Cinezik : En tant que réalisatrice, quelle place a la musique dans votre travail ?
Céline Devaux : Les échanges que j'ai eu avec Flavien Berger sont intervienus bien avant l'écriture. On est collaborateurs depuis trente ans (sur des court-métrages). Généralement, quand j'ai envie d'écrire une histoire, Flavien est la première personne avec qui je suis. Et il est du genre à faire de la musique avant le tournage.
Flavien Berger, on vous connaît avec vos albums en solo. Se mettre au service d'un film, c'est toujours particulier. Et pour ce film-là, comment en tant qu'artiste complet vous êtes-vous préparé à vous mettre au service de cette histoire et de ce personnage ?
Flavien Berger : Ce sont d'abord des discussions, autour de sensations. Céline me dirige, comme un acteur. Elle me donne des cadres dans lesquels je suis follement libre, ce qui me permet d'avoir des discussions avec elle autour du scénario. Dès ce moment là je compose. Une fois que j'ai composé la musique, que j'ai trouvé les sensations, on les superpose aux images et on voit ce que ça donne. Ainsi, on évite une trop grande littéralité ou paraphrase. Céline me parle avec des mots en particulier pour faire sourdre une musique de mon cerveau. Elle va me dire “on entend la musique quand on arrive dans une ville, qu'on n'y est pas venu depuis dix ans, et qu'on en a un vague souvenir”. C’est un exemple. En fait, je n'ai pas l'impression de me mettre au service du film, mais de me mettre au service de Céline.
Diriger un compositeur, cela passe parfois par des mots qui ne sont pas forcément du domaine de la musique, de parler du personnage de Blanche Gardin, de son désespoir. En même temps, le film est très drôle. Il y a le côté fantasque du personnage de Laurent Lafitte...
C.D : On a un tel niveau de confiance qu’il écrit le film avec moi. Je ne lui demande pas de composer sur un montage terminé. Il est là pour ajouter des idées, créer du rythme. C'est en poussant encore plus loin notre méthode habituelle qu'on a créé ce film, notamment avec scènes de fêtes. Il m'est arrivé de mettre des enregistrements que Flavien avait fait au Mexique cinq ans auparavant.
F.B : Je pense que la musique fait passer des sensations sans qu'on s'en rende compte. L'information sonore couplée à une information visuelle va arriver directement dans le cerveau. Ça va diriger un peu le chemin qu'on fait dans la narration.
La comédie est souvent considérée comme le genre le plus compliqué pour un compositeur...
F.B : Oui, d'ailleurs dans les scènes les plus drôles il n’y a pas de musique. C’est très fragilisant à ce moment-là. Les scènes étant montées, le gag étant calibré, quand on commence à vouloir y ajouter de la musique ce n’est pas possible, ça fait tomber la situation dans quelque chose d'informationnelle, ça passe en force. J'ai essayé de faire au maximum des morceaux qui pourraient exister tout seuls, qui n’ont pas besoin de l’image pour fonctionner.
C.D : J’essaie de ne jamais l’influencer. Je le laisse travailler. Je lui indique juste le sens d’une scène, et il va non seulement très bien la comprendre, mais parfois bien mieux la comprendre que moi. Sinon ce n'est pas une collaboration artistique. Je lui ai aussi parlé du “reggaeton”, une musique auquel je pensais. Je reviens deux mois plus tard et j’entend un truc qui n'a rien à voir, tordue, déformée, ralentie. Il y a une sorte de de légers souvenirs fantôme de reggaeton. Et c'est mille fois plus subtil, mille fois plus parlant que ce que j'avais imaginé. Mais juste parce que je ne suis pas musicienne.
F.B : Tu dis que tu n'es pas musicienne, mais tu as un vrai appétit pour des idées musicales. Il y a beaucoup de choses qui existent dans le film qui viennent de fantasmes communs que t'a permis de réaliser. Par exemple, faire chanter une chorale d'enfants. Beaucoup d'idées musicales viennent de Céline. En tant que musicien, je n'aurais pas réalisé cette musique sans cette collaboration.
En quoi les chansons de cette chorale disent quelque chose du personnage ?
C.D : Les paroles de la chanson des petits racontent l'histoire d'une aviatrice perdue dans le ciel, perdue dans les nuages. Elle est abandonnée, elle est seule, elle ne sait plus comment rentrer chez elle. Donc elle parle explicitement de Jeanne, qui est aussi une femme perdue. On avait très envie d'entendre une chorale, parce que ce film parle de choses tellement dures qu'il fallait une respiration. C’est une comédie de dépression, je voulais briser le drame par l’humour et la magie.
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