourg les textes sont toujours aussi explicites : Dis, petite salope, raconte-moi, Comment s’était entre ses bras, Etait-ce mieux qu’avec moi, Ouais, petite vicieuse dis-moi tout, Combien de fois, combien de coups, Quand même pas jusqu’au bout ? Une belle partition éclairée par des violons soyeux et des slows mélancoliques… On sent que Gainsbourg se rapproche d’un rythme plus calme et reposé, ce qui le conduira par la suite au reggæ. En 1973, il compose « l’amour en privée » interprétée par Françoise Hardy, une chanson qui a un peu vieillit, pour le film Projection Privée, de François Leterrier.
Avec Jean-Pierre Sabar En 1975, sur le disque de Jane Birkin, « Lolita go home », Il rencontre Jean-Pierre Sabar l’arrangeur de plusieurs chansons de Claude François, Adamo, Françoise Hardy et Hugues Aufray. Avec lui, il compose la musique de Aurais dû faire gaffe, le choc est terrible, de Jean-Henri Meunier (1977), où il chante « Zanzibar », une curiosité raggae… Madame Claude de Just Jaeckin (1977), « Yesterday yes a day » chantée par Birkin, Melancoly Baby de Clarisse Gabus (1979), le très rock Tapage Nocturne de Catherine Breillat (1979), Je vous aime, de Claude Berri (1980), dans lequel il joue et qui contient quelques ritournelles gentiment provocante comme « Dieu est un fumeur de Havane », en duo avec Catherine Deneuve ou « Je vous salue Marie », en version reggæ comme de coutume ! (1980). En 1986, Tenue de soirée de Bertrand Blier sera sa dernier collaboration avec un cinéaste.
Et il y a bien sûr les nanars irrécupérables (mais très second degré). En 1978, sa chanson estivale « Sea Sex and Sun » sera utilisé dans le film de Patrice Leconte, Les Bronzés. Une rengaine facile qu’il juge lui même débile et qu’il reconnaît avoir torché en quelques minutes. Le physique et le Figuré (1981) et son synthé complètement démodé, Goodbye Emmanuelle (1978), chantée en duo avec Birkin sur un rythme reggæ complètement bidon… et le summum du kitsch le fameux "Chevalier Blanc" chanté par Gérard Lanvin à la façon de Luis Mariano (certainement le meilleur moment du film) dans Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine (1978). Une gabegie Moyenâgeuse consternante de vacuité (mais assumée comme telle) signée évidemment Coluche !
Serge Gainsbourg réalisateur Il réalise Je t’aime moi non plus en 1976, un drame "Shakespearien", comme il le dit lui même, dédié à Boris Vian. Interprété par Jane Birkin et l'Américain Joe Dalessandro, Gainsbourg conte une histoire d'amour entre un homme et une jeune femme aux allures de garçon. Musicalement on retiendra surtout le thème de la ballade de « Johnny-Jane » et quelques variations au banjo qui évoquent un peu la musique du film Delivrance. Lors de sa sortie en mars 76, la plupart des critiques éreintent le film, mais quelques journalistes évoquent une comparaison avec le cinéma américain underground et louent la performance de Jane Birkin. Equateur (1983), une adaptation du roman Le coup de lune de Georges Simenon conte l’histoire d’un triangle amoureux, joué par Francis Huster et Barbara Sukowa dans la jungle Gabonnaise des années 50. De Charlotte For Ever (1986), on retiendra surtout la belle chanson-générique qu’il chante en duo avec sa fille. Son dernier film est Stan the Flasher en 1990 dans lequel Claude Berri interprète un maniaque sexuel exhibitionniste. Le générique et ses nappes de synthétiseurs à la "Richard Clayderman" valent le détour. Il réalise aussi quelques clips, celui de Renaud, « Morgane de toi », qu’il filme sur la plage du Touquet en surexposition, « Les yeux noirs » pour Indochine, une mise en scène plus basique… Il compose également en 1984, le générique de l’émission pour enfants « Cabou-Cadin » et une bonne douzaine de spots publicitaires… Parmi les films qu’il aimait prendre pour références, on peut citer : Scarface d’Howard Hawks (1932), King Kong de Merian C. Cooper (1933), L’Atalante de Jean Vigo (1934), Le facteur sonne toujours deux fois de Tay Garnett (1946), Quand la ville dort de John Huston (1950), La nuit du Chasseur de Charles Laughton (1955), Les hommes contre de Francesco Rosi (1970).
A lire :
Serge Gainsbourg de Gilles Verlant. Un ouvrage de référence très complet et riche d’anecdotes.
A Ecouter :
Le cinéma de Serge Gainsbourg - Coffret des musiques de films de 1959 à 1990.
A Visionner :
Le double dvd : De Serge Gainsbourg à Gainsbarre 1958-1991
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)