,dr_zhivago,jarre, - LE DOCTEUR JIVAGO (Maurice Jarre, 1966) LE DOCTEUR JIVAGO (Maurice Jarre, 1966)

,dr_zhivago,jarre, - LE DOCTEUR JIVAGO (Maurice Jarre, 1966)


JULIEN MAZAUDIER

- Publié le 07-05-2008




« Mr Lean, vous savez, Maurice est excellent pour les grands espaces et le sable mais Hollywood dispose de meilleurs compositeurs pour la Russie et la neige. » Ce fut la réponse lapidaire du directeur du département de la MGM lorsque David Lean, chercha à contacter Maurice Jarre, émigré aux USA pour qu'il retravaille sur son nouveau film. A cette époque la MGM avait crée un département spécialisé dans le classement des thèmes musicaux. Les morceaux étaient déjà enregistrés à l'avance et les réalisateurs n'avaient plus qu'à piocher pour trouver la musique qui leur convenait. Le fait que Jarre compose lui même le thème principal, spécialement pour le film était quelque chose de relativement atypique à Hollywood qui surprit beaucoup les producteurs du film. Pourtant le choix du compositeur était tout à fait approprié étant donné sa connaissance de la musique ethnique. Comme il le dit lui même: "J'ai étudié la musique Russe au Conservatoire Musical de Paris, ce qui m'a permit de recréer assez facilement des thèmes de valses "à la Russe" que l'on peut entendre lorsque Lara et Komarovsky dansent".

 

LE THÈME DE LARA

Le leitmotiv qui accompagne les aventures du docteur Jivago est le thème désormais célèbre de Lara que l'on retrouve arrangé de diverse façon. A l'origine David pensait utiliser une chanson d'origine russe mais n'avait pu réussir à trouver le copyright de la mélodie. Jarre composa alors une nouvelle musique. "J'ai écrit un morceau et le lendemain matin je l'ai joué à David, au piano. Et il a dit : « Maurice, je crois que tu peux faire mieux ». J'étais très déçu. Alors je suis rentré chez moi et j'ai écrit un autre morceau. Et il a dit : « c'est trop triste ». Après ça le temps pressait. Et le troisième morceau il l'a trouvé trop rapide. Je commençais vraiment à désespérer de trouver la bonne musique. Finalement il a dit : « Maurice, oublie Jivago, oublie la Russie. Emmène ta petite amie à la montagne. Pense à elle et écris un morceau romantique pour elle »". C'est finalement après avoir passé un week-end dans les montagnes de Santa Monica en Californie qu'il trouve l'inspiration du théme mythique de Lara qui mélodiquement n'entretient aucun rapport avec la musique russe. "En réalité, David Lean souhaitait un thème d'amour universel, qui ne soit pas influencé par la Russie" explique Jarre ; néamoins pour que l'air s'intègre dans le contexte, il va inclure un orchestre de 30 balalaïkas (basse, baryton, alto et soprano).

Le thème accompagne les pensées de Jivago lorsqu'il se met à écrire des poèmes et qu'il pense à Lara. Il apparaît aussi dans un passage admirablement monté qui illustre le passage des saisons. Lorsque Jivago dans sa maison de campagne de Varykino commence à effacer la neige hivernale sur la vitre, le plan suivant nous montre un champ de jonquille printanières. Ensuite, l'image d'une jonquille filmée en zoom avant se superpose sur le visage de Lara en fondu enchaîné et l'illumine d'une teinte dorée.

Cependant le motif n'est pas exclusivement associé à Lara comme le laisse croire le titre mais plus exactement à l'instrument même de la balalaïka qui sert de lien entre les personnages. On entend le thème au moment des funérailles de la mère de Jivago qui jouait de cet instrument et il réapparaît un peu plus tard lorsque Youri en hérite. A la toute fin du film, on apprend que Tonya, la fille à l'identité obscure, a appris comme la mère de Jivago à jouer de la balalaïka. Cette aptitude artistique nous laisse alors penser qu'elle pourrait bien être la fille du poète.

LA BALALAÏKA

La balalaïka est un instrument à cordes pincées reconnaissable à sa caisse triangulaire. (il en existe aussi d'ovale). Elle ne comporte que trois cordes. Comme la mandoline dont elle se rapproche aussi par sa touche garnie de frettes, la balalaïka se prette au jeu mélodique par le va-et-vient rapide d'un plectre sur la corde qui produit un son tremblé continu.
En 1648, le tsar, Alexis Mikhaïlovitch, deuxième de la dynastie des Romanov avait promulgué un édit interdisant la détention et le jeu de tout instrument de musique. Dans un désir de résistance du peuple, la balalaïka était alors apparue, inspirée d'un ancien luth folklorique russe, la Domra. Vassili Vassilievitch Andreïev fut le fondateur de la balalaïka russe classique. En 1888 il créa "Velikorouski" orchestre de balalaïkas, dont les concerts eurent des succès étourdissants dans toute la Russie. Parmi les compositeurs qui se sont intéressés à cet instrument figurent Glazounov, Tchaïkovski et Arthur Rubinstein.

A Hollywood, Jarre eut beaucoup de mal à trouver des joueurs de balalaïka. A l'époque il était impossible de les faire venir de Russie. C'est en visitant une ancienne église orthodoxe qu'il trouve ses interprètes mais il fallait également leur enseigner les rudiments du solfège, en l'occurrence les 16 mesures de la chanson de Lara car ils ne savaient jouer que d'oreille. "Ma grand-mère était Russe, aussi j'ai pu apprendre un petit peu la langue pour que la communication avec les musiciens soit plus facile." On peut entendre la section des balalaïkas dés le générique de début accompagnées par le roulement dramatique des timbales et des cordes lyriques de l'orchestre du studio de la MGM.

LES INSTRUMENTS

Comme sur Lawrence d'Arabie, Jarre n'eut que six semaines pour écrire et enregistrer la bande son du film. Il composa une grande quantité de musique dont plusieurs morceaux ne furent pas utilisés dans le montage final. On peut trouver ses inédits sur l'édition Deluxe de la MGM édité en 1995. Dans la partition on trouve aussi des instruments beaucoup moins orthodoxes comme la cithare, l'accordéon, le sonovox, le piano électrique, le clavecin, des gongs et deux instruments japonais : le koto (longue cithare utilisée en musique japonaise traditionnelle) et un shamisen (sorte de luth qui s'apparente au banjo). Il a aussi intégré les sonorités particulières du synthétiseur Moog, qui à l'époque venait d'être inventé, pour rajouter un peu d'étrangeté sur certaines séquences du film.

Jarre se souvient qu'à l'époque, "utiliser un synthétiseur était peu courant. Les réalisateurs et les producteurs étaient très sceptiques au sujet de la musique électronique. Maintenant, malheureusement, ils se servent des synthétiseurs pour remplacer l'orchestre. Juste pour économiser de l'argent. Seulement, même avec le meilleur des synthétiseurs, on ne peut jamais arriver à reproduire les sonorités exactes d'un orchestre tout entier."

LE CHOEUR

Plus inhabituel chez Jarre est l'utilisation d'un choeur de 40 voix, évoquant tantôt les choeurs de l'armée russe (pendant la confrontation entre l'armée du Tsar et le peuple des Révolutionnaires) et le chant religieux orthodoxe (La scène de l'enterrement). Le très beau morceau musical qui accompagne les funérailles de la mère de Youri au début du film est le chant de lamentation russe "Kontakion" chanté a capella par une soprano et le choeur de l'orchestre. Jarre développe ensuite un thème à la balalaïka scandé par des percussions violentes pour accompagner la tombe ensevelie sous la terre.

On peut aussi entendre le choeur masculin dés le carton d'ouverture placé avant le générique du film. A la manière des ouvertures de Rossini, Jarre fait un montage des principaux motifs du film en combinant les passages dramatiques, le thème de Lara et les chants révolutionnaires. Des airs populaires qui rappellent le chant exalté d'Alexandre Nevski de Serge Prokofiev et que l'on retrouve durant la parade des Révolutionnaires dans les rues de Moscou.
Parmi les chants, on peut également entendre l'hymne de "l'Internationale" interprétée avec détermination par les opposants au régime tsariste. Cette musique attira des ennuis à la production durant le tournage nocturne de la scène, dans le village espagnol de Canillas. Quand la police répressive et très conservatrice du général Franco entendit les figurants chanter l'hymne communiste, ils sont arrivés avec les fusils en pensant vraiment qu'il se passait quelque chose de grave. La plupart des habitants du village se sont également réveillés au milieu de la nuit en entendant "l'Internationale" et ont ouvert leurs bouteilles, croyant que Franco était mort !

JULIEN MAZAUDIER


En savoir plus :

Vos avis