un-varon2022042918,Cannes 2022,kourtzer,kourtzer-f, - Interview B.O : Mike & Fabien Kourtzer (UN VARÓN, Quinzaine des réalisateurs) Interview B.O : Mike & Fabien Kourtzer (UN VARÓN, Quinzaine des réalisateurs)

un-varon2022042918,Cannes 2022,kourtzer,kourtzer-f, - Interview B.O : Mike & Fabien Kourtzer (UN VARÓN, Quinzaine des réalisateurs)

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 28-05-2022




Mike & Fabien Kourtzer signent la musique du premier film colombien de Fabian Hernandez sur Carlos, 16 ans, confronté au rite de passage pour devenir un homme dans les rues dangereuses d'un bidonville de Bogota. La partition exprime les dangers de la ville à travers des textures rugueuses (avec une tension de polar), et soutient les déambulations du personnage par des sonorités plus aériennes (guitare, piano, et même des cloches pour évoquer une enfance perdue). Aussi, pour s'associer aux titres de hip-hop entendus par les personnages, les compositeurs entretiennent cette dimension urbaine par des éléments percussifs et lourds.

Cinezik : Comment vous êtes vous retrouvés sur ce premier film colombien ? 

Fabien Kourtzer:  C'est Eric Debègue (Cristal Records) qui nous a mis en relation avec la production. On travaille avec lui depuis un certain temps et il nous a parlé de ce projet, qui nous a intéressé parce qu'on vient aussi de quartiers défavorisés, on a senti qu'on pouvait y avoir notre place. 

Nous sommes auprès d'un jeune de seize ans, Carlos, qui habite en effet dans un quartier défavorisé de Bogota, dans des bidonvilles. Et il est donc confronté à la dangerosité de la rue. En tant que compositeur, comment vous êtes-vous positionné par rapport à cette violence ? 

F.K : Ce qui nous a intéressés, c'est le cadre de cette violence, pas la violence elle-même. Elle est déjà racontée dans le film, donc il était plus intéressant de s'imprégner des murs. La musique, décousue, devait être un élément du décor, pas trop narrative mais comme un élément de l'univers. 

Malgré tout, la musique soutient quelques scènes tendues pour le personnage...

F.K : C'est vrai. On a fait des montées en tension, mais parfois la musique retombe plus tôt que la séquence. On n'est plus avec l'esprit du personnage que dans le narratif du film.

Pour le décor, il y a un travail très fort sur les sons de la ville. La musique se mêle aux bruits. 

F.K : On a utilisé des sons de la ville qu'on a harmonisés. On a travaillé avec ces sonorités pour fabriquer des textures sonores en les mélangeant avec des cordes. Le réalisateur ne voulait pas de musique au départ, on a donc proposé une musique qui ne soit pas de la musique. On a voulu faire en sorte qu'il n'y ait pas de corps étrangers au film. On a cherché des sons qui pouvaient entrer dans l’univers. C’est très déstructuré, pas harmonique, jamais lisses, tout est un peu sali comme la ville. 

Mike Kourtzer : La musique est aussi mal calée, on est boiteux. Cela participe à cette atmosphère très forte.

F.K : Pour la séquence du rouge à lèvres, la musique est presque tango, sans l'être vraiment, parce qu'il y avait un maquillage, on a imaginé une danse de tango avec ce miroir. Il y a un côté David Lynch, “Eraserhead”, c’était notre référence, pour un univers presque surnaturel, très intérieur. Le personnage a du mal à s'identifier, à savoir dans quel genre il est. Il refoule plein de choses. 

Cette musique a une dualité, il y a à la fois des textures rugueuses pour marquer le danger de la ville, et à la fois des sonorités plus aériennes, une guitare, un piano, pour montrer la sensibilité du jeune garçon...

F.K : Ce qu'on comprend dans le film, c'est que c'est un personnage qui n'a pas envie d'être ce qu'il est. Il aimerait être quelqu'un de plus tendre. Il n'a pas envie d'être dans cette violence. Il cherche sa mère pendant tout le film. C'est un enfant. 

M.K : Son entourage veut le persuader qu'il est de ce monde, mais lui, intérieurement, il n'est pas là où il faut. Il fallait trouver ce juste milieu dans la musique.

Comment le réalisateur a pu vous exprimer ses intentions ? 

F.K : Il vient du même monde que nous. On vient de la musique urbaine, lui vient de la pop. Il a commencé par faire de la danse. On n'a pas eu de mal à communiquer. On a le même parcours vers le cinéma. On a les mêmes codes. Donc même s'il vient d'un autre pays, on se comprend.  

M.K : On a quand même eu de très longues discussions. Je crois que je n'ai jamais eu de discussions aussi longues, parfois trois heures et demie pour essayer de comprendre ce qu'il voulait dire. Il est venu au studio, en France, et on a aussi échangé par internet. Tout était assez précis pour ce film, on ne pouvait pas aller dans tous les sens.   

Pour le placement musical et la place du silence, c'était également précis ? 

F.K : C'était carrément précis. On a même utilisé ces silences. On a pensé à ces silences pour placer la musique. Elle s'arrête, puis elle reprend. On les intègre avec des ruptures musicales brutales. Elle ne rentre pas en mesure. On a cassé la musique, on l'a placé à des moments inattendus.

Lorsqu’on pouvait s'attendre à une musique émotionnelle, notamment lors du long plan fixe sur le visage de ce gamin qui pleure, il n’y a aucune musique. La musique va être plutôt à des moments où l'image est moins forte...

F.K : On s'est posé la question de savoir si on doit mettre de la musique sur ce plan, on a eu une discussion avec Fabian et la production. C’est un plan fixe, un gros plan. Il pleure. Qu'est ce qu’on peut raconter musicalement? L’image dit tout. 

M.K : Si tu racontes exactement la même chose que ce que tu vois, ça ne sert à rien.

Votre profil est atypique, avant d’être compositeurs de musiques de film, comme vous l'avez rappelé vous venez du rap. Et dans ce film-là, il y a aussi une partie plus rythmique en lien avec les danses des personnages. 

M.K : On a essayé de comprendre sur quoi les jeunes dansent pour se caler sur eux, correspondre à la vitesse et à l'ambiance..

F.K : C'est à la fois diégétique et extra diégétique. D'un côté, on a l'impression que c'est diffusé dans la séquence parce qu’ils dansent dessus. Mais d'un autre côté, c’est une ambiance. On aime utiliser le rap pour raconter autre chose. Le lien entre le rap et le cinéma se situe là. 

M.K : D’ailleurs, un des premiers disques qu’on a fait, c'était une musique de films, pour “Ma 6-T va crack-er” (Jean-François Richet, 1997). 

De ma “Ma 6-T va crack-er” aux bidonvilles de Bogota, on change de banlieue... 

F.K : C’est une autre banlieue, mais pour nous, c'est la continuité. On nous appelle souvent pour des films coup de poing et sur des projets où il y a les deux aspects musicaux, l’aspect “score” et l’aspect urbain. Il y a quelques années, il fallait qu'on cache qu'on faisait du rap pour avoir des projets. Aujourd'hui c'est le contraire, on nous appelle pour ça aussi. 

Il y a aussi dans le film un titre préexistant sur lequel ils dansent et qui se retrouve au générique, "Ángel" de Gallego. Est-ce que vous avez contribué à ce choix ? 

F.K : Non. Apparemment, c'est un standard là-bas, un morceau très connu en Colombie. Mais on est entrés en résonance avec cette musique. Dans la scène où le garçon part dans la rue avec le pistolet à la main, il y a des musiques latines en fond, et on s'est mélangé à elles. 

Il y a une fusion entre la musique festive hors champ et votre musique, ce qui entretient une vraie tension... 

F.K : Comme c'est une musique qui imprègne les murs, on se met dans la tête du personnage qui avance dans cette rue, cette musique raconte l'environnement cruel dans lequel il est. 

 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

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