par François Faucon
- Publié le 20-09-2021
En plein été, avec le naturel de l'enfance et certaine de la qualité de son choix, ma fille ressort le dvd de Zarafa (2012). Et me voilà replongé du même coup, dans la douce impression que ce film m'avait procuré lors de sa découverte, il y a déjà quelques temps. Loin de toute actualité cinématographique, analyse pour Cinezik.
Librement inspiré de la véritable histoire de la girafe offerte à Charles X par Méhémet Ali en 1827, ce film a fait l'objet de nombreux commentaires. A juste titre, ont été soulignés l'extrême délicatesse du film. Son réalisme dû notamment aux voix (un casting irréprochable...), et qui donnent une profondeur considérable aux protagonistes. Son format cinémascope pour permettre la création de grands paysages, façon western. Certains ont même souligné les approximations historiques malgré la documentation fournie par l'historien contacté par la production. A l'époque du film, le Soudan n'existe pas. La traite négrière européenne pratiquée sur la façade atlantique est alors quasiment éteinte, tandis que sur la façade orientale de l'Afrique, les marchands arabes y trouvent un moyen de continuer à prospérer. La vraie Zarafa, désormais empaillée et vraisemblablement conservée au Museum d'Histoire Naturelle de La Rochelle, n'a subi aucun mauvais traitement. De quoi faire réagir le Museum du Jardin des Plantes à Paris qui réalise dans la foulée de la sortie du film, une exposition intitulée « La véritable histoire de Zarafa ». Mais Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie (les deux co-réalisateurs du film) rappellent qu'il ne s'agit pas « d'un documentaire animé » mais, comme écrit sur l'affiche, d'une libre adaptation. Car après tout, ne s'agit-il pas d'un conte ? Celui raconté par un vieux griot africain qui n'est pas sans rappeler la structure narrative de la saga « Kirikou » (1998-2012) de Michel Ocelot. Peu importe... A sa sortie, le film est bien accueilli, et reste un succès auprès des plus jeunes (et de leurs parents...). Mais comme trop souvent, les analyses musicales tardent à se faire.
Pour cette partition, le niçois Laurent Perez del Mar (« Pourquoi j'ai pas mangé mon père » en 2015, « La Tortue Rouge » en 2016) était pressenti depuis longtemps, même s'il n'a pas fait l'objet d'un choix spontané. Pour des raisons de synchronisation avec l'image, certains thèmes sont composés bien avant la réalisation du film grâce à des maquettes musicales. D'autres apparaitront ou seront modifiés au fur et à mesure.
La musique de « Zarafa » entend donner une concrétude à deux univers du film dont les routes, en définitive, ne se croiseront pas, sinon au travers des aventures des différents protagonistes. D'un côté de la Méditerranée : l'Afrique avec ses déserts, ses oasis, ses temples égyptiens oubliés et son rythme si personnel. De l'autre côté de la Méditerranée, la France, terre soumise à la royauté (à l'exception de l'Eglise ; d'où la main du prélat posé sur le trône de Charles X lorsque celui-ci découvre Zarafa). Un multiculturalisme propre au film et qu'il fallait souligner en musique, tout en gravitant autour d'un thème général servant de fil conducteur. Ce thème sera celui, arabisant et facilement audible, par exemple sur la piste « Abou Simbel ». L'occasion est ici trop belle pour ne pas aborder, sans rentrer dans une analyse musicologique en règle, les procédés techniques permettant de composer une musique arabisante. Procédés qui jalonnent l'histoire de la musique de films, notamment dans « Lawrence d'Arabie » (1962), musicalisé par Maurice Jarre. Un compositeur cher à Laurent Perez del Mar.
En Occident, la gamme « de base », celle accessible à tout musicien néophyte, est la gamme de Do.
Le Moyen-Orient arabe quant à lui, dispose d'une gamme équivalente nommée gamme Rast, avec un mi bémol et un si bémol barrés.
La présence de ces barres indiquent très clairement qu'il s'agit de deux maqâms, soit des « altérations » typiques de la musique arabe en ce qu'elles diminuent la note afférente, non d'un demi-ton comme en Occident, mais d'un quart de ton.
Mais dans le cadre d'une musique de film occidentale, ces maqâms dénoteraient et laisseraient à l'auditeur pour qui la musique de film relève du message subliminal, au mieux l'impression de quelque chose qui cloche, au pire que l'orchestre joue faux... Pour les musiques arabisantes, le cinéma simplifie donc cette gamme Rast, en supprimant les maqâms.
Face à ce thème qui accompagne Hassan, Maki, Malaterre et Zarafa dans leur improbable voyage, un deuxième vient trancher lorsque le ballon dirigeable arrive à Marseille. Il s'agit d'un thème de rupture, un thème de valse qui enchaîne sur le voyage jusqu'à Paris (pistes « Marseille » et « Le papillon - Traversée de la France »). Une musique douce, presque bucolique et dont le seul objectif est de mettre en musique les aquarelles et dessins visibles sur la carte traçant le chemin menant à la capitale. Du beau musical et pictural qui n'a peut-être pour objectif que de permettre d'éviter une ellipse trop grande dans le récit, et de naviguer dans le registre du beau parce qu'il est justement cela. A Paris, là où dominent l'orage et les couleurs d'un gris sombre signe d'ennuis à venir, la musique s'assombrit de concert. Laurent Perez del Mar le dit clairement dans une Master-Class de 2019, le mickey-mousing n'est pas obligatoire mais, parfois, il n'y a pas le choix...
Dans ce deuxième univers sonore, le thème général va faire l'objet de différents arrangements. C'est le cas lorsque l'on découvre le fat Charles X assis et attendant, entouré de ses nobles à perruque et peau fardée de blanc, qu'on lui présente Zarafa (piste « Charles X »). Le thème général s'entend alors au clavecin. En revanche quelques pistes s'éloignent de ce thème lorsque le choix est fait de s'en remettre au classique, pour évoquer l'universalité de certaines situations. C'est le cas pour la réincarnation de la vache Soon en papillon, du danger lorsque le ballon dirigeable est malmené dans la tempête de neige au cœur des Alpes, de l'universelle lâcheté du mal (« Moreno »), ou du combat avec les loups lorsque le ballon dirigeable s'écrase dans les Alpes.
Comme toute composition, la musique de « Zarafa » a fait l'objet d'une orchestration prenant en compte la diversité des horizons culturels. Laurent Perez del Mar a, de son propre aveu, « apprivoisé certains instruments africains » (duduk, kalimba, kora) ou demandé à certains musiciens confirmés d'enregistrer les pistes recourant à ces instruments, avant de les réutiliser dans l'enregistrement studio. L'utilisation des voix fait pleinement partie de l'orchestration par le choix des artistes et des expressions et sonorités propres à leurs voix. Ici, c'est Asa, chanteuse franco-nigériane qui a été choisie pour la chanson finale du film. Mais c'est aussi une chanteuse arménienne (son identité reste hors de ma portée...) pour toutes les sublimes vocalises.
Par ailleurs, l'une des grandes forces de cette musique - ce n'est pas si fréquent que cela... - est de savoir se taire. Le réalisme important du film doit beaucoup à ces silences musicaux qui, en contrepoint, font la part belle à la diction, à l'intimité, au bruitage (crépitement du feu dans la scène d'ouverture, bruit de serrure lorsque Maki est emprisonné dans une cave à Paris). Autant de scènes qui se suffisent à elles seules et perdraient beaucoup à être diluées dans une musique.
L'occasion est donnée au travers de cette analyse, de développer une réflexion qui murit depuis plusieurs années sur les raisons d'être d'une musique de films. Les fonctions d'une musique de film, quoique connues, ne sont jamais expliquées. Elles le sont d'autant moins que le public n'en a cure, et ce de façon très légitime. Les travaux de Zofia Lissa ont permis de mettre en avant pas moins de douze fonctions principales à la musique de films ; fonctions que nous n'étudierons pas en détail ici. Nous nous contenterons de rappeler notamment, que la musique peut : « marquer le mouvement » (percussions au début du film, lorsque Maki échappe à Moreno puis, comme un écho, lorsqu'il fausse compagnie au même Moreno, à Paris, en compagnie cette foi, de Soula) ; « représenter le lieu d'action » (l'orgue de barbarie accompagnant un Paris gagné par la « Girafomania ») ; « exprimer les émotions » des protagonistes (la détresse de Hassan qui, alcoolisé, ère dans la capitale). Encore que cette dernière fonction est contestable : la musique ne procure aucune émotion, elle active plus de zones du cerveau que les autres arts et, partant de là, des schémas mentaux qui, eux, peuvent nous émouvoir ou non. La musique peut également être diégétique (c'est-à-dire exécutée par les protagonistes du film, à l'image du sirtaki à bord du navire de Bouboulina) ou extra-diégétique (c'est-à-dire, extérieure au film, à destination du spectateur, et parfois omnisciente dans la mesure où elle peut annoncer ce qui va se passer).
Tout ceci pour en venir à quoi ? Au fait que la musique m'apparaît comme un phénomène compensatoire de la perte inhérente au passage de la réalité vécue en 3D (celle de notre monde et dans laquelle s'inscrivent tous ceux qui participent à la création d'un film), à la 2D visible à l'écran. Bruitage, lumière, mise en scène, talent des acteurs, etc., sont autant d'éléments qui permettent l'existence d'un film et qui accentuent tel ou tel élément fondamental de l'intrigue. Mais il s'agit d'artifices qui n'existent que sur ce filtre qu'est l'écran des salles obscures. A ce titre, le cinéma en relief n'y changera rien, si ce n'est en apportant la virtualisation des artifices mentionnés. La perte est pourtant réelle : perte de l'émotion vécue, de la douleur réellement ressentie, des odeurs et de l'énergie effectives entre les comédiens pendant le tournage. Et ce sont ces irrémédiables pertes que, à certains moments charnière du film, la musique vient compenser. C'est peut-être ce que l'on peut conclure de la piste « La résurrection », cette grande réussite musicale de « Zarafa ». Elle donne toute sa dimension aux éléments que le spectateur ne ressent pas, même si, de par son vécu personnel, il en a une certaine idée : Hassan qui frôle la mort au jardin des plantes ; sa longue convalescence auprès des religieuses ; la recherche de Bouboulina qui l'attend et les émotions réciproques qui vont pouvoir se réaliser ; la sérénité du vieux Maki devenu conteur dans son village et qui, la nuit tombée, s'en va rejoindre, au loin, un mirage qui n'est rien d'autre que le souvenir de ses amis.
La musique de film, un phénomène compensatoire ? Une affaire à suivre dans tous les cas.
Webographie :
Pour la musique de « Zarafa », les informations s'avèrent difficiles à trouver. Aucune partition accessible, un dvd à acheter d'occasion, un cd introuvable (il est mystérieusement inaccessible sur le catalogue de Deezer et Spotify). Il faut s'en remettre au site de la production pour accéder au making-off de la musique (à découvrir ICI) et à la Master Class du Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz en 2019 (interview réalisée par Benoît Basirico, à découvrir ICI). Les différentes fonctions de la musique de films sont, quant à elles, résumées ICI. Pour entendre la gamme Rast et les maqâms, cliquez ICI.
par François Faucon
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)