SPARTACUS tient une place à part dans la filmographie de Kubrick : à y réfléchir, ce péplum glorifiant l’amour de la liberté et la noblesse d’âme, est même une véritable parenthèse dans la carrière du réalisateur.
Signé par Dalton Trumbo, écrivain antimilitariste et communiste, un temps sur la fameuse « liste noire » pendant le maccarthisme, le scénario de ce film politique (1), inspiré d’un roman d’Howard Fast, relate l’histoire de Spartacus, un célèbre gladiateur thrace qui a mené en 73 avant J.-C une rébellion d’esclave contre le pouvoir romain et qui a fini crucifié après que son armée ait été matée par Marcus Licinius Crassus.
L’acteur Kirk Douglas avait commencé le tournage de ce péplum titanesque de plus de six millions de dollars sous la direction du réalisateur de western Anthony Mann. Mais un vendredi 13, le cinéaste américain est licencié, après avoir tourné la séquence dans la mine et une partie des scènes se déroulant dans l’école des gladiateurs. Il est remplacé trois jours plus tard par Stanley Kubrick, qui se retrouve investi d’une lourde tâche : diriger pendant plus de 5 mois une superproduction hollywoodienne en 70 mm, en Technicolor, avec 10 000 figurants et des interprètes aussi célèbres que talentueux: Laurence Olivier, Charles Laughton, John Gavin, Peter Ustinov, Tony Curtis, Jean Simmons, Woody Strode et Kirk Douglas (2).
SPARTACUS est un film magnifiant le désir de liberté. Ironie du sort, Kubrick ne s’est jamais senti aussi bâillonné que sur SPARTACUS, soumis au bon vouloir des producteurs et de Kirk Douglas (« Stanley est un sale con qui a du talent » a affirmé l’acteur). Quelques années plus tard, le réalisateur reniera ce péplum hollywoodien sous prétexte qu’il ne lui appartenait pas et qu’il n’avait été qu’une étape nécessaire pour pénétrer définitivement les milieux du cinéma.
Kubrick n’a pas eu le choix de faire appel à une musique originale et plus spécifiquement au compositeur Alex North. Selon toute vraisemblance, cette décision a été l’œuvre de la Byrna et de Kirk Douglas, avant l’arrivée de Kubrick sur le film. Le compositeur américain est alors âgé de 49 ans. Elève d’Aaron Copland et d’Ernst Toch, ancien accompagnateur de Martha Graham, féru de musique russe et de jazz, il avait surpris le monde du cinéma en synchronisant en 1951 de la musique jazzy sur l’adaptation cinématographique de la pièce de Tennessee William, A STREETCAR NAMED DESIRE (Un Tramway Nommé Désir), réalisée par Elia Kazan.
Le réalisateur demande à Alex North d’étudier « Alexandre Nevxki » de Prokoviev. Cette influence se ressent parfois dans la musique qu’il a composé pour SPARTACUS (cuivres et percussions), surtout remarquable pour son célèbre « Love Theme » et par le thème inquiétant que l’on entend à la fin du « Main Title ».
Car dans l’ensemble, malgré la beauté de ces deux thèmes, la musique d’Alex North n’a rien d’exceptionnelle, bien qu’elle ait valu au compositeur une nomination aux Oscars. Ce qui tend à démontrer que de toute évidence, Kubrick n’a pas eu son mot à dire. On ne retiendra guère que la musique de la première scène de bain (la plage intitulée « Oysters and Nails », easy-listening avant l’heure, grâce à l’utilisation d’un instrument électronique, l’Ondioline) ou la musique sépulcrale qui après la dernière bataille accompagne un long travelling sur la plaine jonchée de cadavres.
Lee Tsiantis est beaucoup moins sévère (3) : « Pour Spartacus, North tenta de transcrire l’ambiance de la Rome préchrétienne en utilisant des techniques musicales contemporaines. Il effectua des recherches sur les musiques de l’époque et déterra des instruments peu conventionnels tels que le tympanon dans sa quête de sonorités étranges […] North recourut à un large pupitre de cuivres pour évoquer la barbarie de l’époque. Il mit les violons de côté jusqu’à ce que s’épanouisse l’histoire d’amour entre Varinia et Spartacus. Le thème romantique est délicatement orchestré, témoignant des talents lyriques de North. »
Cette critique, en s’attachant aux qualités essentiellement musicales de l’orchestration de North, dissimule mal à quel point la musique sur Spartacus est « fonctionnelle ». Cette approche très pragmatique de la composition pour le cinéma, par ailleurs très conforme aux exigences du cinéma populaire hollywoodien, explique sans doute pourquoi Alex North verra sa partition pour 2001 rejetée. C’est en effet à ce moment là que Kubrick aura enfin la maîtrise absolue de son film…
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)